Équateur: défense des droits des communautés indigènes et paysannes contre Chevron.

France Amérique Latine est signataire d’une lettre ouverte au président de l’Équateur, M. Lenín Moreno; au procureur général de l’Équateur, M. Iñigo Salvador et au chancelier de l’Équateur, M. Luis Gallegos, pour la défense des droits des communautés indigènes et paysannes contre Chevron.

C’est le 16 décembre 2020 que tombe le dernier délai pour l’État équatorien pour rejeter ou accepter la sentence d’un tribunal néerlandais, concernant l’action en annulation de la sentence arbitrale rendue par un panel international privé basé aux Pays-Bas en faveur de Chevron. Cette décision ordonne à l’Équateur de bloquer l’exécution de la sentence ratifiée par toutes les instances judiciaires du pays et d’empêcher les communautés indigènes et paysannes affectées par les opérations pétrolières de la société transnationale de faire exécuter la sentence équatorienne pour la réparation des dommages causés en Amazonie équatorienne. Si l’État équatorien accepte la sentence néerlandaise, il devra indemniser Chevron à hauteur d’une somme de centaines de millions de dollars, pour les “dommages causés à son image et les frais occasionnées par les procès menées contre elle pendant des années”. Il devra également intervenir devant d’autres tribunaux pour empêcher les plaignants équatoriens d’intenter des procès contre la compagnie dans d’autres pays.

Si le gouvernement équatorien ne fait pas appel de cette décision, la sentence arbitrale restera définitive, malgré le fait qu’en mai 2019, plus de 260 organisations et réseaux sociaux représentant plus de 280 millions de membres sur les cinq continents avaient dénoncé l’illégalité et l’inconstitutionnalité de cette décision. Ce verdict néerlandais mettra fin à l’espoir de justice pour les communautés concernées et consoliderait le système ISDS (Investor-state dispute settlement), qui constitue une menace pour l’État de droit.


Il y a vingt-sept ans, les communautés vivant dans les provinces d’Orellana et de Sucumbíos ont engagé une procédure contre la compagnie pétrolière transnationale Texaco (aujourd’hui Chevron Texaco) pour les dommages culturels, sanitaires et environnementaux qu’elle a causés lors de ses activités en Équateur. Après un long procès, la justice équatorienne s’est prononcée en faveur des habitants de l’Amazonie, regroupés au sein de l’Union des personnes affectées par les opérations pétrolières de Texaco (UDAPT). Chevron a eu recours à toutes sortes de manœuvres à l’intérieur et à l’extérieur de l’Équateur pour se soustraire à sa responsabilité. Dans ce contexte, la cour néerlandaise a rejeté en première instance le recours intenté par l’Équateur pour annuler la sentence arbitrale.  L’Équateur a le droit de faire appel de cette décision en deuxième instance et même d’aller jusqu’à la Cour suprême néerlandaise. L’UDAPT a écrit une lettre au bureau du Procureur général dans ce sens. Cependant, à ce jour, le gouvernement équatorien n’a pas encore manifesté son intention de faire appel.

Si le gouvernement équatorien acceptait de se soumettre aux ordres du tribunal arbitral et du système judiciaire néerlandais, sa décision aurait des conséquences graves et désastreuses. En premier lieu, elle annihilerait la lutte de plus de 30 000 habitants de l’Amazonie pour obtenir justice, étant donné que le tribunal très controversé demande que les revendications contre la compagnie pétrolière soient présentées “individuellement”. Or, il est facile à imaginer que les victimes de la société transnationale n’obtiendraient jamais justice. Ne pas faire appel de la décision néerlandaise implique que le gouvernement de l’Équateur devrait céder sa souveraineté en tant qu’État en faveur d’un système de justice internationale privé, c’est-à-dire qu’il violerait de manière flagrante la Constitution de l’Équateur.

En renonçant à faire appel contre la sentence du tribunal néerlandais avant le 16 décembre, le gouvernement équatorien contribuerait à protéger les droits de Chevron, renforçant l’impunité des entreprises transnationales et ouvrant la porte à l’augmentation de pressions et menaces à l’encontre des plaignants, comme cela s’est déjà produit au fil des ans. Quant à la Cour néerlandaise, il faut souligner qu’en maintenant sa position, elle deviendrait complice de la violation des droits humains des peuples indigènes et renforcerait l’impunité des entreprises à travers une sentence arbitrale impliquant qu’un autre État doive violer sa propre constitution. Cette décision serait inapplicable en Équateur.


Monsieur le Président Lenín Moreno, il est encore temps pour votre gouvernement de rejeter la décision du tribunal néerlandais et de faire appel.

En cette fin d’année, vous et votre gouvernement avez entre vos mains la possibilité de rendre justice aux communautés indigènes et paysannes touchées par les opérations de Texaco (maintenant Chevron) et de sauvegarder la souveraineté de l’Équateur.

Nous vous demandons instamment de faire appel de la décision néerlandaise, qui constituerait un dangereux précédent pour l’impunité des entreprises dans le monde.

Ne fermez pas la porte à l’espoir des communautés équatoriennes dans leur longue bataille pour la justice et la réparation.

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