«Chevron-Texaco doit payer 9,5 milliards d’euros de réparations» (Aude Massiot/ Libération)
Après vingt-cinq ans de bras de fer et le refus du géant pétrolier de s’acquitter de son amende, des communautés amazoniennes portent leur combat devant l’ONU. Deux représentants racontent.
Cette semaine, de nombreux États se réunissent à Genève sous l’égide de l’ONU pour travailler à la création d’un traité international sur le respect des droits humains et de l’environnement par les multinationales. A cette occasion, les Équatoriens Justino Piaguaje et Pablo Fajardo espèrent enfin clore une bataille juridique menée depuis vingt-cinq ans contre l’entreprise américaine pétrolière Chevron-Texaco. Justino Piaguaje est un des plaignants, et il représente les communautés autochtones atteintes par la contamination. Pablo Fajardo est l’avocat de 30 000 citoyens qui ont attaqué en justice l’industriel pour la pollution provoquée dans la région amazonienne de Lago Agrio.
Pouvez-vous rappeler l’affaire qui vous oppose à l’entreprise pétrolière Chevron-Texaco ?
Justino Piaguaje : Pour notre peuple, la lutte a débuté dans les années 70, bien avant le procès qui a été lancé en 1993. Cela a marqué le début de la résistance contre la pollution et la perte de nos territoires dans l’Amazonie équatoriale. Sans la nature, mon peuple n’est rien. Et la nature a besoin de nous pour survivre, dans une codépendance.
Pablo Fajardo : A partir de 1993, et pendant neuf ans, Chevron a saisi les tribunaux nord-américains pour demander que l’affaire soit jugée par un tribunal équatorien. A ce moment-là, la multinationale assurait que les tribunaux y étaient dignes de confiance. L’entreprise a gagné et l’affaire a été transférée en Équateur en 2003. Nous avons apporté les preuves que Chevron a causé des dommages conséquents aux écosystèmes naturels, mais aussi à la culture millénaire des peuples autochtones. Leurs produits toxiques sont à l’origine de problèmes de santé, de malformations congénitales, de cancers dans les communautés locales. En 2011, le juge de première instance a condamné Chevron et a exigé que l’entreprise paye pour réparer ces atteintes. Un an plus tard, les juges de la cour d’appel ont confirmé cette décision, suivis, en novembre 2013, par la Cour nationale de justice. Le 10 juillet 2018, la Cour constitutionnelle d’Equateur, dernier échelon de la justice, a de nouveau ratifié le jugement. Chevron est coupable et doit payer 9,5 milliards d’euros de réparations.
Comment la pollution affecte-t-elle le quotidien des populations ?
J.P. : Le lit des rivières a été durablement contaminé par des produits toxiques. Les cours d’eau ne peuvent plus filtrer les eaux souterraines. C’est là où nous nous lavons, nettoyons les outils, recueillons l’eau potable et faisons la cuisine. Nous n’avons pas l’eau courante. Nous pêchons aussi pour nous nourrir. De graves problèmes de santé ont émergé près des puits de pétrole. C’est aussi une atteinte grave à notre culture ancestrale. Nous avons besoin d’espaces apaisés, en accord avec la nature, pour que les chamans mènent leurs rites. Les jeunes générations perdent leur cosmovisión (…)