L’Europe décorera-t-elle une dictatrice ? (Renaud Lambert / Le Monde Diplomatique)


Jeanine Añez nommée par le Parlement européen

Entrez contempler le fleuve cracher le feu ! » En 2009, le poète uruguayen Eduardo Galeano imagine « un monde à l’envers », univers « sens dessus dessous » où « le plomb flotte et le liège coule ». Il vient de décrire le Parlement européen.

Jeanine Áñez en mai 2020. Photo DR

Le 14 octobre 2021, un communiqué de l’institution annonce les finalistes du prix Sakharov, « la plus haute distinction accordée par l’Union européenne aux actions en faveur des droits de l’homme » qui « honore les personnes, les groupes et les organisations qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la défense de la liberté de pensée ». Parmi eux, Mme Jeanine Añez, la première dictatrice de l’histoire latino-américaine. Celle que le Parlement européen — qui pilote le prix — présente comme « l’ancienne Présidente par intérim de la Bolivie » est parvenue au pouvoir à la suite d’un putsch.

Rappel des faits

Le lendemain des élections générales boliviennes de 2019, l’Organisation des États Américains (OEA) — bras armé de Washington dans la région — annonce soupçonner une fraude massive. Elle n’étaie son accusation qu’une vingtaine de jours plus tard, dans un document dont les multiples incohérences ont désormais été révélées. Mais l’extrême droite bolivienne s’est engouffrée dans la brèche. Elle déclenche des émeutes qui ouvrent la voie à l’entrée en scène des militaires. Le 11 novembre 2019, ces derniers « suggèrent » au président Evo Morales de démissionner. N’en déplaise aux médias qui s’interdisent d’utiliser le terme, on appelle cela un coup d’État (1).

Sénatrice conservatrice de second rang, Mme Añez s’autoproclame alors présidente, sans quorum au Parlement. Interrogée sur les circonstances de sa prise de fonction, Mme Añez souhaite apaiser les inquiétudes : « Un coup d’État, c’est quand il y a des soldats dans les rues », tranche-t-elle le 12 novembre. La veille, elle a demandé à l’armée de joindre ses forces à celles de la police pour « restaurer l’ordre » dans La Paz : des militaires patrouillent dans les rues de la capitale au moment précis où elle s’exprime. (…)

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