🇦🇷 L’Argentin Milei en croisade à Davos contre les “dangers du socialisme” (TV 5 Monde – AFP / Le Grand Continent)
Pour sa première sortie sur la scène internationale, le nouveau président argentin Javier Milei, auto-proclamé “anarcho-capitaliste”, a lancé mercredi dans un discours à Davos une virulente défense d’un capitalisme déchaîné, affirmant que “le monde occidental” était menacé par le “socialisme”.
S’il n’a pas rencontré son homologue français Emmanuel Macron, qui intervenait une heure après lui à la tribune, il a profité du déplacement pour une bilatérale avec la patronne du FMI et une discussion sur les Malouines avec le ministre des Affaires britannique. Et il s’est prêté au jeu de quelques selfies dans les couloirs du centre des congrès.
Dans son discours, combatif et émaillé de références empruntées à l’extrême-droite, Javier Milei a présenté le capitalisme, “attaqué par la doxa gauchiste”, comme “le seul système économique capable d’en finir avec la famine et la pauvreté”.
“Les principaux dirigeants du monde occidental ont malheureusement abandonné ces dernières années l’idée de liberté au profit de différentes versions de ce que nous appelons collectivisme” – des idées qui “mènent inexorablement au socialisme et donc à la pauvreté”, a-t-il clamé à la tribune.
Il s’adressait au Forum économique mondial après le lancement d’une série de réformes et de de mesures de dérégulation drastiques dans la foulée de sa victoire électorale le mois dernier, alors que l’Argentine connaît une inflation spectaculaire, de plus de 200% en 2023.
Javier Milei, qui a été comparé à l’ancien président américain Donald Trump pour ses positions et son style sans filtre, n’a pas hésité à dénoncer le “féminisme radical”, la “justice sociale”, ou “l’agenda sanglant de l’avortement”, des “idées nocives qui se sont installés dans nos sociétés”. Milei a notamment dévalué le peso de plus de 50%, mis fin à l’encadrement des prix, divisé par deux le nombre de ministères, et lancé un programme d’économies agressif.
Javier Milei, qui a été comparé à l’ancien président américain Donald Trump pour ses positions et son style sans filtre, n’a pas hésité à dénoncer le “féminisme radical”, la “justice sociale”, ou “l’agenda sanglant de l’avortement”, des “idées nocives qui se sont installés dans nos sociétés”.
Son discours était d’autant plus scruté que sa personnalité intrigue et sa vision étrangère interroge, entre “valeurs” claironnées et pragmatisme.
Il a affiché pour l’Argentine son “modèle basé sur les principes fondamentaux du libertarianisme: la défense de la vie, de la liberté et de la propriété”.
Et de lancer aux hommes d’affaires et entrepreneurs: “ne soyez pas intimidés par des parasites qui vivent uniquement de l’État, ne capitulez pas à l’avancée de l’État, qui n’est pas une solution mais le problème. Vous êtes des héros et vous pouvez compter sur l’Argentine comme votre inconditionnel allié”, a-t-il encore déclaré, avant de conclure son discours par son habituel “vive la liberté, bordel !”
Sur X, Elon Musk a approuvé par un message “vrai!” une vidéo du discours, au milieu d’une série de message de soutien de figures de l’extrême-droite américaine.
“Planter l’idée de la liberté”
Nombre des positions du président argentin sont en contradiction complète avec celles défendues par le Forum économique mondial. Javier Milei considère par exemple que l’humain n’est pas responsable du changement climatique. (…)
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Pour aller plus loin. Milei à Davos : le discours intégral commenté (Pablo Stefanoni / Le Grand Continent)
« Ne vous laissez pas intimider par les parasites qui vivent de l’État ». À Davos, dans un discours débité à toute vitesse face à Klaus Schwab, Javier Milei a voulu sauver « l’Occident » des dangers d’un capitalisme trop régulé. Il a suscité beaucoup de réactions — et quelques applaudissements gênés. Nous traduisons et commentons la première sortie internationale du paléo-libertarien à la tête de l’Argentine.
C’est vers la Suisse que le président argentin Javier Milei a entrepris son premier voyage à l’étranger depuis son entrée en fonction le 10 décembre. Il atterrit à Davos après avoir lancé un méga-décret qui réforme ou abroge plus de 300 lois et menace de supprimer l’État — et transmis au Congrès une « loi omnibus » tout aussi ambitieuse. Avec peu de pouvoir institutionnel et une faible présence parlementaire, le président libéral-libertarien cherche à utiliser son capital électoral — il a gagné avec plus de 55 % des voix — pour faire passer un programme de libéralisation économique radicale. Ce radicalisme découle non seulement de ses idées maximalistes, mais aussi du bilan de l’ère Macri : tant l’ancien président Mauricio Macri que Milei affirment que l’échec du gouvernement Macri (2015-2019) serait dû au « gradualisme ». Une grande partie des mesures rédigées par l’économiste Federico Sturzenegger, qui sont à la base des réformes de Milei, étaient en effet destinées à la candidate de droite Patricia Bullrich, qui est finalement arrivée en troisième position. Si le gouvernement actuel est donc le premier de Milei, il est aussi, en partie, le second de Macri, compte tenu de la présence de personnalités du parti de l’ancien président dans cette administration. Mais au-delà de ces éléments de continuité, il existe une dimension messianique chez Milei — qui évoque souvent des « forces du ciel » qui le soutiendraient dans sa mission de refondation et de libération. Celle-ci inclut le fantasme de refonder le pays par décrets, qui rencontrera des résistances, même si, pour l’instant, le président bénéficie des divisions de l’opposition et du pragmatisme d’un secteur centriste prêt à négocier une partie de ses réformes.
Juste avant son intervention, le président du Forum économique mondial, Klaus Schwab, a présenté Milei au panel présent à Davos en disant qu’il s’agissait d’une personne extraordinaire — peut-être beaucoup moins radicale qu’on ne le pense — qui cherchait à remettre l’Argentine sur la voie de l’État de droit. Le président argentin enchaîne : il lit l’ensemble de son discours très rapidement, sans quitter ses notes des yeux. Au fur et à mesure de sa lecture, le public se tend. À la fin — « vive la liberté, putain ! » — les applaudissements ne sont pas très nourris.
Javier Milei : Bonjour, merci beaucoup : je suis ici aujourd’hui pour vous dire que l’Occident est en danger. Il est en danger parce que ceux qui sont censés défendre les valeurs de l’Occident sont cooptés par une vision du monde qui — inexorablement — conduit au socialisme, et par conséquent à la pauvreté. Malheureusement, au cours des dernières décennies, motivés par certains désirs bienveillants d’aider les autres et d’autres par le désir d’appartenir à une caste privilégiée, les principaux dirigeants du monde occidental ont abandonné le modèle de la liberté pour différentes versions de ce que nous appelons le collectivisme.
Commentaire : Milei insiste dans son discours sur plusieurs de ses habituels clichés idéologisés à outrance. Il est frappant de constater qu’il n’y a absolument aucun élément nouveau et qu’il répète même, presque mot pour mot, un TED Talk1. Le président argentin reproduit un point de vue, typique de l’école économique autrichienne de Mises et Hayek, selon lequel toute réglementation étatique ne présenterait qu’une différence de degré par rapport au socialisme expérimenté dans le bloc communiste. Dans le même temps, il se pose en défenseur d’un « Occident en crise » — dont les alliés seraient les États-Unis et Israël — et étend sa critique de la « caste politique » — pièce maîtresse de son discours de campagne — à la sphère mondiale, ou du moins occidentale. Sans expérience internationale préalable, Milei lit, avec une certaine hésitation, un discours idéologique abstrait, sans aborder aucun des défis du monde actuel comme il est généralement d’usage à Davos — qu’il s’agisse de l’économie, de la politique internationale ou de la gouvernance mondiale.
Nous sommes ici pour vous dire que les expériences collectivistes ne sont jamais la solution aux problèmes qui affligent les citoyens du monde, mais qu’elles en sont au contraire la cause. Croyez-moi, il n’y a personne de mieux placé que nous, Argentins, pour témoigner de ces deux questions. Lorsque nous avons adopté le modèle de la liberté — en 1860 — nous sommes devenus en 35 ans la première puissance mondiale, tandis que lorsque nous avons embrassé le collectivisme, au cours des cent dernières années, nous avons vu comment nos citoyens ont commencé à s’appauvrir systématiquement, jusqu’à tomber au 140e rang mondial. Mais avant d’entamer cette discussion, il serait important, tout d’abord, d’examiner les données qui montrent que non seulement le capitalisme de libre entreprise est un système possible pour mettre fin à la pauvreté dans le monde, mais qu’il est aussi le seul système moralement souhaitable pour y parvenir.
Commentaire : Milei fait souvent appel à des concepts tels que le « collectivisme », que l’on retrouve chez les économistes autrichiens ou dans les essais et les romans de l’écrivaine russo-américaine Ayn Rand ; le monde serait divisé de manière binaire entre producteurs et pilleurs. Sur cette base, le président argentin a construit une vision décadente de l’histoire argentine. Comme le rappelle l’historienne Camila Perochena, pour Milei, « le tournant de cette décadence coïncide avec la mise en œuvre de la loi Sáenz Peña, qui établit le suffrage universel, secret et obligatoire et conduit à la participation active des « masses » dans l’arène politique […]. Ce n’est pas la formule sur les maux des « 70 ans de péronisme », répétée par l’espace politique de centre-droit dirigé par Mauricio Macri, mais celle des « 100 ans de démocratie ». Pour le libertarien, la « caste » serait arrivée au pouvoir par la main de la démocratie, bien qu’il ne le formule pas de manière explicite ». Milei n’est pas un démocrate. Il parle sans cesse de liberté, mais jamais de démocratie, qu’il associe à la « caste » politique, à la démagogie et à l’irrationalité, à l’instar des néo-réactionnaires américains qui ont théorisé la nécessité d’une sorte de néo-monarchie comme base d’un capitalisme plus « libre », plus innovant et plus efficace. Le discours officiel du « mileisme » est que la discussion parlementaire est une perte de temps face à l’urgence de la crise. L’affirmation décadentiste selon laquelle l’Argentine aurait été le pays le plus riche du monde se fonde sur des données du Maddison Project, selon lesquelles l’Argentine était en tête de cet indicateur en 1895. Elles ont donné lieu à diverses réfutations de la part d’historiens de l’économie. Même en admettant qu’elles soient vraies, une puissance ne se résume pas à l’importance de son PIB par habitant. Quoi qu’il en soit, Milei semble faire sienne la rétro-utopie d’un retour à l’Argentine du XIXe siècle — un pays avec peu de droits et pas de suffrage universel — dans une sorte de variante trumpiste sur le thème du « Make Argentina Great Again ».
Si l’on regarde l’histoire du progrès économique, on constate que, de l’an 1 à l’an 1800 environ, le PIB mondial par habitant est resté pratiquement constant pendant toute la période de référence. Si l’on regarde un graphique de l’évolution de la croissance économique au cours de l’histoire de l’humanité, on obtient un graphique en forme de crosse de hockey, une fonction exponentielle, qui est restée constante pendant 90 % du temps et qui augmente de manière exponentielle à partir du XIXe siècle. La seule exception à cette histoire de stagnation se situe à la fin du XVe siècle avec la découverte de l’Amérique. Mais à part cette exception, pendant toute la période comprise entre l’an 1 et l’an 1800, le PIB mondial par habitant a stagné.
Or non seulement le capitalisme a généré une explosion de richesses dès son adoption en tant que système économique, mais si l’on examine les données, on constate que la croissance s’est accélérée tout au long de la période.
Pendant toute la période comprise 1 et 1800, le taux de croissance du PIB par habitant est resté stable, autour de 0,02 % par an. À partir du XIXe siècle, avec la révolution industrielle, le taux de croissance passe à 0,66 %. À ce rythme, le doublement du PIB par habitant nécessiterait 107 années de croissance
Maintenant, si l’on considère la période entre 1900 et 1950, le taux de croissance s’accélère pour atteindre 1,66 % par an. Et si nous prenons la période entre 1950 et l’an 2000, nous constatons que le taux de croissance est de 2,1 % par an, ce qui signifie que nous pourrions doubler le PIB mondial par habitant en seulement 33 ans. Cette tendance, loin de s’arrêter, est toujours d’actualité. Si nous prenons la période entre 2000 et 2023, le taux de croissance s’est encore accéléré pour atteindre 3 % par an, ce qui signifie que nous pourrions doubler notre PIB par habitant dans le monde en seulement 23 ans.
Si l’on considère le PIB par habitant de 1800 à nos jours, on constate qu’après la révolution industrielle, le PIB mondial par habitant a été multiplié par plus de 15 — générant une explosion de richesse qui a permis à 90 % de la population mondiale de sortir de la pauvreté. N’oublions jamais qu’en 1800, près de 95 % de la population mondiale vivait dans une pauvreté abjecte, alors que ce chiffre est tombé à 5 % en 2020, avant la pandémie.
La conclusion est évidente : loin d’être la cause de nos problèmes, le capitalisme de libre entreprise en tant que système économique est le seul outil dont nous disposons pour mettre fin à la faim, à la pauvreté et à la misère dans le monde. Les preuves empiriques sont incontestables. C’est pourquoi, parce qu’il ne fait aucun doute que le capitalisme de libre marché est supérieur en termes de production, la doxa de gauche a attaqué le capitalisme pour ses problèmes de moralité, parce qu’il est, disent ses détracteurs, injuste.
Ils disent que le capitalisme est mauvais parce qu’il est individualiste et que le collectivisme est bon parce qu’il est altruiste, avec l’argent des autres, et qu’ils luttent donc pour la « justice sociale ». Mais ce concept, qui est devenu à la mode dans le premier monde au cours de la dernière décennie, est une constante du discours politique dans mon pays depuis plus de 80 ans. Le problème est que la justice sociale n’est pas seulement injuste, mais qu’elle ne contribue pas non plus au bien-être général. Au contraire, c’est une idée intrinsèquement injuste, parce qu’elle est violente. Elle est injuste parce que l’État est financé par les impôts et que les impôts sont prélevés de manière coercitive : est-ce que l’un d’entre nous peut dire qu’il paie des impôts volontairement ? Cela signifie que l’État est financé par la coercition et que plus la charge fiscale est élevée, plus la coercition est grande — et moins il y a de liberté. (…)
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