🇭🇹 Haïti, un chaos qui ne vient pas de nulle part (entretien avec Frédéric Thomas par Renaud Duterme / Géographie en mouvement)


C’est un pays qui fait rarement la Une de l’actualité. Pourtant, Haïti connaît depuis plusieurs années une descente aux enfers (instabilité politique, insécurité alimentaire, extrême violence, débâcle économique, catastrophes naturelles). Cette situation ne vient pas de nulle part et s’explique en partie par des politiques promues par des acteurs internationaux, depuis l’indépendance du pays. Entretien avec Frédéric Thomas, chercheur au CETRI. (Renaud Duterme)

Photo : Patrice Noel, Shutterstock.com

Frédéric Thomas – C’est probablement une des pires que l’histoire tragique de ce pays a déjà connues. Une immense majorité de la population vit dans un état de pauvreté. L’insécurité alimentaire (voire la famine) est omniprésente. Le besoin d’aide humanitaire est criant. Le pays est un des, sinon le, plus inégalitaires au monde. Et depuis le soulèvement populaire de 2018-2019 réprimé dans le sang, la crise politique est totale avec la montée en puissance de bandes armées en lien avec des élites politiques et économiques totalement corrompues.

Pays très centralisé autour de sa capitale, de nombreuses routes et territoires sont contrôlés par ces gangs, à commencer par Port-Au-Prince, à 85% sous l’influence de ces autorités parallèles. L’essentiel des marchés métropolitains ne sont plus accessibles et de nombreuses productions font l’objet d’un racket constant, menaçant l’approvisionnement de nombreuses parties du pays.

Le résultat est une explosion des déplacés internes (1,4 million), à laquelle il faut également rajouter le retour forcé de milliers d’Haïtiens en provenance de République Dominicaine, laquelle a prétexté l’instabilité de son voisin pour fermer ses frontières. Le racisme anti-haïtien est depuis longtemps instrumentalisé par les pouvoirs en place, en atteste la décision en 2013 de dénationaliser de nombreux Dominicains d’ascendance haïtienne. Cette fermeture des frontières engendre également des problèmes d’approvisionnement, Haïti étant largement importateur de produits alimentaires. Et le tout au sein d’un effondrement politique puisque les élections n’ont pas eu lieu, que personne ne sait quand elles se tiendront et que les hommes au pouvoir, au sein du Conseil présidentiel de transition, n’ont guère de légitimité aux yeux des Haïtiens.

Enfin, ce qu’on ne voit jamais dans les médias et qui me frappe à chaque voyage en Haïti, c’est la force, la débrouillardise, l’inventivité et la résistance au quotidien des Haïtiens, tout particulièrement des femmes et des paysans. Si le pays ne s’est pas (encore) effondré, c’est grâce à ce dynamisme de la base.

FT – Indirectement. Ce tremblement de terre a été un révélateur de la crise sociale, économique et écologique qu’Haïti connait depuis de nombreuses années. Il a constitué un marqueur de l’absence de politiques publiques, sanitaire et urbanistiques.

Ce fut d’ailleurs une occasion manquée de refondation du pays puisque l’aide apportée pour la reconstruction fut essentiellement contrôlée par des acteurs internationaux qui ont contourné l’État (certes de plus en plus corrompu) et la société civile haïtienne. Des hôtels de luxe ont ainsi été construits dans le cadre de la reconstruction, tout comme une zone franche dans le nord-est du pays.

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Pour rappel, voir :
Haïti : plus de 16 000 personnes tuées dans les violences depuis 2022 (Le Monde)
Haïti : un pays à genoux devant la violence des gangs armés (Entretien de Diane Cassain avec Frédéric Thomas. S&D Magazine / CETRI)
« 200 ans après la dette odieuse imposée à Haïti, non au mépris persistant de la France » (Communiqué collectif)