🇨🇱 Cinquantenaire du Plan Condor : le cas du Chili (Camilo Morales / FAL)
Dans le cadre du cinquantenaire du Plan Condor, France Amérique Latine fait un focus spécial sur les activités chiliennes dans le cadre de cette opération.

Tout d’abord, il faut signaler que Manuel Contreras, chef de la DINA, les services secrets chiliens, est à l’origine de cette organisation. Formalisé en 1975, son but était de coordonner la répression des opposants politiques à l’échelle régionale, avec la participation des dictatures d’Argentine, d’Uruguay, du Paraguay, de Bolivie et du Brésil. L’ensemble de ces pays ont usé de la rhétorique de la lutte contre la « subversion ». La définition de ce terme est floue : elle englobe l’opposition politique générale, soit les mouvements de gauche, les syndicats, le mouvement religieux de la « Théologie de la libération » ou encore les étudiants.
La « subversion » est aussi mise en relation avec la Doctrine de sécurité nationale. Il s’agit d’une stratégie politico-militaire selon laquelle l’État doit se défendre non seulement contre des ennemis extérieurs, mais aussi contre des ennemis internes perçus comme une menace à l’ordre et à la stabilité économique.
John Dinges, s’appuyant sur des témoignages contemporains du Condor et sur les archives découvertes par Martín Almada, cite un responsable uruguayen qui déclare : « Le Chili proposait d’éliminer des ennemis du monde entier, d’éliminer des gens qui portaient préjudice à nos pays, des gens comme Letelier. Ce genre d’opération exigeait une préparation minutieuse, et celle-là fut particulièrement bien menée. Le Chili avait les moyens et la volonté d’opérer. Je le répète, le Chili avait les moyens et la volonté d’opérer. »
France Amérique Latine va donc revenir sur différents assassinats ou tentatives visant des citoyens chiliens dans le Cône Sud et dans le monde.
Le premier que nous allons analyser est celui de Carlos Prats, ancien commandant en chef de l’armée chilienne et vice-président sous le gouvernement Allende. Il a été assassiné à Buenos Aires, capitale argentine, dans un attentat à la voiture piégée. Son épouse est également victime de cet attentat. Prats a fui le Chili pour éviter les représailles après le coup d’État. Son meurtre marque l’un des premiers assassinats transfrontaliers du Plan Condor. Initié par la DINA à Santiago du Chili, Manuel Contreras dépêche Michael Townley, citoyen états-unien naturalisé chilien, à Buenos Aires pour organiser et planifier cet acte. Il collabore avec les services de renseignement argentins, le SIDE. Townley conçoit la bombe et la place sous la voiture de la famille Prats. Bien que non encore sous l’égide du Plan Condor, cet attentat préfigure l’opération, lancée l’année suivante.
Le deuxième acte que France Amérique Latine va décortiquer est celui de la DINA contre Orlando Letelier. Il est toujours réalisé par Michael Townley, à Washington. Letelier était le plus fervent défenseur de la politique d’Allende, ministre de la Défense et ancien ambassadeur aux États-Unis. Letelier menait la réponse diplomatique au coup d’État en menaçant les intérêts géopolitiques et financiers de la dictature, en s’adressant au Congrès états-unien ainsi qu’au Département d’État. Il était également une voix puissante en écrivant des articles sur les disparitions forcées, la répression et la torture subies par ses camarades. De ce fait, il représentait une menace directe en incarnant symboliquement une légitimité concurrente à celle de Pinochet. Soufflé par l’explosion, il fut assassiné le 21 septembre 1976. Cela provoqua une crise diplomatique entre les deux pays : les États-Unis demandèrent des sanctions contre la DINA, tandis que Townley fut arrêté, condamné, mais coopéra avec la justice états-unienne.
Le dernier cas est celui de Bernardo Leighton. Cible atypique de la dictature, il était démocrate-chrétien, anti-marxiste, mais ne cautionnait pas la dictature militaire. Après l’instauration de celle-ci, il s’exile en Italie, où il rejoint un réseau d’opposants à Pinochet. Manuel Contreras fait appel à Michael Townley, qui prend contact avec la ligue néofasciste italienne « Avanguardia Nazionale ». Celle-ci fournit des faux papiers aux agents de la DINA, les armes ainsi que les plans de surveillance. Se faisant tirer dessus à bout portant, la tentative d’attentat choque l’opinion italienne. L’enquête est longue, mais Townley avoue son rôle en 1995 devant la justice italienne.
Ces différents actes montrent comment le Chili a eu la primauté parmi les autres pays pour frapper des cibles situées dans le monde entier. Normalement cantonnée au Cône Sud, la DINA va exercer une pression sur les opposants politiques de tous bords, y compris ceux se trouvant au-delà des frontières naturelles de l’Amérique du Sud ou du Nord.
Camilo Morales, service civique à FAL