Colombie : victoire du Pacto Histórico (premières analyses)


La date du 19 juin 2022 vient de faire son entrée dans les futurs livres d’histoire de Colombie. Et probablement aussi dans l’histoire de l’Amérique latine. Dans un pays qui élit traditionnellement à sa tête des membres de l’oligarchie, qu’ils soient d’obédience libérale ou conservatrice, l’arrivée à la présidence du ticket Gustavo Petro-Francia Márquez marque un tournant attendu par des millions de Colombien.ne.s. Quelques analyses.

Gustavo Petro et sa colistière Francia Márquez célèbrent leurs victoire à l’élection présidentielle le 19 juin 2022, à Bogotá. © Photo Juan Barreto / AFP

Colombie : victoire historique de la gauche (Sergio Coronado / Regards)

Ce dimanche 19 juin les Colombiens ont élu Gustavo Petro et Francia Márquez, respectivement à la présidence et à la vice-présidence du pays. Un séisme démocratique analysé par Sergio Coronado.

Deux siècles d’histoire républicaine pendant lesquelles la gauche avait été tenue à l’écart de la présidence de la République colombienne, parfois au prix des armes et de la violence, viennent de prendre fin. Ce 19 juin, Gustavo Petro obtient 50,44% des suffrages et 11.281.002 voix, contre 47,31% et 10.580.399 voix pour son adversaire Rodolfo Hernández.

Favori des enquêtes d’opinion depuis des mois, Gustavo Petro avait survolé le premier tour hissant la gauche à plus de 40%, laissant loin derrière le candidat de la coalition gouvernementale d’extrême droite, Federico Gutiérrez – dit Fico – qui était son adversaire désigné.

La qualification au second tour du millionnaire Rodolfo Hernández, ancien maire de Bucaramanga, avait cependant crée la surprise. La présence inattendue d’un personnage atypique, hors normes, faisant l’objet de poursuites judiciaires pour des affaires financières, avait rendu le second tour des plus incertains.

Au soir du premier tour, la joie de résultats avait laissé place à une grande crainte. Rodolfo Hernandez avait de grandes réserves de voix, notamment chez les électeurs uribistes furieusement anti-pétristes, et même si son comportement erratique et ses déclarations à l’emporte-pièce jouaient en sa défaveur, il n’était pas le candidat d’extrême droite que la gauche attendait, ni même n’avait souhaitait. Il représentait dans la campagne une forme d’aspiration au changement aux accents populistes et parfois réactionnaires. Son refus de débattre, sa campagne modeste sans réunions publiques, ses prises de positions contradictoires, avaient rendu le second tour incertain.

Gustavo Petro avait finalement dû ajuster sa stratégie de campagne. Celui dont l’engagement militant commença dans le choix des armes s’est transformé en meilleur défenseur des institutions et de la stabilité du pays. L’ancien maire de Bogotá, le brillant sénateur s’est montré rassurant, pris des engagements fermes de ne pas toucher à la constitution, à la propriété privée et de ne pas chercher la réélection.

Après une semaine de flottement, Petro a invité le pays à un accord national basé sur un changement profond mais tranquille, tournant le dos aux haines qui expliquent que la politique colombienne demeure une activité à hauts risques. Le soutien d’une partie des élites universitaires et intellectuelles du pays, même conservatrices, a donné à ce discours non seulement une grande consistance mais une réalité palpable.

L’incapacité d’Hernández à faire campagne, à expliquer comment il entendait gouverner, et avec quelles forces politiques, avec l’annonce du recours à un état d’exception (« estado de conmoción interior ») ont fini de fragiliser sa candidature qui bénéficiait de la bienveillance des medias dans un pays au légalisme affiché.

La victoire de Petro est nette. Il est en effet le président le mieux élu de l’histoire du pays. Son adversaire reconnut sa défaite sans aucune réserve dès l’annonce des résultats. Il n’est pas certain que celui à qui la constitution offre le rôle de premier opposant décide faire faux bond et se déclarer finalement indépendant, montrant ainsi qu’il n’était pas le candidat d’extrême-droite tant de fois dépeint. La construction de la coalition « Pacte historique » était un avant-goût de ce qui attend le premier président de gauche du pays dans la recherche d’une majorité gouvernementale.

Après le rejet des accords de paix par voie référendaire en 2016, ce vote marque un soutien clair au processus de paix, que le gouvernement précédent a mis en miettes. En élisant un ancien guérillero, le pays a exprimé sa volonté de tourner la page de la guerre.

Gouverner ne sera pas simple

Il n’en reste pas moins que l’uribisme qui a tenu le pays pendant des décennies, souvent par la terreur et la violence, sort très affaibli de cette élection. Petro bénéficie d’un socle solide. La présence de Francia Marquez à ses côtés a été un atout de poids. Elle a réconcilié le candidat parfois chahuté avec les mouvements féministes, indigènes, afro-descendants, minoritaires, les jeunes. Francia est une militante d’une écologie populaire, aux engagements connus et salués contre l’extractivisme et pour la défense de l’environnement. Elle avait créé la surprise lors des primaires ouvertes en mars dernier, recueillant plus de 800 000 voix.

Dans un continent où les expériences de gauche ont parfois construit leur modèle économique sur la destruction du vivant et l’extrativisme, elle est un gage d’une autre politique. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici


Gustavo Petro, Francia Márquez et l’espoir en Colombie (Boaventura de Sousa Santos / Traduction : Christian Dubucq / Contretemps)

Pour la première fois de l’histoire de la Colombie, un candidat de gauche a remporté les élections présidentielles. Pour la première fois, une femme noire travailleuse (ancienne employée domestique) est élue vice-présidente. Le continent latino-américain ne cesse de nous surprendre, et si les surprises nous dépriment parfois, elles peuvent aussi nous remplir d’espoir.

Dans ce cas, l’espoir est décisif car l’alternative, tant en Colombie que sur le continent, serait le désespoir et l’effondrement possible de la démocratie déjà fragile. Il est donc important d’analyser les causes de cette victoire et ce qu’elle signifie.

Dans ce pays de 49 millions d’habitants où un quart des électeurs ont 28 ans ou moins, la grande majorité des jeunes ont voté pour Gustavo Petro et Francia Márquez (surtout ceux qui ont entre 18 et 24 ans). C’est parmi les jeunes que le besoin de changement est le plus vif. La jeunesse a été l’une des principales forces de la mobilisation nationale qui, en 2021, a mis le pays à l’arrêt pour exiger la fin des politiques d’austérité néolibérales. C’est la fameuse grève nationale qui a fait quarante-six morts dans des affrontements avec la police et l’armée. L’énergie non-conformiste que la grève a générée a été canalisée avec succès dans ces élections. Deux facteurs y ont contribué de manière décisive : l’utilisation persistante et compétente des réseaux sociaux qui a séduit la génération TikTok et démantelé l’argumentation frauduleuse, élitiste, misogyne et raciste du candidat de droite et exposé les « squelettes dans l’armoire » de beaucoup (y compris des journalistes) qui la soutenaient ; la mobilisation des artistes et des intellectuel.le.s qui ont transformé l’élection de Petro et de Francia en un acte de culture contre la barbarie.

Les principales réformes structurelles proposées par Petro et Francia sont les suivantes : la mobilisation de la société colombienne en tant que société solidaire qui reconnaît et récompense le travail de soin des femmes ; une nouvelle relation entre la société et la nature qui donne la priorité à la défense de la vie sur les intérêts économiques, favorise la transition énergétique et démocratise les connaissances environnementales ; passer d’une économie extractive à une économie productive qui réduise les inégalités en matière de propriété et d’utilisation des terres par le biais d’une réforme agraire et d’accès et d’utilisation de l’eau et qui transforme le monde rural colombien en un élément clé de la justice sociale et environnementale ; veiller au respect des accords de paix de 2016 en promouvant un nouveau contrat social qui garantisse les droits fondamentaux, en particulier les droits des victimes du conflit armé et une politique de coexistence pacifique et de réconciliation.

C’est la première fois sur le continent qu’un programme féministe centré sur les soins bénéficie d’une telle priorité. Il ne s’agit pas d’un féminisme de la classe moyenne si souvent faussement radical et politiquement mal orienté (par exemple dans le cas du coup d’État de 2019 contre Evo Morales), mais d’un féminisme noir conscient de la multiplicité des oppressions (sexistes, racistes, classistes) dans le sillage d’Angela Davis. C’est également la première fois que l’agenda environnemental occupe une telle place dans un programme gouvernemental. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’improvisations de dernière minute, mais d’orientations politiques et de convictions construites au fil des ans et testées dans la pratique de l’activité politique antérieure, tant de Petro que de Francia.

Ces élections auront un impact sur le continent. Elles contribueront sans doute à renforcer le moment de souveraineté et d’autonomie vis-à-vis des États-Unis que connaît le continent à la veille du durcissement des relations entre les États-Unis et la Chine et de la lutte pour le contrôle des ressources naturelles et du commerce international qui s’y déroulera. À partir d’aujourd’hui, les présidents du Mexique et de la Bolivie se sentiront moins seuls (et même récompensés) dans le combat qu’ils ont récemment mené contre la farce du dernier Sommet des Amériques convoqué par les États-Unis, avec ses habituelles exclusions unilatérales. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici
Leer en español : Petro, Francia y la esperanza (Público)


La Colombie consolide le virage à gauche de l’Amérique latine (décryptage avec Olga Gonzalez et Jean-Jacques Kourliandsky / Anne Corpet / RFI)

Dimanche dernier (19 juin 2022), Gustavo Petro a remporté l’élection présidentielle en Colombie. Une victoire historique dans un pays qui a toujours été dirigé par des conservateurs. Elle confirme la poussée de la gauche sur le continent latino-américain puisque le Chili, l’Argentine, le Mexique, la Bolivie, le Honduras et le Pérou ont aussi porté à leur tête des élus de gauche, et que selon les sondages, c’est encore la gauche qui devrait l’emporter au Brésil à l’automne prochain (2022) avec le retour attendu de Lula à la présidence.

Entretien à écouter ci-dessous ou ici

  • Olga Gonzalez est sociologue, chercheuse associée à l’Université de Paris, spécialiste de la Colombie
  • Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation Jean Jaurès

«L’élection de Gustavo Petro confirme le nouveau tournant à gauche de l’Amérique latine» (interview de Franck Gaudichaud par Samuel Ravier-Regnat / Libération)

Pour le chercheur Franck Gaudichaud, la victoire de Petro en Colombie, dimanche, consolide l’implantation des gauches sur le continent latino-américain, renforcée ces dernières années par une série de succès électoraux.

Après l’élection de Gustavo Petro, à Bucaramanga en Colombie, dimanche. (Schneyder Mendoza /AFP)

C’est au tour de la Colombie. Le pays de 50 millions d’habitants a basculé à gauche, dimanche, quelques mois après la Bolivie, le Pérou et le Chili. L’Amérique latine compte désormais six Etats gouvernés par des dirigeants progressistes, en attendant la possible élection de Lula au Brésil, en octobre. Un «tournant à gauche» qui s’explique notamment par les conséquences de la crise sanitaire et sociale et par la puissance des mouvements sociaux dans la région, selon Franck Gaudichaud, professeur en Etudes latino-américaines à l’université de Jean-Jaurès de Toulouse.

Pour la première fois de son histoire, la Colombie est passée à gauche. Ce succès confirme-t-il la dynamique positive des progressismes d’Amérique latine et centrale ?

Sans aucun doute. L’élection de Petro en Colombie était la victoire attendue pour confirmer le nouveau tournant à gauche de l’Amérique latine, car elle a lieu dans un pays où l’oligarchie et la droite conservatrice dominent historiquement les élections, l’appareil d’Etat et le pouvoir économique et médiatique. (…)

(…) Lire la suite de l’article (réservé aux abonné.e.s) ici


Leur victoire (édito de Benito Pérez / Le Courrier)

Rarement un succès électoral n’aura autant mérité le qualificatif d’historique! Après deux siècles de gouvernements oligarchiques, un candidat s’identifiant à la gauche a été élu dimanche président de la Colombie. À force d’obstination et après avoir patiemment unifié le mouvement social, Gustavo Petro est parvenu là où aurait dû s’élever en 1948 le leader populaire Jorge Eliécer Gaitán, assassiné aux portes du pouvoir. L’attentat avait précipité le pays dans la guerre civile – et conduit à bien d’autres exécutions de candidat·es progressistes – jusqu’à l’accord de paix signé en 2016.

On mesure aujourd’hui toute la portée du renoncement aux armes négocié à Cuba entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les FARC. La guérilla l’a très chèrement payé, nombre de démobilisé·es ont été assassiné·es, et la plupart vivent très modestement, souffrant de promesses économiques jamais tenues. Mais les accords de La Havane ont opéré en profondeur: dégagée du stigmate de la violence politique, la gauche a pu remettre en avant son projet, ses valeurs, aidé en cela par la faillite du modèle libéral autoritaire. Le peuple n’a pas tardé à suivre.

L’arrivée de Gustavo Petro à la tête de l’Etat n’efface pas ces années de domination quasi féodale qui ont modelé la Colombie. Concentration des terres, violence sociale et politique, marginalisation géographique, corruption, monopole médiatique, racisme, les structures de pouvoir reposent sur des fondations profondes. M. Petro, qui lorsqu’il dirigeait la mairie de Bogota avait été destitué pour avoir socialisé le ramassage des ordures, va devoir affronter une tout autre adversité. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici


Voir également ces articles réservés aux abonné.e.s :
En Colombie, la victoire de la gauche est historique (François Bougon / Mediapart)
La gauche écrit l’histoire en Colombie (Lina Sankari / L’Humanité)

«Le peuple a inversé le rapport de force» (Laurence Mazure / Le Courrier)

Consulter notre revue de presse précédente et notre communiqué de solidarité :
Colombie : victoire du Pacto Histórico à l’élection présidentielle (revue de presse et vidéos)
Colombie : un jour nouveau se lève ! (Communiqué de France Amérique Latine)/ Colombia : un nuevo amanecer (Comunicado de France Amérique Latine)