🇨🇴 L’avenir progressiste de la Colombie (Ernesto Samper Pizano / Le Grand Continent)


L’arrivée au pouvoir de Gustavo Petro et de sa vice-présidente Francia Márquez à la tête de la Colombie ouvre une brèche. Critiqué, passé au crible, le tournant politique du pays a aussi été porteur d’espoir dans le reste de l’Amérique latine. Pour l’ancien président colombien Ernesto Samper, cette rupture pourrait marquer, sur le temps long, une transformation démocratique historique.

AP Photo / Iván Valencia

L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement progressiste pour la première fois implique des défis extrêmement complexes pour la Colombie. Après plusieurs années d’hégémonie de la droite avec un accent néolibéral marqué, le pays est confronté, sur le plan économique, à une situation qui exige des réponses différentes de celles qui ont scrupuleusement été appliquées ces dernières années. À cela s’ajoute l’attitude du gouvernement sortant d’Iván Duque qui a pris ses distances avec l’accord de paix entre l’État et la guérilla des FARC (accords de La Havane), qui a mis fin à plus d’un demi-siècle de guerre, mais dont les engagements ont été ignorés au motif que les responsabilités étaient exclusives à l’administration précédente et ne liaient pas nécessairement les gouvernements suivants. Et ce, malgré le fait que la Cour constitutionnelle ait expressément déclaré que le pacte de paix devait être mis en œuvre et maintenu au moins jusqu’en 2030, précisément pour éviter le récit court termiste consistant à éviter les responsabilités assumées non pas par le gouvernement, mais par l’État.

Réforme fiscale : une nouvelle structure pour les impôts

La première transformation, la plus urgente, concerne la fiscalité. La Colombie, avec un coefficient de Gini proche de 0,52, est le deuxième pays le plus inégalitaire d’Amérique latine, ce qui est d’autant plus grave qu’il s’agit de la zone où la concentration moyenne des richesses est la plus élevée au monde.  À cela s’ajoute l’état déplorable des finances publiques reçues par cette administration, avec un déficit fiscal proche de 6,8 % du produit intérieur brut, selon l’économiste Salomón Kalmanovitz. Avec une telle disproportion, les nouvelles autorités devront retrouver des sources de revenus non seulement pour réduire cette disproportion, mais aussi pour entreprendre une grande partie des projets sociaux. 

La Colombie vise également à réduire la concentration des revenus, un objectif qui a stagné ces derniers temps, alors que d’autres pays d’Amérique latine ont progressé dans ce domaine, notamment ceux qui faisaient partie du cycle progressiste au début du siècle. L’un des défis les plus complexes de la politique fiscale colombienne a été de faire en sorte que les impôts soient payés en proportion de la richesse. Malheureusement, la structure fiscale est régressive et permet au grand capital de ne pas payer en proportion de sa richesse. Et une partie de celle-ci, que l’État devrait pouvoir suivre, se trouve dans des paradis fiscaux. Il suffit d’observer les scandales qui ont suivi la publication des Panama et Pandora Papers pour se faire une idée de la gravité de la question.   

C’est pourquoi la réforme fiscale apparaît comme une opportunité d’assainir les finances, de parvenir à un meilleur équilibre avec des impôts progressifs et de disposer de sources de financement permanentes pour les programmes sociaux, qui sont les marques indéniables d’un gouvernement progressiste.

La « paix totale », une aspiration d’État  

La Constitution de 1991 a sacralisé le droit à la paix et l’a défini comme « l’une des fins essentielles de l’État ». Depuis lors, plusieurs gouvernements ont fait des efforts pour parvenir à la paix, principalement par la négociation, jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Álvaro Uribe en 2002. À partir de ce moment-là, la théorie selon laquelle il est possible d’obtenir la paix par la guerre s’est imposée. Pendant huit ans, une offensive a été menée avec des effets désastreux sur le droit international humanitaire et les droits de l’homme. La Colombie a régressé, mais heureusement, lors du second mandat de Juan Manuel Santos, un accord de paix définitif a été conclu avec les FARC.  

Petro et Márquez ont souligné la nécessité de sauver la paix dont parle la Constitution dans ses articles 22 et 95, qu’ils définissent comme « totale ».  Il s’agira de travailler sur trois dimensions dans les années à venir, et pas seulement pendant le mandat de ce gouvernement. Tout d’abord, comprendre que la sécurité ne s’impose pas par la force et encore moins par la présence policière et militaire. L’État est, par essence, l’investissement social, l’administration de la justice et le dialogue social permanent, et non un mécanisme destiné à « éteindre les incendies ».  Deuxièmement, cet effort doit envisager une négociation de paix qui prendra sûrement du temps et dont les résultats ne seront pas immédiats, encore moins s’il est décidé de « négocier sous le feu des balles ». Toutefois, l’annonce que des accords partiels sont envisagés afin d’instaurer la confiance entre les parties pourrait signifier des avancées intermédiaires qui génèrent un sentiment d’appartenance au processus de paix et convainquent les sceptiques, comme ce fut le cas lors des pourparlers de La Havane. (…)

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Voir également En Colombie, le président Gustavo Petro engage une ambitieuse réforme agraire (Marie Delcas / Le Monde / article réservé aux abonné.e.s)