🇨🇴 Entretien avec Juan Pablo Gutiérrez, autochtone colombien réfugié en France pour avoir résisté à l’industrie minière (Contre-Attaque)
Menacé en Colombie à cause de son engagement contre l’exploitation minière et pour les droits des peuples autochtones (il a échappé à deux tentatives d’assassinat), Juan Pablo Gutiérrez a dû s’exiler en France il y a quelques années. Partisan de « l’union des résistances contre la destruction », c’est aux rencontres internationalistes Peoples’ Platform Europe que nous faisons sa connaissance. L’occasion de faire entendre sa voix et celles des peuples autochtones. Entretien.
Peux-tu te présenter et nous expliquer ton parcours d’activiste depuis la Colombie jusqu’à aujourd’hui en France ?
Je m’appelle Juan Pablo Gutiérrez, défenseur de la mère terre et de la vie, délégué international du peuple autochtone Yukpa et père de Inti. Je suis exilé en France depuis un peu plus de 5 ans, à cause du danger que représentait l’exercice de mon travail de défense des droits et des territoires des peuples autochtones, et du fait d’avoir dénoncé les différents acteurs impliqués dans les problématiques de ces peuples en Colombie, à savoir les entreprises multinationales et leurs pays d’origine, les groupes paramilitaires, les politiques des anciens gouvernements colombiens etc.
J’ai dû quitter la Colombie parce qu’on a essayé de m’assassiner, et je milite actuellement depuis l’Europe, toujours dans la même perspective, en essayant de positionner les peuples autochtones en tant que le nouveau sujet révolutionnaire de la page de l’histoire contemporaine. Je tente de démontrer à travers l’exemple d’organisation historique des peuples autochtones, dans leur diversité, qu’il est aussi possible de s’organiser à l’échelle européenne, aujourd’hui plus que jamais dans ce contexte de renaissance du fascisme.
En 2009, la Cour constitutionnelle de Colombie déclarait qu’il y avait «un risque imminent d’extinction culturelle, mais aussi physique du peuple Yukpa». Seize ans plus tard, comment la situation a évolué ?
Oui c’est en 2009 que la cour constitutionnelle a émis cette sentence, dans laquelle elle disait que le peuple Yukpa et trente-quatre autres peuples autochtones (soit trente-cinq des 115 peuples autochtones de Colombie) faisaient face à un risque d’extinction culturelle et physique à cause de la destruction des territoires, en d’autres termes de la logique coloniale et capitaliste qui nous a été imposée par la force depuis plus de cinq siècles au nom du «progrès».
La situation n’a pas évolué jusqu’à aujourd’hui, parce que les différents gouvernements colombiens qui se sont succédés depuis lors n’ont rien fait et ont fait perdurer ces politiques néo-libérales, jusqu’au gouvernement actuel qui est le premier qui représente les intérêts des mouvements sociaux et populaires.
Il faut néanmoins savoir que les gouvernements précédents en Colombie ne sont pas les seuls responsables. Surtout, à l’échelle globale, il existe une pression énorme des pays du nord et des multinationales pour exploiter les ressources qui se trouvent dans nos territoires. Cette pression ne cesse de s’accroître, et ce même dans le contexte actuel de crise climatique. À titre d’exemple, il y a toujours sur le territoire Yukpa une mine de charbon à ciel ouvert, qui fait presque trois fois la taille de la ville de Paris, malgré une crise climatique sans précédent qui risque même d’exterminer aujourd’hui l’humanité entière.
Tu as évoqué les multinationales, ainsi que les groupes armés. Est-ce a dire qu’il y a une forme d’alliance en Colombie entre ces entreprises et les groupes paramilitaire pour s’approprier les ressources et les territoires des peuples autochtones ?
Oui, contre ceux et celles qui osent s’opposer aux politiques de «développement» et de «progrès», qui en réalité sont des politiques de destruction de nos territoires, les multinationales ont recours aux groupes paramilitaires. C’est un modus operandi bien connu en Colombie (mais aussi ailleurs dans le monde) : ce qui ne peut être obtenu par voie légale ou par le consentement des peuples concernés, ils essayent de l’obtenir par une politique de terreur.
En Colombie il y a ce que l’on appelle des groupes paramilitaires : ce sont des milices armées illégales qui travaillent au service de n’importe qui contre rétribution financière. Elles arrivent pour menacer les communautés en les obligeant à se déplacer, sinon ils tuent et commettent des massacres, coupent les têtes des habitant-es, pour terroriser les populations sans distinction entre hommes, femmes et enfants. Et c’est quasiment impossible de s’y opposer… La situation du peuple Yukpa n’est pas exceptionnelle, c’est la règle pour l’ensemble des peuples autochtones, habitant les territoires les plus riches, ceux dont le nord global dépend pour maintenir leur mode de vie et leurs privilèges.
Est-ce déjà arrivé en Colombie que les peuples autochtones engagent une riposte armée face à ces groupes paramilitaires et ces politiques de la terreur ? Est-ce que la lutte armée est une forme de résistance qui est envisagée par les peuples autochtones ?
À une époque, et face au poids des menaces, les peuples autochtones en Colombie ont créé une guérilla propre qui s’appelait Quintín Lame. Cela s’est terminé par un processus de paix en 1991 suite à un accord de paix. Depuis la lutte continue, c’est une lutte directe mais qui n’est plus armée.
À chaque fois, je dis qu’ici en Europe, la solution c’est de commencer à lutter pour de vrai, de faire une révolution. Les gens me demandent si je suis en train de leur dire de s’armer, et je réponds «oui», il faut s’armer de l’arme la plus puissante qui existe pour un peuple : la détermination !
La détermination d’un peuple mobilisé est telle un fleuve inarrêtable. C’est avec cette détermination que les peuples autochtones ont réussi à devenir une vraie force d’opposition. Mêmes les armes des groupes paramilitaires sont impuissantes face à la détermination d’un peuple dont les membres sont prêts à se faire tuer pour défendre leurs droits. (…)
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