Amérique latine : la pandémie comme révélateur (Analyse de Pierre Salama / Contretemps)

La pandémie du Covid-19 affecte désormais l’ensemble de la planète, à des degrés et selon une temporalité qui varient suivant les régions concernées. La propagation de ce virus, parfois qualifié de « coronacapitalisme », est assurément le révélateur du fonctionnement du capitalisme néolibéral global. Il montre aussi bien les fractures géopolitiques existantes, que celles qui segmentent, sur le plan interne, nos sociétés, tout en mettant au grand jour les choix irresponsables de la plupart des différents gouvernements en placeces trente dernières années.

Dans ce texte, l’économiste Pierre Salama revient sur le scénario actuel en Amérique latine et souligne à quel point les classes populaires du sous-continent sont désormais soumis à une «double peine » : celle de la crise sanitaire dans un contexte de systèmes de santé délabrés et celle d’une crise économique qui va s’accroitre encore les inégalités sociales, le mal-développement et le travail précaire. Pierre Salama prêche néanmoins pour que ce moment d’incertitude et de tension soit d’abord, face aux Bolsonaro et consorts, celui de la solidarité. Il ajoute qu’il est urgent de mener de nouvelles réflexions, après l’échec des gouvernements progressistes, sur les alternatives à construire pour faire sortir l’Amérique latine de la dépendance et de l’extractivisme, afin de penser «un renouvellement complet de la manière de penser l’économique et le politique ».

« Un mal qui répand la terreur, mal que le Ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre… Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… ». Jean de la Fontaine : Les animaux malades de la peste.

Le Covid-19 provoque une crise d’une ampleur inégalée dans le monde : partout la production chute, le chômage enfle, les revenus baissent. Après avoir atteint les pays d’extrême Orient, puis l’Europe et plus tardivement les États-Unis, elle arrive dès à présent en Amérique latin et demain en Afrique.

Des gouvernements, pas tous, interviennent fortement, bousculent les principes sacrés auxquels ils se rattachaient hier. Ainsi en est-il de l’ampleur des déficits publics, de la prise en charge du chômage partiel par les États, des nationalisations possibles dans des secteurs considérés comme stratégiques… Et demain, probablement, ces gouvernements qui, hier encore, étaient adeptes d’une intervention de moins en moins importante de l’État dans l’économique et d’un alignement des services publics sur les règles du marchand, accepteront de déroger à ces règles et penseront à redéfinir les frontières entre le marché et l’État afin de retrouver un minimum de souveraineté sanitaire, voire de manière plus large, industrielle, si toutefois nous sommes capables de leur rappeler leurs engagements. Le discours interventionniste ne prédomine pas en Amérique latine, principalement au Mexique où le discours officiel consiste à privilégier les dépenses sociales mais sans dégager les moyens pour le faire, ou bien au Brésil où les décisions des ministres de la santé sont souvent contrecarrées par les présidents de la République.

Nous sommes confrontés à une crise manifeste de la globalisation. La pandémie est un révélateur des dysfonctionnements d’un capitalisme débridé où les États cédaient de plus en plus la place au marché, ici les firmes multinationales, mais aussi une fois la contagion prenant de l’importance, du retour des États/Nations. (…)

(…) Lire la suite ici