Brésil : les corps des deux disparus de l’Amazonie auraient été retrouvés (revue de presse et vidéos)


Deux corps suppliciés, en cours d’identification, ont été retrouvés dans la vallée du Javari, où voyageaient Dom Phillips, journaliste britannique, et Bruno Pereira, spécialiste brésilien des peuples indigènes. Ils ne donnaient plus de nouvelles depuis le 5 juin. Un suspect a reconnu avoir enterré leurs corps et a montré aux autorités le lieu où ils se trouvaient, a annoncé mercredi la Police fédérale. Selon des militants indigènes locaux, Bruno Pereira était fréquemment menacé pour son combat contre l’empiètement sur les terres indigènes. Pour l’écrivaine Eliane Brum, « ils sont les toutes dernières victimes de la guerre menée par Bolsonaro contre la forêt ».

Voir ci-dessous : la tribune de Eliane Brum (Bastamédia), les articles publiés par Libération et RFI, et des vidéos de France 24.

Les chances de retrouver Dom Phillips et Bruno Pereira vivants, disparus depuis le 5 juin, s’amenuisaient de jour en jour. (Evaristo/AFP)

« La disparition de Dom Phillips et Bruno Pereira
marque un basculement dans la guerre contre l’Amazonie »
(Eliane Brum / Bastamédia / 16 juin

Traduction par Philippe Aldon / Autres Brésils)

Tôt, le lundi matin du 6 juin, j’ai été surprise par un message sur WhatsApp. On me demandait si Tom Phillips, le correspondant du Guardian au Brésil, était porté disparu dans la vallée de Javari, l’une des régions les plus dangereuses de l’Amazonie. Mon mari, Jonathan Watts, qui est rédacteur en chef de la rubrique environnement du journal britannique, vit en Amazonie avec moi. Tom, qui était chez lui à Rio de Janeiro, a rapidement répondu au téléphone. Si ce n’était pas Tom, qui avait alors disparu ? Nous avons immédiatement pensé à Dom Phillips.

Manifestation de soutien à Dom Phillips et Bruno Pereira le 15 juin. (Raphael Alves/EPA)

La différence d’une lettre à peine dans les noms de deux journalistes qui écrivent pour The Guardian au Brésil prête souvent à confusion. Dom est un gars adorable, excellent journaliste, reporter expérimenté et responsable. Nous savions que Dom travaillait à la rédaction d’un livre sur la forêt. J’ai donc demandé à un dirigeant autochtone de la vallée de Javari de m’envoyer une photo de la personne disparue, afin que nous puissions en être sûrs. Avec l’image s’ouvrant à l’écran du téléphone, la certitude nous tordit l’estomac. C’était bien Dom. Notre Dom bien-aimé, avec le visage ensoleillé de celui qui n’a rien à cacher au monde, vêtu du vert de la forêt qui l’entourait.

La douleur est alors devenue plus poignante. Il fallait dire à sa femme, notre amie Alessandra, et à sa famille en Angleterre que Dom avait disparu depuis 24 heures. Il était également nécessaire d’informer le Guardian, le journal avec lequel Dom collabore le plus fréquemment. La personne qui voyageait avec Dom, Bruno Pereira, était l’un des leaders indigènes les plus importants de sa génération, démis de son poste à la FUNAI (Fondation nationale de l’indien) en 2019, par l’ancien ministre de la Justice Sergio Moro, pour avoir commandité une opération de répression des exploitations minières illégales. Bruno avait dû demander congé pour continuer à protéger les autochtones : sous le gouvernement de Bolsonaro, la FUNAI est devenue un organisme hostile aux autochtones.

Nous devions agir très rapidement, car nous savions que le gouvernement Bolsonaro ne ferait rien sans forte pression. Notre crainte allait bientôt s’avérer légitime : le retard délibéré du gouvernement dans la mobilisation des ressources humaines et matérielles pour retrouver les disparus est devenu une évidence dès le premier jour. « L’ordre » de déclencher les « missions humanitaires de recherche et de sauvetage » a mis longtemps à arriver. En tant que journalistes qui couvrons et vivons en Amazonie, nous savons que dans la forêt, le temps est un élément crucial. Chaque seconde compte.

Ce lundi 13 juin, je me suis réveillée d’une mauvaise nuit en apprenant que les corps avaient été retrouvés attachés à un arbre. Depuis la découverte du sac à dos, des vêtements, des bottes, restes matériels d’une vie, de gestes interrompus et de désirs, un froid s’est installé en moi, de l’intérieur vers l’extérieur, et j’ai passé la nuit à frissonner. Pour ce froid, il n’y a pas de couverture. Pour ce froid, il n’y aura jamais de couverture. Un peu plus tard, la nouvelle a été démentie. Les objets leur appartenaient, mais il n’y aurait toujours pas de corps. Au moment où nous écrivons ces lignes, nous ne savons toujours pas si les corps ont été retrouvés ou non. C’est une obscénité de plus de la situation actuelle du Brésil.

Depuis la semaine dernière, ma plus grande crainte était que les corps ne soient pas retrouvés car je partage la douleur déchirante des membres des familles de disparus politiques de la dictature militaro-entrepreneuriale que Jair Bolsonaro vante tant. Ne pas avoir de corps à pleurer, c’est la torture qui ne s’arrête jamais, c’est le deuil qui ne peut se faire et qui ne sera donc jamais surmonté. Pourtant, j’ai découvert ce lundi matin, qu’il y avait quelque chose en moi qui attendait un miracle parce que j’ai craqué. Il m’a fallu quelques heures pour rassembler ma colère et me remettre sur pied pour écrire ce texte. Et puis, j’ai craqué à nouveau devant l’horreur de ne pas savoir ce qui est vrai ou pas.

Bolsonaro en guerre contre l’Amazonie

Dom et Bruno sont probablement morts. Ils sont les toutes dernières victimes de la guerre menée par Bolsonaro contre la forêt, ses peuples et tous ceux qui luttent pour défendre l’Amazonie.

C’est ça le problème.

La disparition de Dom et Bruno n’est que la dernière violence en date dans une Amazonie piégée dans ce pays appelé Brésil, dirigé par un partisan de la dictature, des exécutions et de la torture appelé Jair Bolsonaro. Nous sommes en guerre. Et affirmer cela n’est pas de la rhétorique. C’est désespérant de continuer à crier que nous sommes en guerre et de ne pas être compris. Parce que comprendre, ce n’est pas être d’accord, retweeter ou liker ; c’est quelque chose de plus difficile : c’est agir comme des gens qui vivent une guerre. Si, au Brésil et dans le monde, les gens ne comprennent pas cela, les vies de ceux qui se trouvent sur le sol de la forêt, avec leurs corps en première ligne, auront encore moins de valeur qu’aujourd’hui. Et lorsque les leaders des peuples de la forêt, les environnementalistes, les défenseurs et les journalistes en première ligne seront morts, la forêt le sera aussi. Sans la forêt, l’avenir sera hostile pour les enfants déjà nés. Enfants, neveux, petits-enfants, frères et sœurs de ceux qui lisent ce texte. Vos proches. Vous. (…)

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Brésil: la mort de Bruno Pereira et Dom Phillips confirmée,
vague d’indignation dans le pays
(Martin Bernard / RFI / 17 juin)

Les dépouilles mortelles de Bruno Pereira et Dom Phillips, assassinés en Amazonie la semaine dernière, ont été acheminées par avion à Brasilia, la capitale brésilienne. Le double assassinat a soulevé une vague d’indignation au Brésil. 

Des officiers de la police fédérale portent un cercueil contenant les restes de corps de Bruno Pereira et Dom Phillips (Grande-Bretagne). Brasilia, 16 juin 2022. AP – Eraldo Peres

Après dix jours d’intenses recherches, la police fédérale a annoncé mercredi qu’un des deux suspects, le pêcheur Amarildo da Costa de Oliveira, avait reconnu avoir enterré les corps des deux hommes, disparus depuis le 5 juin lors d’une expédition dans la Vallée amazonienne du Javari (nord-ouest). Sur les lieux, la police a découvert des « restes de corps humains » ayant « 99 % de probabilité » d’appartenir aux deux hommes. Enfermés dans deux cercueil de bois, ils sont arrivés jeudi soir à Brasilia pour l’identification définitive. La police a communiqué tard jeudi sur les traces de sang retrouvées sur le bateau d’Amarildo da Costa de Oliveira lors de son arrestation la semaine dernière. Elles ne correspondent pas à l’ADN de Dom Phillips et des « examens complémentaires » sont nécessaires pour déterminer si c’est celui de Bruno Pereira. En outre, « aucun ADN humain n’a été détecté » dans les viscères trouvés flottant sur le fleuve. Cette découverte avait été annoncée par le président Jair Bolsonaro lors d’une interview radio qui avait conclu : « Tout porte à croire qu’on leur a fait du mal ».

L’enquête se poursuit pour déterminer le mobile du crime, les circonstances de la mort apparemment « par arme à feu », le rôle exact joué par les deux suspects arrêtés, Amarildo da Costa et son frère Oseney, et leurs éventuels complices. Selon la presse brésilienne, trois autres suspects ont été identifiés, dont le commanditaire présumé des meurtres. La police fédérale n’a pas confirmé l’information mais n’a pas exclu d’autres arrestations.

Les condoléances de Bolsonaro jugées insuffisantes

Jair Bolsonaro a discrètement présenté ses condoléances aux familles des victimes sur Twitter, mais le président brésilien a surtout fait face à une avalanche de critiques. « Ce meurtre cruel et brutal est la preuve concrète de l’absence totale de l’Etat brésilien en Amazonie et à l’égard de tous ceux qui donnent leurs vies pour lutter contre la déforestation », affirme Ana Toni, de l’institut Climat et Société. « Il semble, dit-elle, que l’État a livré l’Amazonie à des milices et à des criminels ». (…)

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Au Brésil, les corps des deux disparus de l’Amazonie
auraient été retrouvés
(François-Xavier Gomez et Julien Lecot / Libération / 13 juin)

La question était à la une de tous les médias brésiliens depuis une semaine : «Où sont Dom Phillips et Bruno Pereira ?» La triste réponse est probablement tombée ce lundi, alors que deux corps ont semble-t-il été retrouvés en Amazonie, région où ces défenseurs des communautés indigènes avaient été vus pour la dernière fois. La femme du journaliste britannique Dom Phillips, qui voyageait avec le spécialiste brésilien des peuples autochtones Bruno Araújo Pereira, raconte avoir reçu un appel de la police fédérale (PF) qui mène les recherches, l’informant de la découverte. Le Guardian, quotidien avec lequel collaborait le journaliste, parle lui aussi de deux corps marqués par des signes de violences retrouvés dans la jungle, attachés à des arbres, citant un cousin du journaliste. L’information est pour l’instant démentie par la police d’Etat de l’Amazonas ainsi que par l’Union des peuples indigènes de la vallée du Javari (Univaja).

Faible mobilisation de Bolsonaro

Dom Phillips s’était rendu dans la vallée du Javari, une zone très isolée de l’Etat d’Amazonas proche de la frontière avec le Pérou, pour écrire un livre sur les communautés de la région. Bruno Pereira, ancien fonctionnaire de la Funai, organisme gouvernemental de protection des populations autochtones, conseillait l’Univaja et accompagnait le journaliste dans cette région où l’activité illégale de mineurs, d’orpailleurs et de braconniers se traduit par des vols de terres et des violences contre les communautés indigènes. Les chances de retrouver les deux hommes vivants, disparus depuis le 5 juin, s’amenuisaient de jour en jour. Dimanche, au bord d’une rivière proche du domicile d’un suspect arrêté, des traces de sang et certains de leurs objets personnels avaient déjà été localisés : des bottes, une carte de santé au nom du Brésilien et un sac à dos contenant des vêtements du Britannique.

En début de matinée ce lundi, Jair Bolsonaro s’était déjà montré plus que pessimiste sur le sort des deux hommes. «Les indices nous font croire qu’il leur est arrivé quelque chose de mal», parlant notamment de «viscères humains» retrouvés dans l’Amazone. Et d’ajouter : «Il semble désormais très difficile de les retrouver en vie. Je prie Dieu pour que ça arrive.» Un discours plein de compassion pour le moins surprenant quand on sait que le président brésilien ne s’était pas particulièrement mobilisé pour retrouver Dom Phillips et Bruno Pereira.

Brasilia avait en effet mis du temps, beaucoup de temps, avant de daigner allouer des moyens aux recherches. Deux jours après leur disparition, le commandement militaire de l’Amazonie, dans un communiqué, s’était dit disponible «à réaliser une mission humanitaire», alors que les ordres venant du gouvernement brésilien n’arrivaient pas. Le Guardian, dans un édito, avait pour sa part appelé Brasilia à mettre en place rapidement «une opération complète de recherche et de sauvetage avec un réel soutien au niveau national», dénonçant l’apathie du Président qui ne trouvait rien de mieux que de blâmer les deux portés disparus pour s’être aventurés dans cette région «qui n’est recommandable pour personne» où «tout peut arriver».

Augmentation des agressions

L’inaction de Jair Bolsonaro était telle que la justice de l’État d’Amazonas avait demandé en milieu de semaine dernière au gouvernement de mobiliser hélicoptères, bateaux et effectifs pour participer à leur recherche. Vendredi, c’était au tour de l’un des juges du Tribunal suprême fédéral, plus haute instance de la justice brésilienne, d’assigner le gouvernement à prouver qu’il était actif et mettait des moyens pour les retrouver, sans quoi l’État serait condamné à une amende journalière de 100 000 reais (environ 19 000 euros) (…)

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Un suspect avoue avoir enterré
les corps des deux disparus en Amazonie (RFI / 16 juin)

« Hier soir nous avons obtenu les aveux du premier des deux suspects arrêtés (…) qui a raconté en détail comment le crime a été commis et nous a dit où les corps avaient été enterrés », a expliqué en conférence de presse le chef de la Police fédérale de l’État d’Amazonas, Eduardo Alexandre Fontes. Dix jours après la disparition du journaliste britannique Dom Phillips et de l’expert brésilien Bruno Pereira en Amazonie, les pires craintes se sont confirmées mercredi : un suspect a reconnu avoir enterré leurs corps et des « restes humains » ont été retrouvés sur les lieux des recherches. 

Des policiers et militaires portent les sacs contenant les reste des corps du journaliste Dom Phillips et de l’expert Bruno Pereira, retrouvés après les aveux de l’un des suspects arrêtés, à Atalaia do Norte, le 15 juin 2022. Photo : Reuters / Bruno Kelly

Le policier a indiqué que le suspect, un pêcheur de 41 ans nommé Amarildo da Costa de Oliveira, avait reconnu avoir participé au « crime », mais sans préciser son rôle. Le pêcheur avait été amené par la police sur les lieux des recherches pour leur montrer l’endroit précis.

« Des excavations ont été effectuées sur place, les fouilles vont continuer, mais des restes humains ont déjà été retrouvés », a ajouté M. Fontes. « Dès que nous aurons pu vérifier grâce à l’expertise qu’il s’agit bien de restes des corps de Dom Phillips et Bruno Pereira, ils seront restitués aux familles. »

L’épouse brésilienne du journaliste, Alessandra Sampaio, a tenu à remercier dans un communiqué « toutes les équipes qui ont mené les recherches, notamment les indigènes bénévoles » dont l’absence lors de la conférence de presse a été critiquée par de nombreux observateurs.

« Même si nous attendons encore les confirmations définitives, ce dénouement tragique met fin à l’angoisse de ne pas savoir où se trouvaient Dom et Bruno. À présent, nous allons pouvoir les ramener à la maison et leur dire adieu avec amour », a-t-elle déclaré. « Aujourd’hui, nous débutons aussi notre combat pour la justice (…) Nous n’aurons la paix que quand seront prises les mesures nécessaires pour que de telles tragédies ne se reproduisent pas. » (…)

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Vidéos de France 24

Disparus en Amazonie : un suspect passe aux aveux et mène la police aux corps (16 juin)

Confusion autour du sort des deux disparus en Amazonie, des effets personnels retrouvés (13 juin)

Disparitions en Amazonie, identifications en cours (13 juin)

Voir également :
Brésil: disparition d’un journaliste britannique et d’un spécialiste des Amérindiens en Amazonie (Martin Bernard / RFI) (8 juin 2022)
Amazonie: Dom Phillips et Bruno Pereira ont disparu dans «une région sans foi, ni loi» (entretien avec Fiona Watson, spécialiste de cette région amazonienne pour l’organisation Survival International qui avait travaillé dans le passé avec les deux hommes disparus / Achim Lippold – RFI – 8 juin 2022)