🇨🇱 Chili 11 septembre 1973 : cinquante ans après, ni oubli ni pardon ! (reportage de Juliette Chaignon et Guillaume Gosalbes – France 24 / article de Isabelle Le Gonidec / RFI)


Il y a exactement cinquante ans, le 11 septembre 1973, au Chili, le bombardement de la Moneda et la mort du président socialiste démocratiquement élu Salvador Allende ouvre le tragique chapitre de la dictature d’Augusto Pinochet qui se soldera par près de 150 000 prisonniers politiques et / ou d’opinion, plus de 27 000 personnes torturées, des centaines de milliers d’exilés politiques, 2279 assassinés ou disparus. Abondamment relayées par la presse et la télévision, les lunettes noires de Pinochet ou les photographies des prisonnier·es du Stade national à Santiago parcourent le monde, incarnant les atteintes systématiques aux droits humains qui font trembler toute l’Amérique du Sud.

Photo : AFP

L’image de La Moneda en flamme et le suicide de Salvador Allende deviennent un événement-monde qui dépasse largement le Chili, un marqueur de toute une génération. Les chansons de Quillapayún, la figure-martyr de Víctor Jara et le cri « Le peuple uni ne sera jamais vaincu » deviennent hymnes et cri de ralliement. FAL commémore ces cinquante ans d’une histoire partagée de mobilisations,
de dignité, de solidarité des deux côtés de l’Atlantique. Même un demi- siècle plus tard, il s’agit aussi de continuer à réclamer Vérité et Justice pour les crimes commis et de proclamer : « Ni oubli, ni pardon »!

Quand le Chili tombait sous la coupe de Pinochet (un reportage de Juliette Chaignon et Guillaume Gosalbes / France 24)

Voilà cinquante ans, une junte militaire prenait le pouvoir au Chili. Le 11 septembre 1973, l’armée, dirigée par le général Pinochet et soutenue en sous-main par les États-Unis, lance un coup d’État. Le palais présidentiel est pris d’assaut et le président Salvador Allende se suicide. Augusto Pinochet, qui affirme ne pas désirer le pouvoir, y restera pourtant 17 ans. Une dictature qui a fait plus de 3 000 morts et disparus. Aujourd’hui encore, la Constitution qui avait été écrite sur mesure pour lui en 1980, est toujours en vigueur. Et les débats sont vifs pour la modifier. Un reportage de Juliette Chaignon et Guillaume Gosalbes.


En 1980, Augusto Pinochet a fait voter une nouvelle Constitution lui accordant un nouveau mandat. Mais l’opposition politique s’organise et grandit. En 1988, le dictateur perd le référendum qui devait renouveler sa présidence. Il est contraint d’organiser des élections, qu’il perd également, et cède enfin le pouvoir en 1990.

Huit ans plus tard, Augusto Pinochet est arrêté à Londres. Il est sous le coup d’un mandat international, lancé par la justice espagnole. Son statut de sénateur à vie ne lui permet pas de bénéficier de l’immunité parlementaire dont il se prévaut. Pendant 503 jours, il reste en résidence surveillée en Angleterre, jusqu’à ce que la justice anglaise estime que son état de santé ne lui permet pas d’être jugé. Il rentre au Chili en mars 2000 et échappera à la justice de son pays jusqu’à sa mort en 2006, à l’âge de 91 ans.

Malgré les plaintes déposées pour tortures, beaucoup de victimes de la dictature n’ont pas obtenu de réponse judiciaire. Et de nombreuses familles de disparus attendent de connaître le sort de leurs proches. Pendant des décennies, les recherches ont presque exclusivement été du ressort des familles. Seules 307 dépouilles ont été retrouvées. Le sort de 1 162 autres reste inconnu. “La justice a trop tardé”, a déclaré le président Gabriel Boric, en lançant, le 30 août, un plan national pour la recherche de la vérité et de la justice financé par l’État. Cette initiative, la première officielle de ce type, vise à reconstituer la trajectoire des victimes après leur détention et leur disparition. 

Lire l’article et voir le reportage sur le site de France 24 ici


Chili: le 11 septembre 1973, Salvador Allende est renversé par un coup d’État militaire (Isabelle Le Gonidec / RFI)

Le 11 septembre 1973, au Chili, un coup d’État militaire mettait brutalement fin à la présidence de Salvador Allende, investi trois ans plus tôt. Une junte militaire dirigée par Augusto Pinochet prend le pouvoir, pour de longues années. Récit de cette journée.

Santiago quadrillée par les chars pendant et après le coup d’État militaire du 11 septembre 1973. Le 11 septembre 1973, les officiers putschistes proclament, dans un décret loi (no 1), l’établissement d’une junte militaire de gouvernement «assumant le mandat suprême de représenter la Nation». Bettmann Archive – Bettmann

Il faisait froid et gris ce jour-là, ce 11 septembre 1973, une triste journée de fin d’hiver austral, témoignent les récits que nous avons pu lire. Mémoire déformée par le drame qui allait suivre ou réalité météorologique ?

Le président est informé très tôt le matin que la marine s’est soulevée dans le grand port militaire de Valparaíso, sur le Pacifique. L’aviation se mobilise aussi à Concepción et l’armée de terre à Santiago. Salvador Allende, qui avait déjà subi une tentative de putsch militaire en juin – le « tancazo » auquel le général Augusto Pinochet, sans doute le sentant peu préparé ne s’était pas rallié- saisit rapidement la gravité de la situation. Depuis des mois, son pouvoir était attaqué par des grèves soutenues par le patronat et en sous-main les États-Unis comme ce sera largement documenté dans de nombreuses enquêtes, comme celle du Sénat américain citée par l’historien Franck Gaudichaud (Multinational corporations and United States foreign policy). Les blocus (comme la célèbre grève des camionneurs d’octobre 1972 soutenue par les partis de droite du Parti national et la Démocratie-chrétienne) et les attentats de l’extrême droite, notamment du mouvement fasciste Patria y Libertad, créent de la tension dans la population et compliquent l’organisation économique. Un pouvoir fragilisé aussi par les tensions internes à sa coalition entre socialistes et communistes, par son absence de majorité parlementaire et le harcèlement subi par le gouvernement à la Chambre… Le 22 août 1973, son gouvernement est déclaré anticonstitutionnel par 81 voix contre 47. Par ce vote, les députés donnent le feu vert à une intervention militaire.

Chili, le 18 mai 1973 : le régime de Salvador Allende subissait de nombreuses pressions, financées ou activées en sous-main par les Etats-Unis et l’opposition de droite. Il eut à affronter notamment une longue grève des mineurs du cuivre à El Teniente provoquée par des revendications salariales. Or les exportations de cuivre sont une source essentielle de devises pour le Chili. Une séquence longuement racontée dans le documentaire de Patricio Guzman, La batalla de Chile. Getty Images

Sous pression de la hiérarchie militaire qui pousse au renversement du président, le général en chef des armées, Carlos Prats González, démissionne. Il sera assassiné à Buenos Aires un an plus tard. Salvador Allende nomme alors Augusto Pinochet, qu’il pense légaliste. Opportuniste, ce dernier choisit seulement le 8 septembre, convaincu par le général Gustavo Leigh (aviation) le plus jeune et le plus dur des insurgés, de suivre la conspiration. « Devant l’imminence de la chute de l’Unité populaire, Allende décida secrètement d’organiser un référendum pour demander au peuple s’il devait rester ou partir, raconte Mónica Echeverría, dramaturge et écrivain, proche d’Allende, dans Santiago-Paris, le vol de la mémoire, écrit avec sa fille, Carmen Castillo. Il est fort probable que les opposants aient eu vent de cette résolution car la date du coup d’État fut avancée. » Une thèse confirmée dans Septembre rouge, la « docufiction » très documentée des événements qui menèrent au putsch, écrite par Olivier Besancenot et Michael Löwy. 

Un président en armes

À six heures quarante-cinq du matin, Allende donne les premières informations à la radio, sur Radio Corporación, reprend Mónica Echeverría, et demande à la population de garder son sang-froid. Il se rend au palais présidentiel de la Moneda avec sa garde rapprochée – le GAP (Groupe d’amis personnels). Des ministres, amis, ses deux filles Beatriz et Isabel, des journalistes et d’autres le rejoignent. Les récits mentionnent que Salvador Allende emporte avec lui un fusil mitrailleur AK-47, cadeau de Fidel Castro et une image passée à la postérité a saisi la tension du moment. On y voit le président coiffé d’un casque militaire inspecter le ciel.

Palais présidentiel de La Moneda à Santiago du Chili: coiffé d'un casque militaire et armé, le président Salvador Allende entouré de quelques membres de sa garde rapprochée, inspecte le ciel. La photo, dont le New York Times acheta les négatifs, fut publiée quelques jours plus tard. Elle a remporté le prix World Press de la meilleure photo journalistique en 1973 et le journal a ensuite décidé de verser les droits d'auteur au prix World Press. Le photographe est probablement Luis Orlando Lagos Vasquez, photographe officiel de la présidence. Il parviendra à s'échapper de La Moneda et meurt en 2007 sans avoir touché un centime de cette célèbre photo.
Palais présidentiel de La Moneda à Santiago du Chili: coiffé d’un casque militaire et armé, le président Salvador Allende entouré de quelques membres de sa garde rapprochée, inspecte le ciel. La photo, dont le New York Times acheta les négatifs, fut publiée quelques jours plus tard. Elle a remporté le prix World Press de la meilleure photo journalistique en 1973 et le journal a ensuite décidé de verser les droits d’auteur au prix World Press. Le photographe est probablement Luis Orlando Lagos Vasquez, photographe officiel de la présidence. Il parviendra à s’échapper de La Moneda et meurt en 2007 sans avoir touché un centime de cette célèbre photo. Corbis via Getty Images – Serge Plantureux

L’armée ne lui obéit plus, les tanks se déploient devant le palais présidentiel d’où se sont retirés les carabiniers. Allende reste seul avec ses proches.

« Les larges avenues »

À huit heures et demie du matin, l’armée lui demande de se rendre. Il refuse. En fin de matinée, les tanks encerclent le palais présidentiel et ouvrent le feu. Avec les quelques armes dont ils disposent, les assiégés ripostent. Salvador Allende, prévenu d’un bombardement par des avions de combat, demande une trêve pour évacuer ceux qui veulent ou doivent partir. Ses deux filles et d’autres quittent le bâtiment, qui est ensuite bombardé par deux avions de combat Hawker Hunter. Le premier étage est partiellement détruit, le bâtiment s’enflamme. Plusieurs témoignages racontent l’inquiétude exprimée par Salvador Allende pour son chef d’état major, Augusto Pinochet, qu’il a cru loyal -presque- jusqu’au bout. La résidence privée Tomas Moro du couple présidentiel sera également bombardée puis pillée.

Pendant ce temps, l’armée a investi les radios proches du pouvoir, déclenchant l’Opération Silence. Les seules à continuer à émettre sont les radios Magallanes, Portales, Corporación et Sargento Candelaria, raconte encore Mónica Echeverría. C’est sur la première que Salvador Allende lancera son dernier message, celui dit « des larges avenues » : « N’oubliez jamais que bientôt s’ouvriront à nouveau les larges avenues qu’empruntera l’homme libre pour bâtir une société meilleure… » Allende, qui sait qu’il ne sortira pas vivant du coup d’État, entend laisser « une leçon morale pour châtier la félonie, la couardise et la trahison » ainsi que le témoignage « d’un homme digne qui fut fidèle à la loyauté des travailleurs », raconte l’historien Franck Gaudichaud. Il tacle au passage « le capitalisme, le capital étranger, [qui] unis à la réaction ont créé le climat pour que les forces armées rompent aujourd’hui leur tradition ». (…)

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