Quel avenir politique pour Lula ? (analyse de Christophe Ventura / IRIS)

Le lundi 8 mars 2021 restera à n’en pas douter une date clé de la vie politique au Brésil. En déclarant que le tribunal de Curitiba (État du Paraná) n’était en fait pas « compétent » pour juger l’ancien président du Brésil (2003-2011), Luiz Inácio Lula da Silva, dans quatre affaires présumées de corruption, en annulant de ce fait, pour cette raison de procédure, les condamnations de l’ancien président et en rétablissant l’ensemble de ses droits politiques, le juge de la Cour suprême (Tribunal suprême fédéral, TSF) Edson Fachin a projeté le pays dans une nouvelle situation politique. Et ce à un an d’une élection présidentielle qui interviendra dans un pays meurtri par la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 et qui s’apprête à affronter ses conséquences économiques et sociales.

Pour motiver sa décision – intervenue suite à un recours juridique engagé par les avocats de Lula en novembre 2020 -, le juge Fachin a notamment développé deux arguments. Le premier est que le tribunal serait incompétent dans la mesure où son mandat consistait à instruire les cas de corruption liés à l’affaire dite « Lava Jato »[1] (éclatée en 2014) et qu’aucun lien matériel n’a pu être établi entre Lula et cette dernière. Le deuxième consiste à affirmer que le principe du « juge naturel » n’a pas été respecté dans le procès de Lula. Ce principe de droit établit, de manière schématique, qu’un accusé ne peut choisir le juge qui le jugera et qu’un juge ne peut, à l’inverse, choisir l’accusé qu’il va juger. Il s’agit d’un principe d’impartialité et de neutralité du juge et de l’institution judiciaire. En rendant cet avis, Edson Fachin observe, sans le nommer, que ce principe n’a pas été respecté avec Sergio Moro, le juge fédéral de Curitiba en charge de l’enquête « Lava Jato » et du procès contre Lula[2].

La décision du juge du TSF aura un impact majeur sur l’avenir personnel et politique de Lula, mais peut être aussi sur celui de Sergio Moro. Ce dernier, dont les méthodes, les agissements et le parti pris contre Lula ont été maintes fois dénoncés et documentés va, de surcroît, faire l’objet d’une autre procédure, également lancée à l’initiative des avocats de Lula. Le déclenchement de cette procédure – dite de « suspicion » – a été considéré recevable, le 9 mars 2021, par une commission d’étude de la Cour suprême. Elle permet d’ouvrir une enquête visant à déterminer la partialité d’un magistrat dans une affaire et d’annuler, le cas échéant, tous ses jugements et ses condamnations si cette « suspicion » est avérée. Les juges (par quatre voix contre une) ont accepté d’enclencher cette procédure, sans toutefois se prononcer à cette étape sur son calendrier de mise en place.

Ainsi, la défense de Lula veut non seulement prouver l’innocence de son client, mais également disqualifier le juge Sergio Moro en soulignant l’illégalité et la dimension arbitraire de son jugement. Ils veulent démontrer que son objectif était, depuis le départ, de poursuivre une « persécution politique » contre l’ancien président.

Le seul juge à avoir voté contre l’ouverture d’une enquête de « suspicion » contre Sergio Moro n’est autre que… Edson Fachin, connu pour sa proximité avec le juge de Curutiba. Cette singulière situation aux apparences paradoxales donne en réalité lieu à une interprétation qui circule parmi nombre d’acteurs politiques et médiatiques brésiliens. De nombreux éléments à charge permettant de prouver la partialité de Sergio Moro existent. Sa disqualification éventuelle au terme d’une enquête de « suspicion » affecterait l’ensemble de l’institution judiciaire et pourrait remettre en cause de nombreuses condamnations prononcées dans le cadre de l’affaire « Lava Jato » dont il avait la charge. Dans le cas de Lula, une telle issue signifierait une reconnaissance définitive de son innocence. Pour éviter un tel scénario, Edson Fachin – qui a toujours voté contre Lula par le passé à chaque fois que la défense de ce dernier a déposé des recours devant le TSF avant son incarcération – aurait pris l’initiative. D’un côté, accorder à Lula l’annulation immédiate de ses condamnations sur une question de procédure, la reprise à zéro de ses procès dans une autre juridiction (celle de Brasilia) à une échéance suffisamment lointaine pour que l’ancien président puisse, entre temps, se présenter, s’il le souhaite, à l’élection présidentielle de 2022, et s’assurer une immunité s’il la remportait. De l’autre, éviter une enquête contre Sergio Moro du fait que, selon Edson Fachin, si « le tribunal de Curitiba a été déclaré incompétent, il n’y a plus lieu d’enquêter sur l’action du juge ». Mais cette stratégie n’a pas été suivie par ses pairs dont certains dénoncent publiquement la partialité du juge Moro.

Quoi qu’il en soit, ces deux décisions prises au sein d’une institution dont on observe les divergences internes vont connaître des développements imprévisibles aujourd’hui. Toutefois, plusieurs scénarios sont possibles.

Dans les deux cas évoqués, les décisions des juges peuvent faire l’objet d’un appel de la part du procureur général de la République, Augusto Arras, nommé par le président Jair Bolsonaro. Dans le cas de Lula, c’est déjà chose faite depuis le 12 mars 2021. En effet, la sous-procureure générale Lindôra Araújo a déposé, au nom du parquet, ce recours en indiquant que « dans la perspective de préserver la stabilité procédurale et la sécurité juridique, les condamnations doivent être maintenues et la procédure poursuivie ». Pour le parquet, le tribunal de Curitiba est donc compétent et ses décisions doivent être respectées. C’est donc désormais l’ensemble des onze juges du TSF réunis en session plénière qui devra cette fois confirmer ou désavouer la décision de leur pair. S’ils la confirment, Lula verra donc s’annuler toutes les condamnations qui pèsent contre lui et pourra reprendre une activité politique (en attendant la réouverture ultérieure de ses procès à Brasilia). S’ils l’infirment, alors la situation antérieure prévaudra de nouveau, sous réserve de nouveaux rebondissements.

Dans ces conditions, l’ancien président pourra-t-il être candidat en 2022 ?

Il est impossible de répondre définitivement à cette question aujourd’hui. D’une part, des rebondissements judiciaires sont toujours possibles, même s’il paraît périlleux pour le TSF de remettre en cause, dans le nouveau contexte créé, la décision prise. Et ce, malgré l’appel déposé par un parquet proche du président Jair Bolsonaro avec lequel la Cour suprême entretient une détérioration constante de ses rapports (confrontation autour de la question de la gestion de la crise sanitaire notamment).

Par ailleurs, sur le terrain directement politique, dans son discours prononcé le 10 mars 2021 au siège du syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo à Sao Paulo – là où il avait donné son dernier discours avant de se rendre à la police et d’être incarcéré en avril 2018 sur ordre de Sergio Moro -, l’ancien président Lula n’a pas abordé la question de sa candidature, préférant indiquer ses priorités immédiates : contribuer à l’élaboration d’un projet national prenant l’exact contrepied de Jair Bolsonaro en matière de gestion sanitaire, de politique économique, agricole, d’emploi, de transition écologique et climatique, de politique étrangère, etc. Et de préciser dans ce dernier domaine, à l’attention de l’Union européenne (UE), faisant implicitement référence à l’accord de libre-échange UE/Mercosur, que le Brésil ne saurait se satisfaire d’un accord commercial lui permettant seulement d’exporter un peu plus de ressources agricoles vers l’UE tandis que les Européens verraient, eux, l’espace de leurs exportations industrielles et de produits technologiques au Brésil s’accroître. Ainsi, il a réaffirmé que le « Brésil veut être un pays industrialisé. Le Brésil veut avoir de nouvelles industries, le pays veut posséder de nouvelles technologies », a-t-il lancé. (…)

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Voir également Brésil: annulation des condamnations judiciaires contre Lula (revue de presse)