Crise russo-ukrainienne et Amérique latine (revue de presse)


Face à l’attaque guerrière lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine, les gouvernements des pays latino-américains sont divisés. Cependant, la Russie n’a reçu aucun soutien d’Amérique latine lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution « agression contre l’Ukraine », adoptée à une majorité écrasante, le 2 mars. Seuls quatre pays de la région – Cuba, Nicaragua, Bolivie et Salvador – se sont abstenus. Revue de presse.

Vladimir Poutine en 2012. Yana Lapikova / Ria-Novosti / AFP

De l’Argentine au Venezuela, l’Amérique latine divisée face à l’Ukraine (Fabien Palem / Slate)

Si certains pays ont fini par afficher leur soutien à Kiev, d’autres choisissent de ne pas s’aligner ou de se ranger derrière Poutine, comme le Venezuela. Un nouveau vent de tensions qui invite à une certaine vigilance.

Carte: Le Grand Continent. Source: Groupe d’études géopolitiques

Proposer que l’Argentine devienne «la porte d’entrée de la Russie en Amérique latine». Agrémenter l’offre d’un grand sourire et d’une salutation chaleureuse, dont les Sud-Américains ont le secret. Le tout, trois semaines seulement avant l’invasion de l’Ukraine par Moscou, le 24 février. Pour le président péroniste Alberto Fernández, le timing n’aurait pas pu être pire. Mais, comme s’en est immédiatement défendu le ministère argentin des Affaires extérieures, à peine tombées les premières bombes sur l’Ukraine: l’Argentine n’a pas été la seule invitée de Poutine. En effet, Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le président brésilien Jair Bolsonaro avaient également fait le voyage au Kremlin durant le mois de février.

Reste que les spectacles diplomatiques qui se sont joués étaient très différents entre les Européens et les Latino-Américains. Les photos qui illustrent les sommets entre l’hôte russe et ses convives européens mettent en scène un face-à-face froid, entre deux mandataires séparés par une table grande comme la carte de la Russie. De leur côté, Fernández et Bolsonaro semblent avoir été reçus de manière plus chaleureuse, comme pour afficher une proximité… qui s’avère aujourd’hui embarrassante.

«Les présidents argentin et brésilien se sont fait rouler dans la farine. Ils se sont rendus à Moscou convaincus que la situation en Ukraine n’allait pas empirer. Poutine s’est servi d’eux, considère Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). L’intérêt pour Poutine était de montrer qu’il n’était pas isolé et qu’il maintenait de bonnes relations avec des pays émergents, y compris dans cette région lointaine, qui est un peu aux États-Unis ce que l’Ukraine est à la Russie.»

Ressusciter le tiers-monde?

Sur la mappemonde des réactions immédiates au conflit, préparée par Le Grand Continent, l’Argentine et le Brésil affichaient, le jour de l’invasion, des positions intermédiaires, respectivement une condamnation sans riposte et pas de condamnation du tout. En Amérique latine, d’autres étaient clairement alignés derrière Vladimir Poutine au début de l’invasion: Cuba, le Nicaragua, le Venezuela. Depuis, les deux premiers pays ont revu leur position et se contentent aujourd’hui de ne pas soutenir l’intervention russe. Seul le Venezuela affiche toujours un franc soutien à la Russie. Autant de divisions régionales qui ressortent deux jours après le début de l’invasion, quand l’Organisation des États américains (OEA) vote une sanction envers la Russie. Quatre pays s’abstiennent: Argentine, Brésil, Nicaragua et Bolivie. Et mercredi 2 mars, lors du vote d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies exigeant «que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine», Cuba, le Nicaragua et la Bolivie se sont abstenus, tandis que le Venezuela n’a pas pris part au vote.

Entre non-alignement et soutiens assumés, équidistance et tardives condamnations, à quelle logique répondent ces réactions diverses et visiblement si éloignées de celles des Européens? L’Amérique latine joue-t-elle à ressusciter le tiers-monde, selon l’expression du démographe français Alfred Sauvy? Aujourd’hui encore, de Buenos Aires à Caracas, on utilise à tort et à travers ce concept dans son acceptation économique, ainsi que celle de «premier monde», pour désigner l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale. «Nous parlons volontiers des deux mondes en présence, de leur guerre possible, de leur coexistence, etc., oubliant trop souvent qu’il en existe un troisième, le plus important, et en somme, le premier dans la chronologie. C’est l’ensemble de ceux que l’on appelle, en style Nations unies, les pays sous-développés», écrit Sauvy, le 14 août 1952, dans L’Observateur. (…)

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Guerre en Ukraine : l’Amérique latine lâche la Russie à l’ONU (Gilles Biassette / La Croix)

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté à une très large majorité, mercredi 2 mars, une résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine. Seuls cinq pays s’y sont opposés. En 2014, lors de l’annexion de la Crimée, ils étaient dix à soutenir Moscou. Une différence due principalement à la volte-face de l’Amérique latine.

Le 2 mars, la Russie s’est retrouvée bien seule à l’ONU : à une écrasante majorité, l’Assemblée générale a adopté une résolution exigeant « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Sur les 193 membres des Nations unies, seuls l’allié biélorusse, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Syrie étaient au côté de Moscou pour rejeter le texte. En 2014, lors de la dernière crise en Ukraine, la Russie avait obtenu le ralliement de dix pays – dont Cuba, la Bolivie, le Venezuela et le Nicaragua.

La Russie isolée à l’ONU

Les termes du texte adopté mercredi après plus de deux jours d’interventions à la tribune de l’ONU sont forts. À une très large majorité – 141 voix pour, 5 contre et 35 absentions –, la communauté internationale réclame que Moscou « retire immédiatement, complètement et sans conditions toutes ses forces militaires » d’Ukraine.

Piloté par l’Union européenne en coordination avec l’Ukraine, le texte « déplore dans les termes les plus vifs l’agression de la Russie contre l’Ukraine » et affirme « son attachement à la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale » de ce pays.

Si ce vote est sans grande conséquence – une résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU n’est pas contraignante –, le symbole est fort. Il confirme l’isolement de Moscou, notamment par rapport à l’annexion de la Crimée en 2014 : seuls 100 pays avaient alors condamné la Russie, 58 s’étaient abstenus, et 11 avaient voté contre.

Un soutien presque unanime de l’Amérique latine à Kiev

Outre l’Amérique du Nord et l’Europe, la résolution a obtenu, le 2 mars, l’approbation de nombreux États africains (abstention néanmoins de l’Afrique du Sud, de la Centrafrique et du Mali, ces deux derniers pays développant actuellement leurs liens avec la Russie). Mais le revirement le plus spectaculaire est venu d’Amérique latine : la Russie n’a reçu aucun soutien dans la région, alors que la Bolivie, Cuba, le Venezuela et le Nicaragua étaient à ses côtés en 2014.

Les alliés d’hier se sont abstenus, et les abstentionnistes, nombreux en 2014 – Brésil, Argentine, Équateur, Uruguay, Paraguay, etc. – ont voté en faveur de la résolution. Entre 2014 et 2022, le rapport s’est en fait inversé dans la région. (…)

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Guerre en Ukraine : à l’ONU, « même Cuba et le Nicaragua font preuve d’une certaine mesure » (Angeline Montoya / Le Monde)

Quatre pays d’Amérique latine – Cuba, Nicaragua, Bolivie et Salvador – se sont abstenus lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution « agression contre l’Ukraine », adoptée à une majorité écrasante, le 2 mars. Quelques jours plus tôt, le doute planait encore concernant le Mexique, le Brésil et l’Argentine, notamment parce que Mexico maintient traditionnellement une politique de neutralité (la « doctrine Estrada »), et que Brasilia et Buenos Aires s’étaient abstenus de signer, le 25 février, une résolution de l’Organisation des États américains condamnant l’invasion russe en Ukraine.

Le vote à l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution « agression contre l’Ukraine », le 2 mars 2022. Carlo Allegri / REUTERS

Les présidents argentin, Alberto Fernández, et brésilien, Jair Bolsonaro, venaient en outre, début février, de rencontrer à Moscou leur homologue russe, Vladimir Poutine, dans une tentative de trouver de nouveaux marchés. Pour Mariano de Alba, conseiller senior du think tank International Crisis Group, le vote des pays latino-américains dénote une volonté, même de la part de soutiens historiques de Moscou comme Cuba ou le Nicaragua, de ne pas se couper définitivement de l’Occident.

Pourquoi le Mexique, le Brésil et l’Argentine ont-ils finalement voté pour la résolution de l’Assemblée générale ?

Les coûts politiques et économiques d’une abstention ou d’un vote négatif auraient été trop élevés. Bruxelles et Washington ont fait de gros efforts pour s’assurer du plus grand nombre de votes. Les relations commerciales et économiques de ces pays sont plus importantes avec les Etats-Unis et l’Europe qu’avec la Russie. Certes, depuis son arrivée au pouvoir, le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, a tenté un rapprochement diplomatique avec Moscou, et il veut maintenir la neutralité et développer les liens économiques avec la Russie. Mais la délégation mexicaine à l’ONU a réussi à convaincre le pouvoir central à Mexico que l’invasion russe était une violation du droit international. Elle a utilisé pour cela la propre expérience historique du pays, qui a subi les invasions des États-Unis et de la France, pendant lesquelles elle a perdu une partie de son territoire.

Au Brésil, Jair Bolsonaro veut, lui, essayer de limiter la perception grandissante selon laquelle il est de plus en plus isolé sur la scène internationale occidentale, surtout après que Donald Trump a quitté le pouvoir aux Etats-Unis. D’autant que Lula, lui, a été reçu dernièrement par les présidents français, espagnol, mexicain…

Et même si la plupart, au Brésil, et dans l’entourage de Lula, voyaient d’un bon œil le rapprochement avec la Russie, les diplomates d’Itamaraty [le ministère brésilien des affaires étrangères] ont bien compris que, face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine, il était difficile d’opter pour une position de neutralité dans cette crise. Même chose pour l’Argentine, qui dépend en bonne partie des Etats-Unis pour la renégociation de sa dette avec le Fonds monétaire international. Ce n’était pas le moment de défier Washington. Là encore, les liens économiques de Buenos Aires sont plus importants avec l’Occident qu’avec la Russie.

Ces pays vont-ils aller jusqu’à soutenir de nouvelles sanctions économiques contre la Russie ?

Non. Il existe au Brésil une certaine inquiétude concernant l’impact négatif des sanctions sur l’importation de fertilisants de Russie [essentiels pour les cultures intensives de soja]. Si le Brésil, le Mexique et l’Argentine soutiennent les initiatives diplomatiques contre la Russie, ils ne vont pas participer aux sanctions économiques massives contre Moscou.

On pensait que Cuba et le Nicaragua voteraient contre la résolution, mais ils ont choisi l’abstention. Pourquoi ?

Nous voyons que même les pays les plus proches de la Russie en Amérique latine font preuve d’une certaine mesure. Un vote négatif du Nicaragua à l’ONU aurait accéléré la possibilité de nouvelles sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre le régime de Daniel Ortega.

En ce qui concerne Cuba, les États-Unis ont annoncé jeudi 3 mars qu’ils rouvriraient leur consulat à La Havane. Le gouvernement cubain voudrait que Washington allège les limitations contre les transferts d’argent vers l’île. Or un vote négatif à l’ONU aurait fermé cette possibilité. Cuba craint aussi que ne pas condamner l’invasion russe en Ukraine pourrait ouvrir la porte à une intervention américaine sur l’île. La Havane a donc bien précisé que la situation à l’Est relevait d’abord de la responsabilité des États-Unis et de l’OTAN, mais que les Cubains s’opposent à l’utilisation de la force. (…)

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Crise russo-ukrainienne et Amérique latine déconnectées, mais à qui le dix de der ? (point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky / Espaces Latinos)

L’Amérique latine, les Amériques latines, sont spectatrices impuissantes d’une crise aux retombées internationales majeures. Mais au delà du bras de fer engagé par la Russie avec son voisin ukrainien, les enjeux sont universels. Ils concernent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ils concernent aussi l’Amérique latine, les Amériques latines comme les autres régions du monde. Qui sont, elles aussi, plus spectatrices qu’actrices de ce conflit européen.

Dessin de Rapé (Mexique)

Le constat, évoqué infra, en donne un aperçu nécessairement limité, mais suffisant. La question implicite qu’il convient alors de se poser est celle des jours d’après. La Russie va l’emporter militairement, et vaincre l’armée ukrainienne, dans un immédiat relativement proche. Mais ce succès prévisible peut-il lui assurer le « dix de der » ? Les Amériques latines et ses dix-neuf composantes étatiques sont l’une des périphéries d’un monde disputée par les « gros poissons » de la vie internationale. Cette sujétion « aux gros », cette déconnection, n’a rien de nouveau. La brève irruption diplomatique latino-américaine des années 2000 à 2016 a duré ce qu’ont duré les retombées des redevances perçues sur l’exportation de produits primaires aux cours conjoncturellement très élevés. La roue depuis, a tourné, renvoyant les gouvernants d’Amériques latines à la case départ. Celle d’une réalité structurellement dépendante des puissances à valeur ajoutée élevée, technologique, économique, culturelle, sociale et militaire.

Face au tsunami militaire en cours déclenché en Ukraine, par la Fédération de Russie, l’un des cinq « Grands », siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU, et détenteur du feu nucléaire, du Mexique à l’Argentine, à quelques nuances près, la réaction a été la même, celle du « dos rond ». Bien sûr il y a des nuances, des coquetteries diplomatiques plus que des écarts fondamentaux entre les uns et les autres. Les positionnements clairement et sans état d’âme pour, ou anti- russe sont quasi inexistants. Seul le Venezuela, en banqueroute idéologique, économique, sociale, soumis à de sévères sanctions nord-américaines, a soutenu à 100 % Moscou. « La République Bolivarienne du Venezuela (…) regrette la rupture des Accords de Minsk  de la part de l’OTAN à l’instigation des États-Unis, (..) générant de fortes menaces pour la Fédération de Russie », est-il dit dans un communiqué du 24 février. Le Brésil, a lui aussi refusé de condamner la Russie. La cohérence de ce positionnement fait toutefois problème. Tant les prises de position sont confuses et parfois contradictoires au sein de l’appareil d’Etat. Les autres qu’ils soient soumis aux sanctions des États-Unis comme Cuba, ou au contraire leur allié indéfectible comme la Colombie, ont exprimé leurs préférences avec retenue.

Cuba a enrobé son soutien à la Fédération russe de bémols sur la non-ingérence, comme en témoigne le communiqué de l’agence cubaine de presse du 26 février : « Cuba en faveur d’une solution diplomatique de la crise européenne actuelle ». La Colombie, associée à l’OTAN, a pris ses distances. Nous ne sommes pas ont dit ses autorités membres pleins, et donc tenus à une solidarité automatique. En clair a déclaré le ministère colombien de la défense, le 24 février, « on ne participe ni à des opérations militaires, ni à l’envoi de troupes ». Les autres, tous les autres de l’Argentine au Mexique, ont regretté une situation qui pourrait compliquer leurs difficultés économiques. L’Argentine a un besoin urgent de financements. Le Brésil, le Chili, le Mexique, le Pérou, l’Uruguay vivent un quotidien déterminé par leurs exportations, et le bon fonctionnement des mécanismes bancaires internationaux. Jair Bolsonaro a indiqué que les fertilisants russes sont importants pour les producteurs agricoles du Brésil. Andrés Manuel López Obrador,  chef d’État mexicain s’est voulu rassurant. Il a signalé le 24 février, que le Mexique « s’était préparé à affronter une hausse du prix du gaz importé ».

Pratiquement tous, ont rappelé leur attachement ancien et toujours actuel, au respect du droit international, et au règlement pacifique des différends. Les uns en évitant de nommer l’agresseur, d’autres, parfois après quelques jours de réflexion, se décidant à désigner la Russie. Parfois comme au Mexique, en précisant comme l’a fait AMLO, son président, que la condamnation de la Fédération russe ne voulait pas dire « que nous allons nous fermer » en particulier à Aéroflot. 

Continent au passé de colonisé, région soumise aux ingérences de divers pays européens et des États-Unis, les Amériques latines, ont au fil du XXème siècle, produit des théories protectrices des souverainetés. Ils ont souscrit à tous les instruments et à toutes les constructions intergouvernementales, reposant sur la reconnaissance des droits égaux entre nations du monde. La crise d’aujourd’hui, ingérence brutale d’un Etat membre de l’ONU dans le territoire d’un voisin lui aussi reconnu par la société internationale, constitue un inacceptable pour des Latino-américains, accrochés à la nécessité d’une légitimation optimale du droit international. Cet acte pourrait constituer un précédent rebattant les cartes. Et pourquoi pas renvoyant le sous-continent aux années « dollars et gros bâton ». Après tout l’ex-président des États-Unis, Donald Trump, et vraisemblablement candidat aux prochaines élections présidentielles de son pays, n’a –t-il pas invité son pays « à copier la Russie et à envoyer une force de pacification au sud des États-Unis » ? 

Mais le monde d’aujourd’hui n’est plus celui des années 1900, ni même celui des années 1970. La Chine depuis a émergé. (…)

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Voir également sur notre site cet article du 25 février L’Amérique latine et la guerre en Ukraine (Tribune de Christophe Ventura / IRIS)