Amérique latine : les États face à la violence (une série de Cultures Monde / France Culture)


© Yuri Cortez, AFP

Taux d’homicide record, emprise des narco-trafiquants jusque dans les prisons, banditisme organisé, conflits armés latents… L’Amérique latine compte parmi les territoires les plus violents du monde. Que peuvent les États face à la contestation de leur autorité ? Les exemples de l’Équateur, du Salvador, de Haïti, de la Colombie, du Venezuela.

Une émission de Julie Gacon et Mélanie Chalandon.


Premier épisode. De l’Équateur au Salvador : la guerre contre les gangs est déclarée.

Autrefois considéré comme un havre de paix, l’Équateur fait face à une explosion des violences criminelles depuis le début du mois de janvier 2024. Le président Daniel Noboa, arrivé récemment au pouvoir, a déclaré que son pays était “en guerre” contre les gangs, à l’image du Salvador où le président Nayib Bukele a lui aussi fait de la guerre aux gangs la priorité de son mandat. Sa méthode : le recours à l’armée, l’État d’urgence permanent, une justice expéditive et la construction de méga-prisons. 

Les forces armées équatoriennes maîtrisant les prisonniers du complexe pénitentiaire régional 8 lors d’une opération à Guayaquil, le 18 janvier 2024 ©AFP – Handout / Ecuadorean Armed Forces / AFP

Le 9 janvier, suite à une nouvelle flambée de violences spectaculaires en Équateur enclenchée par l’évasion d’un des plus dangereux criminels du pays, José Adolfo Macias Villamar, alias « Fito » et chef du gang Los Choneros, le président tout juste élu, Daniel Noboa, déclarait son pays “en état de conflit armé”. Il est prêt à mener une véritable guerre contre les gangs via notamment la mobilisation de l’armée. Le pays, autrefois considéré comme un “havre de paix” en Amérique latine, est devenu un des pays les plus dangereux du continent. La violence existe aussi bien dans les prisons que dans la rue, le pays connaît un taux d’homicides qui est passé de cinq à quarante-six assassinats pour 100 000 habitants entre 2017 et 2023.

Au Salvador, le président Nayib Bukele a lui aussi fait de la guerre aux gangs la priorité de son mandat. Sa méthode : le recours à l’armée, l’état d’urgence permanent, une justice expéditive et la construction de méga-prisons. Sans oublier la campagne de communication ventant les résultats de sa politique. Le 3 janvier, le président en campagne électorale annonçait que le Salvador était désormais l’un des pays les plus sûrs de la région. De fait, le Salvador est devenu un “modèle” pour ses voisins où de nombreux dirigeants – à commencer par Daniel Noboa – promettent de s’inspirer des méthodes Bukele.

  • Sunniva Labarthe, chercheuse en sociologie, docteur à l’EHESS/CESPRA
  • Thierry Maire, chercheur associé au CEMCA, affilié au centre Maurice Halbwachs, professeurs invité permanent à l’ESEN au Salvador

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Le « modèle Bukele » : la tentation de l’autoritarisme en Amérique latine (Johanna Beeckman  et Angeline Montoya / Le Monde)


Deuxième épisode. Groupes armés en Haïti : le pouvoir dépassé

Entre bandes criminelles surpuissantes, brigades d’autodéfense chauffées à blanc et mercenaires de la sécurité privée, l’État haïtien, complètement dépassé, est incapable de maîtriser la flambée de violence qui s’étend en Haïti.

Les forces de la police haïtienne sont incapables d’endiguer l’expansion territoriale des gangs, qui contrôlent aujourd’hui les trois quarts de Port-au-Prince. ©AFP – Richard Pierrin

Dans les quartiers de Port-au-Prince, à Cité Soleil, Carrefour Feuille ou Martissant, partout les mêmes scènes se rejouent. Des riverains qui ne dorment que d’une oreille et bondissent de leur lit quand, au beau milieu de la nuit, des rafales d’armes automatiques retentissent. Ce bruit, c’est le signal de départ pour les populations contraintes de quitter leur domicile pour éviter d’être enlevées, violées ou décapitées par les gangs contrôlent aujourd’hui les trois-quarts de la capitale haïtienne. Si la violence a toujours été présente en Haïti, elle atteint aujourd’hui des sommets. Pour la seule année 2023, 8 000 personnes ont été tuées et 200 000 autres ont été déplacées selon l’ONU. L’État, qui a longtemps assis son autorité sur le recours à ces groupes armés, semble complètement dépassé. Le Premier ministre Ariel Henry, qui assure l’intérim depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, n’a aucune légitimité et ne peut opposer à ces puissants gangs qu’une poignée de policiers impuissants. Son pouvoir de façade ne tient qu’à un fil – et surtout à l’espoir de voir une force policière internationale venir rétablir l’ordre dans le pays.

L’expansion territoriale et la montée en puissance des gangs témoignent-t-elles d’un effondrement de l’État, déjà très affaibli ? Jusqu’ici très liées aux élites politiques et économiques, les bandes armées sont-elles en train de prendre leur indépendance vis-à-vis du pouvoir ? Et enfin, comment les populations abandonnées par l’État s’organisent-elles pour assurer leur survie ?

  • Romain Le Cour Grandmaison, docteur en Science Politique de l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et expert senior chez Global Initiative.
  • Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI
  • Alice Corbet anthropologue, chercheuse au CNRS et au LAM (Laboratoire Afriques dans le Monde)

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Troisième épisode : Venezuela : de la criminalité à la violence d’État

Le 29 septembre dernier, le gouvernement de Maduro lançait une opération armée contre la prison de Tocorón, aux mains du groupe Tren de Aragua. Une politique violente de lutte contre la criminalité dont les résultats sont critiqués.

Policiers vénézuéliens lors de l’opération de reprise de la prison de Tocorón, le 29 septembre 2023 ©AFP – Yuri Cortez

Le gouvernement vénézuélien affirme aujourd’hui avoir démantelé El Tren de Aragua, gang qui essaime dans toute l’Amérique latine depuis plusieurs années. Pourtant, les principaux chefs de l’organisation avaient pris la fuite avant le début de l’opération, laissant planer des soupçons d’entente entre les autorités et les groupes armés.

Si l’insécurité a longtemps été une des préoccupations majeures des vénézuéliens – le pays compte parmi les plus violents du continent américain – les politique de lutte contre la criminalité et notamment la création de forces de polices toute puissantes, par Chávez puis Maduro semblent alimenter un cercle vicieux de violence. En effet, on compte encore en 2023 un taux de 26,8 morts violentes pour 100 000 habitants, quand la moyenne mondiale est de 5,8 pour 100 000 habitants. En 2016, lors du pic de violence, on a dénombré 28 479 morts violentes. De l’autre côté, les membres de gangs se disent poussés par la misère qui traverse, plongé dans l’hyperinflation depuis dix ans. 

L’opération contre la prison de Tocorón est-elle le signe d’une reprise des politiques sécuritaires, que Maduro a lancées à partir de 2016 ? Peut-on lier la crise qui ébranle le Venezuela à l’augmentation de la violence et de l’insécurité ? Violence politique, insécurité, violences policières… quelle est la responsabilité de l’État ?

  • Yoletty Bracho, docteure en science politique à l’Université Lumière Lyon 2
  • Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine à l’Université de Rouen et chercheur à l’ERIAC.

Focus : Les mères en résistance dans les barrios de Caracas. Avec Verónica Zubillaga, sociologue, professeure à l’Université Simon Bolívar de Caracas, en détachement à l’Université Columbia de New-York

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Quatrième épisode. Colombie : la “paix totale”, à quel prix ?

Élu en août 2022 le président de gauche – et ancien guérillero – Gustavo Petro a fait de la fin des conflits armés et de la réduction de la violence une de ses priorités. Il a même promis “la paix totale” autrement dit des négociations avec tous les groupes armés, politiques ou mafieux.

Négociations de paix officielles avec le gouvernement colombien et l’EMC, faction dissidente des FARC, dans la municipalité de Tibu, octobre 2023 ©AFP – Schneyder Mendoza / AFP

De nombreux processus de négociations avec les groupes armés, politiques ou mafieux, sont en cours avec quelques premiers résultats, notamment avec l’ELN (Armée de libération nationale), un mouvement de guérilla marxiste. Le 17 décembre 2023, un accord a été établi avec l’ELN pour mettre fin aux enlèvements et un 6e cycle de négociations entre ce groupe et le gouvernement colombien a démarré à Cuba le 24 janvier 2024. Dans ce cas précis, cette négociation se fait au niveau national, chaque partie a une équipe de négociateurs qui la représente. Actuellement la négociation a fixé essentiellement un agenda en 6 points, un début de calendrier, une méthodologie et un cessez-le feu entre ELN et l’armée régulière. Néanmoins, l’ELN reste en conflit armé avec d’autres groupes armés encore actifs.

Mais l’ambition tout comme la méthode Petro suscitent beaucoup de craintes et de critiques : la droite l’accuse de “livrer l’État au narcos”. D’autres se demandent ce que l’État peut offrir à des groupes qui n’ont pas intérêt à renoncer au pouvoir et au profit qu’ils tirent des trafics.

Un an et demi après son arrivée au pouvoir, où en est le projet de “paix totale” de Gustavo Petro ? Quelle est la méthode Petro pour désarmer avec ces groupes ? Pourquoi ce choix de négociations avec tous les groupes armés, au risque de perdre le soutien de la population et de mettre en péril la crédibilité de l’État ? Quel est le projet politique en parallèle pour enrayer les causes structurelles de la violence ?

  • Jacobo Grajales, professeur en science politique à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne
  • Lucie Laplace, chercheuse en science politique, de l’Université Lyon 2, du laboratoire Triangle, fellow à l’Institut Convergences Migrations

Focus : La Colombie est encore marquée par des assassinats ciblés contre des militants et représentants communautaires. Avec Julie Massal, chercheuse indépendante spécialiste de la Colombie et des mouvements sociaux

En 2023, 180 défenseurs droits de l’homme ont été assassinés en Colombie, une “situation inacceptable” selon Carlos Camargo, responsable du bureau du médiateur. Les victimes sont des représentants communautaires, indigènes, paysans et syndicaux, des défenseurs des droits humains ou de l’environnement et des fonctionnaires ou membres de la communauté LGBT+.

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