Colombie: les lendemains désenchantés du processus de paix (Frédéric Thomas- CETRI / Le Soir)


En moyenne, plus de vingt dirigeants sociaux ont été assassinés chaque mois, en Colombie, depuis la signature de l’accord de paix du 26 septembre 2016. Au total, 1.229 activistes colombiens ont été tués en moins de cinq ans. Soixante et un massacres ont été commis au cours des huit premiers mois de cette année.

@Twitter / CETRI

Une analyse de Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental

Victimes du narcotrafic et de la démultiplication de groupes armés – dont les dissidences des FARC, qui n’ont pas déposé les armes –, dans un contexte de couverture précaire et discontinue de régions entières par les institutions publiques ? Telle est la lecture que l’État colombien cherche à imposer, aussi bien dans le pays que sur la scène internationale. C’est à de tout autres conclusions que les rapports des ONG, organisations sociales et syndicales aboutissent. Le problème est beaucoup moins l’absence ou l’impuissance de l’État, que la configuration de sa présence et de son action.

Loin de combler le vide étatique, les groupes paramilitaires – principaux responsables des pires violations de droits humains – sont en réalité les marqueurs d’une privatisation de la violence et de l’alliance historique et institutionnalisée, au nom de la guerre contre la « subversion », entre une grande partie du secteur privé et de la force publique.

Une logique de guerre

Carte blanche: les lendemains désenchantés du processus de paix en Colombie
@AFP

Depuis des années, la Colombie est classée, par la Confédération syndicale internationale, parmi les « dix pires pays » au monde pour les travailleurs et travailleuses. C’est aussi le pays le plus mortifère pour les syndicalistes : vingt-deux ont été assassinés entre avril 2020 et mars 2021. Comme l’École nationale syndicale l’analyse, la violence antisyndicale en Colombie est « une pratique historique, systématique et sélective ». La logique de la terreur des années 1985-1994 a fait place, depuis 2015, à « des expressions régulées » des attaques.

De même, pour la deuxième année consécutive, la Colombie est le pays où le plus de défenseurs de l’environnement et de la terre ont été tués. Ainsi, selon le tout récent rapport de l’ONG Global Witness, sur les 227 assassinats commis en 2020, plus d’un quart – soixante-cinq – l’ont été en Colombie. Selon l’Organisation colombienne Indepaz, depuis la signature de l’accord de paix, ce ne serait pas moins de 611 défenseurs, dont plus de la moitié étaient indigènes, qui ont été assassinés.

Or, les violences envers les syndicalistes et les activistes environnementaux plongent leurs racines dans un même modèle de développement, tourné vers l’exportation de ressources naturelles, qui cherche à attirer les investissements et donne la priorité au profit des acteurs privés. L’asymétrie entre entreprises et organisations sociales qui en résulte est à la fois le fruit de ce modèle et sa justification. La complicité de l’État, l’impunité des entreprises et les violences se fondent dès lors dans un cercle vicieux qui garantit et entretient cette asymétrie.

Mensonges d’État

De passage début septembre en Belgique, pour se réunir avec les autorités belges, européennes et de l’Otan, la vice-présidente et chancelière, Marta Lucía Ramírez, a balayé les inquiétudes concernant la situation en Colombie. (…)

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