🇧🇷 Exploitation illégale, accidents mortels… En Amazonie, sur la piste des forçats du bois (reportage de Antoine Portoles / L’Humanité)


Situé au cœur de l’Amazonie, l’État de l’Amapa (Brésil) est grand comme l’Hexagone. Là-bas, les ouvriers de la forêt sont de plus en plus nombreux à défendre une gestion durable de celle-ci, tandis que d’autres sont toujours sous l’emprise des groupes criminels, au service de l’exploitation illégale du bois. Pour en savoir plus sur ce conflit entre travail formel et informel qui gangrène la société amazonienne, plusieurs syndicalistes sont allés à leur rencontre.

Sur l’ensemble du Brésil, plus de sept millions d’emplois découlent du secteur de la foresterie, d’après le Service national d’information forestière, auxquels s’ajoute une main-d’œuvre précaire et peu qualifiée, payée deux à quatre fois plus que dans le secteur formel, au prix de conditions de travail périlleuses. ©AntoinePortoles

Deux pick-up d’un blanc immaculé arpentent les rues de Macapa, capitale de l’État de l’Amapa, au nord du Brésil. À leur bord, six syndicalistes ont parcouru des milliers de kilomètres à la rencontre des travailleurs de la forêt amazonienne. Deux Brésiliens, deux Français, un États-unien et un Belge sont du voyage. Le convoi s’arrête à l’orée d’une ruelle au sud-est de la ville, à quelques encablures du plus grand fleuve au monde, l’Amazone. Ici, sept familles contrôlent tout un tas d’entreprises. Déclarées, certaines disposent d’une licence du ministère de l’Environnement brésilien. La marchandise qui y est exploitée, elle, n’a rien de légale. Du bois.

À notre arrivée, des ouvriers s’attellent dans les granges. Ils transfèrent de lourdes planches tout juste livrées par bateau, de l’Amazone vers les ateliers. La plupart œuvrent sous une chaleur harassante, à mains nues, en claquettes, sans même se protéger les voies respiratoires de la sciure de bois. L’odeur qui se dégage de ces entrepôts informels prend au nez. Les regards suspicieux fusent. Nous ne sommes pas les bienvenus. « Ils nous prennent pour des environnementalistes qui cherchent à détruire leur production », explique Carolina Dantas, secrétaire de l’Office du climat et des forêts de l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) pour l’Amérique latine et les Caraïbes.

Un membre de la délégation s’avance. Oseias Cardoso Nascimento, syndicaliste du coin qui milite pour mettre fin à ces exploitations clandestines, tente d’établir le dialogue avec eux. Il nous fait passer pour de potentiels acheteurs, à la recherche de bois domestique. Celui-ci n’est pas certifié, bien qu’utilisé dans tout le pays pour la confection de charpentes, de toits et d’échafaudages. Des piles de bastaings, entreposées à même la terre rouge. Après quelques échanges, nous rebroussons finalement chemin.

Ces sociétés, d’apparence tout à fait licites, illustrent le conflit qui règne dans la vaste Amazonie, où la légalité flirte avec l’illégalité, au point qu’il est parfois difficile de distinguer l’une de l’autre. Le bois illégal est présent partout, même en Europe. En ville, un patron de supérette, ami d’Oseias, reconnaît lui-même s’en servir pour produire des bennes de camion : « Tout le monde fait ça, ce n’est un secret pour personne ».

Sous la canopée, une myriade d’activités criminelles déforeste sans sourciller et parasite les efforts des habitants, soucieux de préserver leur habitat. L’Amapa en est gangrené, bien que les initiatives de protection essaiment. Au cœur de ce système d’exploitation illégale, les travailleurs. Sur l’ensemble du Brésil, plus de sept millions d’emplois découlent du secteur de la foresterie, d’après le Service national d’information forestière. Vient s’ajouter à cela une main-d’œuvre précaire et peu qualifiée, payée deux à quatre fois plus que dans le secteur formel, au prix de conditions de travail périlleuses. Sans eux, le trafic du bois s’effondrerait tel un château de cartes. Or, à Amapa, les salariés qui sont employés illégalement seraient aussi nombreux que ceux dans la filière légale.

Quelques heures avant notre visite impromptue, nous sommes reçus dans les locaux de l’inspection du travail de Macapa, dans le but de comprendre ce 50/50. Présent en visioconférence à travers un écran de télévision, Rodrigo détaille son quotidien en tant que procureur local. « Le problème est simple. Nous sommes seulement trois procureurs dans tout l’Amapa, et de nombreuses zones sont difficiles d’accès, certaines seulement par voie fluviale, ce qui rend les contrôles d’autant plus difficiles », concède-t-il. L’opacité règne en maître dans la jungle. Les accidents du travail « sont invisibles pour nous ».

Soumis à des cadences de travail infernales, les ouvriers grimpent aux arbres, parfois jusqu’à 80, voire 100 mètres, dépourvus d’équipements de protection, le tout sans couverture sociale. Les chutes sont fréquentes. Dans les usines de débitage du bois, ils manipulent de manière inadéquate les tronçonneuses et autres scies à ruban. Leur exposition prolongée aux poussières et aux produits chimiques favorise l’apparition de maladies. Loin de leur famille, isolés dans les tréfonds de l’enfer vert jusqu’à cinquante jours d’affilée, d’aucuns sont également soumis à des troubles psychologiques. À l’arrivée, les accidents sont souvent mortels ou très graves, provoquant, pour ces derniers, mutilations et traumatismes à vie. Aucun chiffre officiel ne permet de déterminer l’ampleur réelle du drame qui se joue dans la région.

La législation brésilienne permet pourtant de sanctionner les groupes criminels, notamment au moyen d’amendes et d’interdiction d’exercer. Les inspecteurs du travail bénéficient par ailleurs désormais de la recherche satellitaire, afin d’identifier des zones très précises où ils ne peuvent effectuer leurs contrôles. Une fois de plus : « Nous ne sommes pas du tout assez nombreux », dénonce Michel, l’un d’eux. S’ajoute à cela l’impossible éradication de l’esclavage, dont les enfants sont les premières victimes. « Les personnes exploitées portent rarement plainte, car dans l’incapacité de le faire, et même si elles osent le faire, il est souvent impossible de faire reconnaître leur cas par manque de preuve ». D’après les autorités locales, la plupart de ces forçats viendraient du Venezuela voisin ; ils seraient six millions présents au Brésil.

Le lendemain, rendez-vous est donné auprès d’une entreprise de gestion durable de la forêt tropicale. TW Forest est établi à une quarantaine de minutes au sud de Macapa, tout près du rio Anauerapucu, un cours d’eau qui se jette dans le delta de l’Amazone. Triplement certifiée – FSC, PEFC ainsi qu’un label de l’Amapa –, cette compagnie est sortie de terre six ans plus tôt. Obed, l’un de ses représentants, est fier de nous accueillir autour d’une table en bois sculpté, cafés et bouteilles d’eaux prêts à être servis. « Imaginez un terrain de football, on prélève trois arbres dessus, puis on laisse le biome s’autorégénérer durant les vingt-cinq années à venir », résume-t-il. Les concessions sont délivrées sur approbation expresse des communautés locales. Sur site, des ingénieurs calculent en amont l’impact de chaque coupe sur chaque parcelle exploitée. (…)

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