Élections au Venezuela : une nouvelle étape ? (Christophe Ventura / IRIS)


Le 21 novembre dernier, le chavisme au pouvoir a largement remporté les élections régionales et municipales. Dans une situation économique et sociale complexe, ces élections ont à la fois été marquées par une importante abstention et le retour des partis d’opposition dans un processus électoral. Ces élections annoncent-elles le retour d’une possible normalité politique au Venezuela et une nouvelle étape dans ses relations avec les pays de la région ?

Photo : Yuri Cortez / AFP

Le point de vue de Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS / Institut de Relations Internationales et Stratégiques, en charge du programme Amérique latine/Caraïbe.

Le parti de Nicolás Maduro a remporté les élections du 21 novembre dernier malgré la participation de l’opposition pour la première fois depuis 2017. Comment analysez-vous cette victoire certes écrasante, mais marquée par une très forte abstention ?

Cette victoire est importante pour Nicolás Maduro. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, si notre point d’entrée est le processus intérieur vénézuélien en tant que tel, cette victoire s’inscrit à la suite d’autres intervenues cette dernière année. Nicolás Maduro et le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) ont, en effet, repris l’Assemblée nationale en décembre 2020, c’est-à-dire l’ensemble du pouvoir législatif (le système vénézuélien est unicaméral) à l’opposition et au président autoproclamé du pays, Juan Guaidó, soutenu par Washington. À l’époque, des premiers éléments issus des rangs de l’opposition avaient accepté de participer à cette élection, contre la volonté de Juan Guaidó, et sont entrés à l’Assemblée. C’est le point de départ de la séquence qui mène aux élections locales et régionales du 21 novembre. La tenue de ces dernières est le fruit d’une longue et graduelle négociation, pas à pas, réalisée selon la méthode de la construction d’accords partiels, sectoriels, limités et fonctionnels, entre le chavisme et les partis d’opposition. Et toujours sujette au pendule avancées/ruptures. Cette négociation, ou ce dialogue, a jusqu’ici répondu au cadre souhaité par Nicolás Maduro. Elle a également été rendue possible par le changement progressif du centre de gravité stratégique au sein des oppositions. La ligne dure a perdu du terrain depuis 2019 et si tous les partis d’opposition souhaitent ardemment le départ de Nicolás Maduro, ils ne sont pas d’accord sur la manière d’y arriver. La position majoritaire a basculé, sur fond de dégradation économique et sociale et de fatigue politique, sur l’idée que la stratégie radicale de Juan Guaidó, appuyée par Washington, ne fonctionne et ne fonctionnera pas. Ils ont donc décidé, sans reconnaître la légitimité de Nicolás Maduro, d’accepter de négocier et d’entrer dans le cadre proposé par ce dernier qui, lui, insiste sur le fait que ce dialogue s’inscrit dans le cadre de la Constitution…dont il est la représentation et l’ultime garant…

Isolés et affaiblis, Juan Guaidó – et son parti –  ont considéré qu’ils ne pouvaient rester en dehors de cette dynamique, à contrecœur. Dans cet arc oppositionnel, le point d’équilibre est désormais de considérer, huit ans après la première élection de Nicolás Maduro, que la stratégie de boycott, de changement de régime, de mobilisations de rue s’est révélée être une impasse et qu’elle n’a pas permis de victoire malgré tout ce qui s’est passé ces dernières années au Venezuela : non-reconnaissance de Nicolás Maduro, appel au soulèvement de l’armée, non-participation à la vie politique, violences, raidissement autoritaire, répression,  implication de Washington, mise à prix pour 15 millions de dollars de la tête de Nicolás Maduro, opérations de barbouzerie, ouverture d’une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur de possibles violations des droits humains lors des manifestations de 2017 , etc.

Pour sa part, ayant repris le contrôle institutionnel, ayant fait la démonstration de la solidité du soutien de l’armée à son endroit, et se sachant face à une opposition divisée et en manque de leadership unifié, Nicolás Maduro a accepté d’ouvrir le jeu, de faire des concessions, et de mettre l’opposition devant une nouvelle offre : régler la crise politique, et en arrière-plan celle de l’économie,  par la négociation et le dialogue politique, quitte à lui ouvrir des espaces de pouvoirs – politiques et économiques -, si cette opposition renonce à le renverser. L’objectif de cette démarche est notamment, sur le plan de son implication internationale, de pousser Washington à réviser sa position dans le but d’obtenir la fin des mesures unilatérales qui sont imposées au Venezuela depuis 2015 et qui étranglent financièrement et commercialement le pays, interdisant toute possibilité d’une récupération économique et financière structurelle.

Dans cette perspective, l’organisation d’élections auxquelles devait être directement associée l’opposition constituait un pas déterminant. Les principaux partis de cette dernière sont regroupés dans le « G4 » : Voluntad Popular, le parti de Leopoldo López et de Juan Guaidó (le premier a pourtant prôné à titre personnel l’abstention et le second est resté ambiguë tout le long de la campagne sur sa reconnaissance ou pas du scrutin), Primero Justicia de Henrique Capriles, Acción democratica et Un Nuevo Tiempo dont le dirigeant Manuel Rosales a remporté l’État pétrolier stratégique de Zulia. Cette coalition est également engagée dans le prolongement régional de ce processus de dialogue politique avec le chavisme entamé, lui, à Mexico depuis le mois d’août 2021, sous l’égide de la Norvège. Un processus fragile et chancelant de par ses avancées, reculs et ruptures, mais qui n’est pas brisé, même s’il est aujourd’hui suspendu par le gouvernement vénézuélien depuis l’arrestation au Cap-Vert, lors d’une escale technique en avion, d’Alex Saab. Ce proche du président vénézuélien est un homme d’affaires, envoyé spécial du gouvernement, avec rang d’ambassadeur, et membre de la délégation vénézuélienne de Mexico. Il a été extradé, dans des conditions contestées, aux États-Unis où il est incarcéré en attendant son jugement pour « association de malfaiteurs visant à blanchir de l’argent ».

Ainsi, le déroulement de ces élections, au-delà de la nature des mandats en jeu, constituait un pas important pour matérialiser et sédimenter ce complexe processus de dialogue interne. Et en imposer la validité et l’existence à l’extérieur, aux médias, à l’administration américaine et à l’Union européenne notamment.

Au final, Nicolás Maduro remporte ces élections, coorganisées avec l’opposition, de manière nette. Quels sont les facteurs qui expliquent cette victoire ? Le premier tient à la mobilisation et l’organisation militante du parti chaviste, le PSUV, qui a, par un processus de primaires organisées au sein de la coalition du Grand pôle patriotique, préparé des élections pour avoir un candidat pour chaque mandat en jeu. Ce processus a d’ailleurs produit des tensions internes. À l’inverse, si l’opposition a accepté de participer au processus électoral, cela s’est fait en ordre dispersé : près de 65 000 candidats se concurrençaient au niveau des municipales et des régionales quand les chavistes n’en avaient que 3000 ; 37 partis nationaux étaient engagés dans la campagne, ainsi que 43 partis régionaux. Bref, l’opposition s’est cannibalisée dans le vote, permettant au chavisme de consolider ses positions, à partir d’un socle électoral dominant bien que non hégémonique. Le second facteur déterminant de la victoire du chavisme est bien sûr l’abstention. Moins importante que lors des législatives de 2020, mais plus forte que lors des régionales de 2017, cette abstention a atteint 58 % du corps électoral.   Dans cette abstention, on trouve une bonne partie de l’électorat de l’opposition, désillusionné tant par l’offre de ses partis, les divisions, les problèmes de leadership, que par la situation de profonde crise économique et sociale que connait le pays. Mais elle agglomère aussi une partie de l’électorat populaire et chaviste insatisfait du gouvernement et de Nicolás Maduro, principalement à cause de la situation économique et sociale qui crée une sorte de déconnexion et de dépolitisation ambiantes dans la population.

L’articulation de ces facteurs explique ainsi l’hégémonie chaviste : 20 États remportés sur 23 possibles (deux sont toutefois encore en phase de vérification), et environ 200 municipalités sur 335.

Toutefois, dans ce cadre, le potentiel de l’opposition peut se mesurer au fait que dans plusieurs États, l’écart de voix entre le premier parti d’opposition arrivé deuxième et le chavisme n’était pas abyssal. Unis, les partis d’opposition auraient pu en remporter plus.  Et aux municipales, les partis d’opposition ont largement augmenté leur nombre de mairies remportées.  Ils en gagnent ainsi 117 (contre 26 en 2017 lors des dernières élections régionales et municipales). Le PSUV, lui, passe donc de 298 en 2017 à 205 en 2021.

Plongé dans une récession sans précédent depuis 2015, où le Venezuela en est-il au niveau économique et social ?

La situation économique et sociale vénézuélienne est probablement unique au monde. C’est un pays dont l’économie s’est largement évaporée après toutes ces années de récession abyssale, d’hyperinflation et de sanctions. Aujourd’hui, 70-80% des Vénézuéliens sont touchés par la pauvreté, et les inégalités ont explosé. On parle d’un pays qui a quand même perdu 75% de son PIB en moins de dix ans. La taille de son économie en est réduite d’autant. Cette puissance pétrolière de référence est devenue un pays qui écoule quelques centaines de milliers de barils quand il en écoulait des millions il y a quelques années en arrière, et qui doit le faire en passant par des zones grises du commerce et de la finance internationale pour pouvoir échapper au lourd dispositif de sanctions imposé par Washington. (…)

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