Bolivie : une victoire de la dignité face au fascisme. Entretien avec Adriana Guzmán (Contretemps)

Dimanche 19 octobre ont enfin eu lieu les élections dans l’État plurinational de Bolivie. Avec quelque 55,1 % des suffrages, la liste du Mouvement vers le Socialisme (MAS), dirigée par Luis Arce et David Choquehuanca, l’emporte clairement sur celle de Carlos Mesa (28,8 %). Il faut encore que le décompte définitif confirme les résultats, mais l’écrasante victoire du MAS a déjà été reconnue, et pas seulement par ses partisans : c’est même le cas des acteurs du coup d’État qui a renversé Evo Morales en novembre 2019. 

La joie a franchi les frontières. Le résultat des élections reflète la résistance opposée par le peuple pendant onze mois dans la rue. Les peuples du monde entier l’ont célébré, en particulier ceux d’Amérique latine pour qui cette victoire représente une bouffée d’oxygène dans une situation très négative partout ailleurs.

Adriana Guzmán est aymara, féministe communautaire antipatriarcale et l’une des premières à avoir dénoncé le coup d’État de 2019 pour ce qu’il était réellement : un coup d’État raciste et pro-oligarchie, sans aucun doute ni demi-teinte. Elle a été interviewée par Karina Hohales, militante féministe chilienne, pour Jacobin América Latina à propos du résultat des élections. Contretemps propose ici la traduction de cet entretien réalisé à chaud concernant cette nouvelle étape qui s’ouvre pour le pays andin.

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Bonjour Adriana, c’est un plaisir de parler avec toi dans des circonstances bien différentes de celles de notre dernier rendez-vous. Je voudrais d’abord t’interroger sur l’appréciation que tu portes sur les résultats des élections.

C’est un triomphe du peuple, des polleras et des wiphalas [les jupes et les emblèmes des populations indigènes]. Un triomphe de la dignité face au fascisme, face au racisme. C’est un message adressé aux peuples du monde. Cette victoire est la nôtre, c’est celle des peuples, parce que le coup d’État a prétendu nous soumettre, mais au long de ces onze mois de résistance, de réorganisation, nous avons montré que nous voulons accéder au « bien vivre », vivre dans la dignité, et qu’il n’y a place ici ni pour le fascisme ni pour le racisme.

L’OEA a félicité Luis Arce pour sa victoire. C’est pourtant cette même organisation qui a joué un rôle déterminant lors des élections de2019 en refusant de reconnaître la victoire d’Evo Morales. Qu’est-ce qui a changé, d’après toi ?

C’est que le résultat a été si écrasant… À vrai dire, nous-mêmes ne nous attendions pas à un tel écart. C’est si flagrant que personne ne peut le contester : la volonté du peuple bolivien est que le MAS revienne au pouvoir. Flagrant y compris pour Luis Almagro [secrétaire général de l’OEA], pour Jeanine Áñez [présidente de facto de la Bolivie], pour Arturo Murillo [entrepreneur et ministre de l’intérieur] (partisans de la manière forte et du fascisme) et même pour les secteurs de la « Media Luna. Un tel écart a empêché qu’ils manipulent les élections et se livrent à des fraudes.

Je pense que cela a évité, également, en grande partie, que le gouvernement de facto le refuse et s’engage dans la répression. À l’évidence, l’OEA n’avait pas d’autre choix que de saluer ce résultat. Mais cette victoire électorale ne nous fait pas oublier le rôle de l’OEA, le rôle d’Almagro, leur dénonciation en 2019 d’une « fraude » qui n’a jamais été prouvée et nous attendons que soient conduites les procédures internationales appropriées à leur encontre, parce qu’ils sont responsables des massacres perpétrés en Bolivie. (…)

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