Chavisme: une gifle salutaire?
Par Jean Ortiz Chroniques Latines – L’humanité
Le chavisme a pris une claque -attendue- aux élections législatives du 6 décembre dernier (42% des suffrages), mais dont l’ampleur a surpris même les plus défaitistes. Le chavisme de base a adressé un carton rouge au mal nommé « chavisme officiel », notamment en s’abstenant dans des proportions inquiétantes.
L’opposition, de bric et de broc mais hégémonisée
par l’extrême droite, a capitalisé un « vote sanction » et gagné. A y regarder de près, elle ne progresse pourtant que de 4,22% par rapport à 2013.
Face à cette chronique d’une défaite annoncée, peut-on parler de « retour à la case départ », de « fin des populismes » comme l’inénarrable journaliste du Monde ? Faut-il plonger dès lors dans le catastrophisme, le pessimisme désespéré et désespérant, le fatalisme ? Faut-il passer de l’euphorique vague émancipatrice (longue de 16 ans) au noir absolu ? L’histoire ne serait-elle qu’un éternel recommencement ? Les Etats- Unis ont-ils réussi à renverser en leur faveur le rapport de forces en Amérique latine, à reprendre la main ? Je ne le crois pas. Je ne le crois pas, sans pour autant verser dans la « Méthode Coué ».
Le président Obama nous avait prévenu, au moment du « réchauffement » avec Cuba : « Nous sommes en train de renouveler notre leadership dans les Amériques ». Depuis 15 ans, de puissants mouvements sociaux, comités, organisations populaires, assemblées, ont émergé, se sont consolidés, obligeant des gouvernements progressistes à plus et mieux de redistribution, de souveraineté ; cependant, les indispensables réformes de structures, de rupture avec le système, sont restées pour l’essentiel au niveau du discours. La « gauche d’en bas » s’est organisée, enracinée, impliquée dans la construction -aux forceps- d’ébauches concrètes d’alternatives, de réponses post-néolibérales. Ebranlé, le libéralisme cannibale, prédateur, servile, demeure cependant plus ou moins majoritaire partout.
Ceci dit, l’Amérique latine reste le continent des possibles, du « oui l’on peut », même si commence aujourd’hui une nouvelle séquence « contre-révolutionnaire », pro-impérialiste et revancharde, lourde de conséquences, de régressions, de répressions, de soumission ; les élites célèbrent le retour en force du « libre-échange » (l’équivalent du renard libre dans le poulailler libre).
En Argentine, le gouvernement Macri ressemble à un club d’actionnaires gros et gras, au conseil d’administration d’une multinationale bananière. Que des ministres liés à la haute finance ! Le kirchnérisme se mobilise déjà frontalement pour défendre la « loi (la démocratisation) des médias »… Au Venezuela, les salariés de la Corporation Electrique Nationale (publique) se préparent à empêcher coûte que coûte sa privatisation. Le président Maduro et le vice-président, gendre de Chavez, appellent à poursuivre la révolution et le « socialisme du 21e siècle »… Schizophrénie ? Simple slogan ? Rhétorique vide ? Que ne l’ont-ils fait avant ? Nous avions l’impression que gouvernement et président, paralysés, faisaient du surplace dans l’attente de la catastrophe électorale. L’intellectuel et militant Luis Britto Garcia affirme : « Seul un camp a mené la guerre économique ». Pour cet auteur de référence : « le cadeau royal fut celui du président Maduro au capitalisme parasite (60 milliards de dollars) pour en finir avec les importations fallacieuses ». Britto Garcia parle de « pacte économique » létal. Il poursuit (Aporrea, 20/12/2015) : « Comment a-t-on pu laisser la droite spéculer autant sur le prix de la monnaie dans le marché parallèle, sans réagir vigoureusement ? »
On va désormais, avec un parlement ultra-libéral, (trois partis de la MUD sont affiliés à l’Internationale socialiste !!), vers une confrontation sociale et de pouvoir, inédite et peut-être violente.
Les dirigeants, ministres, gouverneurs, bureaucrates chavistes, ont-ils pris la mesure de la claque, ont-ils compris que seule une « rectification de fond » peut relancer le chavisme, que la corruption et la bureaucratie ont coûté cher politiquement et électoralement ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les changements (de ministres, etc.) sont lents à venir, estime le prestigieux journaliste Eleazar Diaz Rangel, ami de Chavez (Aporrea, 20/12/2015). L’énorme parti chaviste (PSUV) tarde à devenir un réel outil politique. Dans les assemblées d’autocritique, le peuple demande moins de rhétorique, de célébrations, et plus de mesures concrètes. Les profiteurs s’accrochent, mais les militants exigent globalement le retour à « l’esprit de Chavez », un « changement de cap » afin de reprendre le cours « socialiste », au lieu de céder à une « social-démocratisation » rampante, et à la dépolitisation.
Comment préserver les acquis nombreux et vitaux de la révolution face à un pouvoir législatif agressif et réactionnaire, très majoritaire, et décidé à les anéantir ? Par des mesures efficaces, répondent les interlocuteurs que nous avons sollicités par téléphone, par une intense bataille des idées contre la guerre économique, idéologique, par une proximité vraie avec les bases, par des pratiques et des réponses plus éthiques, plus collégiales, plus participatives, plus « radicales ». Par une cohabitation qui ne lâche rien.