🇧🇷 Brésil. «Ici, personne ne devrait avoir faim» (Guy Zurkinden / À l’Encontre)


Dans les périphéries, les cuisinières du mouvement des sans-toit mènent une lutte exemplaire contre la faim, décuplée par quatre ans de bolsonarisme. L’élection de Lula y ravive les espoirs de vaincre ce fléau. Mais les résistances sont vives.


«L’être humain est fait pour briller, pas pour mourir de faim». Sur une paroi de la cuisine solidaire du Mouvement des travailleurs sans-toit (MTST), les paroles d’une magnifique chanson de Caetano Veloso se détachent. Au cœur de Jardim Iguatemi, dans la périphérie est de la métropole São Paulo, militant·e·s du MTST et habitant·e·s du quartier ont construit un baraquement sommaire – mais vital : chaque jour, les mots du célèbre artiste brésilien s’y transforment en réalité.

Cent cinquante repas par jour

«Depuis deux ans, nous distribuons cent cinquante repas par jour, cinq fois par semaine à des enfants et des adultes qui n’ont pas de quoi manger». Les yeux de Dona Vilma – la soixantaine passée, le regard profond, les mains larges et fortes – brillent. Chaque jour, cette bénévole fait deux heures de bus pour mettre en pratique sa conviction: «Dans ce pays si grand et si riche, personne ne devrait souffrir de la faim». Toujours prête à blaguer et à discuter, elle offre, avec sa collègue Rose, plus qu’un repas: de la chaleur humaine et de la dignité à une population meurtrie.

À Jardim Iguatemi, les années Bolsonaro ont en effet creusé un sillon de destruction. Chacun·e peut citer un·e proche décédé des suites de la pandémie, gérée de manière catastrophique par un gouvernement négationniste. Beaucoup ont perdu emploi et revenu – une situation aggravée par la destruction systématique des politiques publiques. Un drame similaire se joue dans toutes les périphéries urbaines du pays. Conséquence: l’insécurité alimentaire, quasiment éradiquée sous les gouvernements Lula (2003-2010) touche désormais plus de 58% de la population; et trente-trois millions de Brésilien·ne·s ne mangent pas à leur faim. Les mères sans emploi sont particulièrement touchées, précise Dona Vilma.

La solidarité contre la faim

En 2020, les militant·e·s du MTST, un mouvement social qui occupe bâtiments ou terrains abandonnés pour y revendiquer la construction de logements populaires, se rendent compte de l’étendue du fléau. «Nous avons alors commencé à distribuer des centaines de paniers d’alimentation dans les périphéries» raconte Idiane Maria, coordinatrice du MTST, devenue cet automne la première employée domestique élue au législatif de l’Etat de São Paulo. «Mais cela ne suffisait pas: de nombreuses familles n’avaient même plus de gaz. Il fallait leur proposer des repas déjà cuisinés».

C’est dans ce contexte que naissent les cuisines solidaires. Le MTST en anime aujourd’hui trente-et-une, réparties dans treize Etats ainsi que dans le district fédéral, qui englobe la capitale Brasilia. On trouve ces cantines dans les périphéries des grandes villes – à l’exception de deux d’entre elles, dressées au cœur des centres historiques de São Paulo et Rio de Janeiro, transformés depuis la pandémie en gigantesques campements improvisés où tentent de survivre des milliers de SDF.

En plus de proposer des repas gratuits et équilibrés, ces soupes populaires autogérées sont aussi des lieux de vie: on y dispense appuis scolaires, initiations aux technologies de la communication, moments de discussion ou conseils juridiques. Pour les enfants, des séances de «cinémas sans-toit» sont organisées – sans oublier le Noël solidaire. Quand la topographie le permet, les baraques sont bordées de jardins potagers, qui fournissent une partie des aliments cuisinés. Le reste provient de la campagne de dons orchestrée par le MTST, ainsi que des apports de mouvements paysans amis – comme les sans-terre du MST, ou le Mouvement des petits agriculteurs (MPA).

Espoirs… et dangers

Le 1er octobre, les militant·e·s du MTST ont poussé un cri de joie en apprenant la victoire – serrée – de Luiz Inácio Lula da Silva à la présidentielle. «Quelle sera la règle d’or de ce pays ? Ce sera de garantir qu’aucun enfant n’ira dormir sans avoir bu un verre de lait, qu’aucun enfant ne se réveillera en n’ayant même pas un pain et du beurre à manger pour toute la journée» affirmait le futur président quelques semaines après le scrutin. Des mots qui ont fait souffler un formidable vent d’espoir sur la cuisine solidaire de Jardim Iguatemi. (…)

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