Les prisonnier·es politiques mapuche continuent de lutter pour leurs terres et la liberté (Edgars Martinez Navarrete – NACLA / Traduction Ritimo)

L’emprisonnement de militants mapuche est l’un des nombreux outils utilisés par l’arsenal de contre-insurrection de l’État chilien.

Cet article, publié en anglais par North American Congress on Latin America (NACLA) a été traduit vers le français par Ritimo

Manifestation exigeant la libération des prisonnier·es politiques mapuche.
Crédit : Ferran Legaz (CC BY-ND 2.0)

Le 4 mai 2020, le Machi (chef spirituel mapuche) Celestino Córdoba, détenu dans la prison de Temuco au Chili, a entamé une grève de la faim pour exiger le respect des droits des Autochtones tels qu’ils sont garantis par le droit international. Plusieurs Mapuche dans une autre prison l’ont suivi. Quelques semaines plus tard, le nombre total de Mapuche en grève de la faim derrière les barreaux à Temuco, Angol et Lebu, est monté à vingt-sept.

Les grévistes de la faim ont appelé le gouvernement chilien à remplir ses obligations, souscrites dans la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). La Convention souligne le droit des peuples autochtones à un consentement libre, préalable et informé concernant des projets prévus sur leur territoire. Cependant, elle stipule également que les autorités et les cours de justice doivent prendre en considération « les coutumes … au regard des affaires pénales » et donner la préférence « à des formes de punition autres que la détention en prison ».

Des proches et des porte-paroles ont fait une déclaration annonçant la grève de la faim du Machi Córdoba et appelé à la solidarité. Ils ont dit que cette action a marqué « un pas vers la mobilisation car il vaut mieux mourir en luttant qu’à genoux devant un système oppressif qui s’acharne à nous soumettre ».

Córdoba avait été condamné à dix-huit ans de prison en 2014 suite à la mort d’un couple de personnes âgées lors d’une action de récupération de terres. Il soutient que les autorités l’ont pris pour cible pour étouffer les revendications territoriales mapuche.

Par leur grève, Córdoba et les autres prisonniers politiques mapuche utilisent leur corps comme un outil de résistance face à la violence de l’État, la répression policière et l’accaparement de leurs terres par les propriétaires terriens et les entreprises multinationales. Ceux qui détiennent le pouvoir économique les dénigrent en les taxant de « terroristes » et « d’ennemis intérieurs », mais les grévistes offrent leur newen (force) pour rechercher la liberté de leur peuple.

Le 18 août, Córdoba a mis fin à sa grève de la faim après cent sept jours. Conséquence de la solidarité des autres prisonnier·es en grève et des mobilisations partout dans le monde, le Machi (chef spirituel) a pu négocier des accords minima, y compris la permission de visiter son rewe (autel sacré) et des garanties que les grévistes de la faim ne subiront aucune représailles. D’autres prisonniers politiques mapuche continuent la grève de la faim. Le 24 août, les grévistes de Lebu et Angol ont entamé une grève sèche, une des formes les plus extrêmes de protestation que peuvent prendre des prisonnier·es. Puis, le 3 septembre, les prisonniers d’Angol ont mis fin à leur grève après cent vingt-trois jours. Le 10 septembre, les prisonnier·es de Lebu et Temuco ont aussi interrompu leur grève, après soixante-six et cinquante-quatre jours respectivement.

Tout au long des semaines de grève de la faim, le gouvernement chilien s’est montré peu enclin à résoudre le conflit. La revendication centrale des grévistes / que les autorités alignent les sentences de prison liées aux dossiers concernant les autochtones sur les critères de la Convention 169 de l’OIT, adoptée par le Chili il y a au moins 10 ans.

Connaître les raisons de l’emprisonnement de membres de la communauté mapuche est fondamental pour comprendre la grève de la faim. Au petit matin du 29 janvier, plus de cent policiers sont violemment entrés dans cinq maisons de la Vallée d’Elikura, en territoire Lavkenche (sur la côte) du Wallmapu (l’entièreté du territoire mapuche). Après avoir donné des coups, battu et maltraité les familles, ils ont arrêté Matías Leviqueo, Eliseo Raiman, Guillermo Camus, Esteban Huichacura, Carlos Huichacura et Manuel Huichacura. Les détenus ont été mis en garde à vue pour leur soi-disant participation dans la mort d’un voisin dans la région.

Manifestation en soutien aux prisonnier·es mapuche en grève de la faim. Crédit : Edgar Gomez 

Lors d’une audience préliminaire, il est clairement apparu que les seules preuves contre eux provenaient de déclarations de témoins protégés. Les soi-disant témoins se contredisaient les uns les autres et n’ont pas pu faire le lien entre les accusés et le crime. Malgré ces failles légales, les peñi (hommes mapuche) de la Vallée de Elikura ont été transférés à la prison de Lebu, où ils ont ensuite participé à la grève de la faim.

La contre-insurrection cible la Weichan (la résistance) comme un « ennemi intérieur »

Pendant les années 1990, l’émergence du mouvement mapuche en général, et sa ligne autonomiste en particulier, a pour la première fois mis à mal le caractère mono-culturel de la nation chilienne. Des gens qui cherchaient à radicalement transformer leur réalité mettaient en question la chilénisation-créole imposée depuis toujours par le sang, le feu et la loi. Ce processus s’est cristallisé durant la dictature de Pinochet qui avait notoirement proclamé que « il n’y a plus de Mapuche parce que nous sommes tous Chiliens ». Les promesses culturelles gouvernementales défectueuses n’ont pas pu contenir l’auto-détermination mapuche à la fin du siècle dernier.

Au cours de la décennie, les actions de récupération de terres sont montées en puissance et les organisations politiques se sont multipliées. La Weichan (résistance), une tradition mapuche historique, est devenue la praxis de certains secteurs qui ont commencé à se méfier des institutions néolibérales. Les premières démonstrations d’insubordination collective durant cette période ont eu lieu dans la région Lavkenche, ce qui a mené à la création du Comité de Coordination Arauco Malleco (CAM). Cela a motivé un legs de rébellion qui continue aujourd’hui. Les revendications territoriales de la Vallée Elikura sont le produit d’une génération Lavkenche qui a grandi et s’est entraînée dans ce cycle insurrectionnel.

Voyant leurs intérêts menacés en pleine ascendance du « miracle chilien » néolibéral, les classes dirigeantes ont réarrangé leurs structures de pouvoir pour faire face à la résurgence d’un nouvel « ennemi interne ». Leurs discours dépeignaient les Mapuche en lutte comme des terroristes racialisés. Il semble que la criminalisation ait été le meilleur moyen d’affronter cette menace. Ainsi a commencé un nouveau cycle de conflit de basse intensité, c’est-à-dire une contre-insurrection basée sur des mécanismes coercitifs de soumission, cooptation, exploitation et persécution des ennemis du modèle néolibéral. (…)