Chili: Carmen Castillo, la mémoire se conjugue au présent et au futur (Isabelle Le Gonidec / RFI)


Réalisatrice et auteure, Carmen Castillo fait partie de la « famille » des Rencontres Cinélatino de Toulouse. Elle est venue à l’invitation du festival présenter son dernier livre Un jour d’octobre à Santiago, paru aux éditions Verdier. L’occasion de faire le point sur le changement politique et constitutionnel majeur en cours actuellement au Chili et notamment le rôle des femmes.

Rencontres Cinélatino: Carmen Castillo lors de la rencontre-débat à la librairie Ombres blanches à Toulouse, le 28 mars. © Mathis Lenoir pour Cinelatino

Chassée du Chili en octobre 1974 alors qu’elle vivait dans la clandestinité depuis le coup d’État du 11 septembre 1973 avec son compagnon, le dirigeant du MIR, Miguel Enríquez, Carmen Castillo n’a jamais cessé de témoigner, de militer. Professeure d’histoire avant 1973, elle a travaillé auprès de l’ancien président Salvador Allende dans les pas duquel le nouveau chef de l’État Gabriel Boric a inscrit ses pas. « Comme l’avait prédit Salvador Allende il y a presque cinquante ans, nous voici de nouveau, chers compatriotes, en train d’ouvrir de grandes avenues où passeront l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! », a lancé le jeune chef de l’État en clôture de son allocution à la nation devant la présidence le 12 mars dernier.

Carmen Castillo écrit et filme pour transmettre la mémoire de ceux que l’on a bâillonnés, celle des luttes des générations passées, mais il s’agit d’une mémoire vivante, celle qui nourrit les combats futurs.

Un jour d’octobre à Santiago, est d’abord paru chez Stock puis a été réédité en 1988 avec Lignes de fuite, qui raconte le premier retour à Santiago de Carmen Castillo en 1987. Les deux textes viennent d’être réédités chez Verdier. Des livres qu’il m’a été absolument nécessaire d’écrire à ce moment-là, raconte Carmen Castillo. Il s’agissait de « retisser les liens avec les morts, pour vivre tout simplement… Mais cette compagnie des morts n’est pas nostalgique ni mortifère, elle est une force ! » Le combat politique aujourd’hui est fort aussi de ces morts. « L’ange de l’histoire de Walter Benjamin est devenu l’ange de la barricade », selon Carmen Castillo évoquant l’élection et l’investiture de Gabriel Boric.

Les femmes au cœur des luttes sociales…

Porteuses de cette mémoire, les femmes des quartiers populaires ont été au cœur des « protestas » des années 1983-84 et les chevilles ouvrières de la lutte pour les droits humains durant la dictature, par exemple dans les collectifs de mères de disparus ou les solidarités de quartiers qui se sont mises en place pour résister, survivre simplement face aux politiques économiques néolibérales mises en place par la dictature militaire.

Carmen Castillo nous rappelle que les jeunes filles ont été au cœur des batailles dans les années 2000 : occupation des lycées en 2006, puis dans les mobilisations lycéennes et étudiantes de 2011 pour un service public de qualité de l’éducation. Un moment où les collectifs féministes se multiplient et émergent les figures de Camila Vallejo -qui a le troisième poste au gouvernement, celui de secrétaire générale- et de Karol Cariola, maintenant députée. Même génération et proches du nouveau président Gabriel Boric qui a fait ses classes dans le même mouvement.

Puis en 2018, il y a eu les occupations des universités par les étudiantes pour dénoncer les discriminations et violences sexistes et une grande marche à Santiago en mai. Un mouvement parti de Valdivia, dans le Sud, quand les étudiantes ont appris qu’un professeur de l’université allait simplement être muté après une accusation de harcèlement sexuel de la part d’une employée de l’établissement. Cette colère a donné sa couleur, son esthétique, sa force au large mouvement social de 2019 avec -entre autre- la performance du groupe Las Tesis de Valparaiso qui a mobilisé les femmes du monde entier, rappelle Carmen Castillo.

… et maintenant au pouvoir

Sur les 24 ministres du gouvernement de Gabriel Boric, 14 sont des femmes et elles occupent les postes régaliens de l’Intérieur, la Défense ou des Affaires étrangères. Des femmes qui ont grandi politiquement dans les luttes sociales pour certaines d’entre elles et sont devenues des figures centrales de la politique chilienne à l’image d’Izkia Sitches médecin interne dans un hôpital public, « pendant la pandémie, toute jeune, à la tête de l’équivalent de l’Ordre des médecins, elle a sauvé le pays ». Dénonçant le système de soin chilien profondément inégalitaire, elle avait inlassablement plaidé auprès du gouvernement pour qu’il adopte une stratégie qui avait ses preuves ailleurs mêlant tests, traçabilité et isolement, multipliant les occasions pour faire de la pédagogie dans les médias et sur les réseaux sociaux… et maintenant « elle est au poste le plus difficile, celui de ministre l’Intérieur », souligne Carmen Castillo.

(…) Lire la suite de l’article ici