🇧🇷 Brésil : entretien avec Ceres Hadich, du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (Melo Foucher / Club Mediapart)
Aujourd’hui, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) est le plus grand mouvement social d’Amérique latine et a gagné la reconnaissance des organismes de coopération internationale qui ont financé nombre de ses projets depuis sa création. Ce sont près de quarante ans d’histoire populaire d’un mouvement né en 1984. Entretien avec une de ses dirigeantes, Ceres Hadich.
Dans les zones d’implantation et les campements du MST, il existe 1 900 associations, 185 coopératives et 120 entreprises agroalimentaires. Il dispose de 15 principales chaînes de production. Parmi celles-ci les colons Rio Grande do Sul contribuent à la production de lait, de riz, de miel, de haricots, de soja et de fruits et jus. Aujourd’hui, le MST est l’un des plus grands promoteurs et producteurs de l’agroécologie ; il est le plus grand producteur de riz biologique au Brésil.
Objectifs du MST
La fonction du MST est de promouvoir l’organisation des travailleurs ruraux (qui comprend les paysans, les paysans sans titre de propriété, les petits agriculteurs, les agriculteurs familiaux), ainsi que d’autres membres de la société civile, pour garantir l’accès à la terre et la mise en œuvre de la réforme agraire au Brésil. Combattre pour la terre ; lutter pour la réforme agraire ; lutter pour une société plus juste et fraternelle font partie des principaux objectifs de l’organisation.
Quelques données sur les conflits fonciers au Brésil
Après le coup d’État contre la présidente Dilma, les données fournies par l’Église catholique par l’intermédiaire de la Commission Pastorale de la Terre (CPT) révèlent qu’entre 2013 et 2022, 424 personnes ont été assassinées lors de conflits dans les campagnes. Rien qu’en 2022, 2 018 conflits ont été enregistrés, impliquant 909 450 personnes et 47 meurtres. Cette situation montre l’importance et la nécessité des mouvements paysans comme le MST.
Le 17 mai de cette année, la Chambre des députés a installé une Commission d’enquête parlementaire (CPI) pour enquêter sur le MST. Comment expliquer l’acceptation d’une commission d’enquête à la Chambre des députés émanant de la base parlementaire des ruralistes, majoritairement composée de l’extrême droite brésilienne ?
CERES : L’installation du CPI contre le MST est due à un ensemble de facteurs, qui ont permis son installation, parmi lesquels : le positionnement de l’extrême droite autour du groupe parlementaire rural et une définition claire de l’affrontement par rapport aux thèmes de la lutte paysanne au Brésil, comme par exemple, la réforme agraire. Le CPI a également été mis en place dans le but d’intimider et de contenir la lutte sociale dans le pays, clairement identifiée par la capacité d’organisation et d’articulation du Mouvement des Sans Terre. Dans le même sens, un troisième objectif du CPI était d’embarrasser le gouvernement, de le faire chanter et de marchander ses résultats, au détriment de la persécution et de l’affaiblissement de sa base de soutien social. Dans le but de criminaliser et de délégitimer la lutte pour la terre et la lutte sociale au Brésil, il est également salutaire de dire que le CPMI est installé sous un regard initialement inattentif du gouvernement lui-même avec la base alliée, qui, ne réalisant pas son véritable objectif, a permis à l’opposition d’installer une composition extrêmement défavorable au processus de développement de la commission.
Pouvez-vous démontrer quel est l’intérêt de criminaliser une organisation qui travaille à réduire les inégalités sociales et économiques au Brésil, pour la réforme agraire?
CERES : Essentiellement, la tentative de criminaliser et de persécuter le MST a pour toile de fond la tentative de discréditer le mouvement social le plus visible au Brésil. Au cours de ses presque 40 années d’existence, le Mouvement des Sans Terre a lutté efficacement pour changer la réalité du peuple et du Brésil, en promouvant la lutte fondamentale qu’est la lutte pour la démocratisation du droit à la terre, en améliorant la vie de milliers de personnes, en particulier au Brésil. L’accès à l’éducation, à la culture, à une alimentation saine, ce qui donne de l’espoir aux gens. Ces dernières années, les actions de solidarité du MST ont permis à des milliers de familles brésiliennes d’avoir accès à la nourriture et aux soins, et c’est ce qui suscite tant de craintes parmi les élites brésiliennes : la capacité de transformer la vie des gens et de les transformer en sujets de leur propre histoire.
J’ai entendu parler de l’inauguration de l’école populaire d’agroécologie et d’agroforesterie Egídio Bruneto, au sud de Bahia. Pouvez-vous expliquer le rôle joué par cette école dans la formation des membres du MST ?
CERES : L’École Egídio Brunetto est le résultat des efforts visant à construire l’éducation populaire et l’agroécologie dans les territoires des réformes agraires. Il reflète la recherche cohérente d’unir notre proposition pour la campagne brésilienne avec des connaissances qui peuvent être échangées, améliorées et construites par les familles paysannes et répliquées, en fonction de chaque réalité. Avoir une école paysanne populaire au sein d’une colonie, travaillant au développement et à la formation de notre base, à l’extrême sud de Bahia, et dans chaque biome brésilien, rapproche le droit fondamental à l’accès à l’information, à la connaissance, à la technologie, et diffuse, dans un dialogue des savoirs auprès de tous, cette qualité de connaissances produite à partir d’expériences et de réalités concrètes. Elle donne authenticité et autonomie au concept d’agroécologie et de réforme agraire populaire.
Qu’est-il arrivé à l’enquête du CPI dans le sud de Bahia ? Ont-ils assisté à cette inauguration ?
CERES : C’est un autre épisode de détournement de l’argent public, d’abus de pouvoir, de tentative de criminaliser le MST et la lutte populaire. Une fois de plus c’est une initiative pour provoquer l’affrontement avec les travailleurs ruraux. L’objectif de ces mesures est de démoraliser, au nom d’une vision préconçue, élitiste, raciste et sexiste, la lutte pour la terre. Cela s’est encore produit à Bahia. En tentant d’envahir des terrains, des maisons et même une communauté indigène, l’enquête a mis en évidence le manque de préparation et l’autoritarisme des responsables, qui, avec ignorance et violence, ont attaqué une fois de plus les gens et leurs réalisations. Les députés « bolsonaristes » de la Commission sont partis justement à la veille de l’inauguration des structures scolaires. (…)
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