Fièvres malignes menaçant la paix des Amériques latines : Argentine, Nicaragua, République dominicaine, Venezuela… un juillet illibéral (Jean-Jacques Kourliandsky / Espaces latinos)


Les plages caribéennes à cocotier début juillet ont perdu leur bonhomie.  La nature s’est déchainée avec un mois d’avance. Le cyclone Béryl, c’est son nom est arrivé trente jours avant terme, selon les météorologues. Il a balayé du Venezuela au sud des États-Unis, dévastant Saint Vincent et Grenadines, l’ile de Carriacou, bousculant au passage Martinique, Jamaïque et le Yucatan mexicain. Les hommes ont accompagné à leur façon le déchainement des vents. Du Centre au sud des Amériques, diplomatie, démocratie, droits humains, tout ce qui met de l’huile dans les conflits internes et externes, a été détérioré par des sables mal intentionnés.

Photo : Santana

Diplomatie, c’est la réunion annuelle du marché Commun du Sud, déstabilisée volontairement par le président de l’Argentine. Démocratie, c’est, fin juillet, la partition électorale du Venezuela, encore une fois écrite par ses seuls dirigeants. Droits humains, ce sont les jeux interdits auxquels se livrent les présidents du Nicaragua et de la République Dominicaine avec les migrants.

La diplomatie est là pour fabriquer compromis et coopération. Elle peut éviter le pire et construire le meilleur. Encore faut-il en accepter les règles.  Le 8 juillet Asunción, la capitale du Paraguay accueillait le 64e sommet annuel du Mercosur. Train-train diplomatique, sans doute, mais pas tout à fait. La Bolivie vient d’acter son adhésion. Et Asunción, pour ceux qui auraient pu l’oublier, c’est là qu’Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay ont en 1991 signé le traité constitutif de l’organisation. Depuis cette date le Mercosur a fait figure d’organisation pionnière en matière de coopération entre gouvernements en Amérique latine. Surprenant encore une fois son monde, et ses voisins, Javier Milei, chef de l’État argentin, a fait le Mercosur buissonnier. Il a choisi d’aller au Brésil, non pas pour voir Lula, qui était au Paraguay, mais son prédécesseur, Jair Bolsonaro, entouré de la crème de la crème des extrêmes droites radicales de la région. Au même moment en effet le gouverneur de l’État de Santa Catalina, accueillait la cinquième conférence de l’antenne brésilienne de la CPAC, cercle de l’extrême-droite étatsunienne républicaine. Il y avait là l’état-major des amis de Bolsonaro, députés et sénateurs du parti libéral, tout comme le chef du parti républicain du Chili, et le ministre de l’Intérieur du salvadorien Nayib Bukele. Ce faisant, Javier Milei, instrumentalisait pour la troisième fois, après deux visites en Espagne faites dans les mêmes conditions, son titre de président pour cautionner des sauteries idéologiques extrémistes, ignorant délibérément les autorités locales, élues comme lui et tout aussi légitimes. Derrière ces affronts personnels à répétition, au delà d’un président, un pays, l’Argentine, sape le multilatéralisme, la coexistence entre nations, le dialogue entre dirigeants en dépit éventuellement d’options politiques différentes.

Le 28 juillet, les Vénézuéliens élisent leur Président. Voter en démocratie, c’est voter dans la transparence, l’équité, le respect du pluralisme. Rien de tout cela n’est pourtant garanti. Il y a bien neuf candidats qui vont disputer à Nicolás Maduro, président sortant, les votes le 28 juillet prochain. Mais depuis la dernière victoire de l’opposition en 2015, restée sans effets institutionnels, voter au Venezuela a perdu du sens. Candidats déqualifiés, soutien ouvert de l’État aux candidatures « officielles », expulsions, emprisonnements, condamnations d’opposants, les obstacles se sont multipliés à l’infini.

Le plus souvent la Cour des Comptes est instrumentalisée pour écarter les opposants les plus populaires. Leopoldo López, chef de parti anti-chaviste, a été depuis 2008, condamné à de multiples reprises et emprisonné, avant d’être contraint à l’exil. Henrique Capriles, candidat aux présidentielles de 2012 et 2013, a été condamné pour corruption à quinze ans d’inéligibilité en 2017. Les mises à l’écart d’opposants potentiellement compétitifs se sont multipliées à l’approche des présidentielles 2024. L’opposante de la Plateforme unitaire, María Corina Machado, a été déclarée inéligible en juin 2023. Corina Yoris-Villasana, César Pérez Vivas et Juan Pablo Guanipa l’ont été en mars 2024. Puis d’autres en avril. Déclarée organisation criminelle, la direction du parti Vente Venezuela a été mise en examen en avril également. Le candidat de la Plateforme unitaire, finalement autorisé, Eduardo González Urrutia a été menacé par les personnels d’une compagnie aérienne. Plusieurs hôtels où lui ou María Corina Machado, ont passé la nuit ont été fermés. Les routes qu’ils devaient emprunter pour accéder à des localités organisant une activité électorale ont parfois été coupées.

Le plus déconcertant est que l’opposition, n’est parfois pas très démocrate dans ses réponses. On se rappelle les conditions insolites de l’auto-proclamation comme chef d’État le 23 janvier 2019 au cours d’une manifestation du président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó. Plusieurs de ses amis, l’ancien maire de Caracas Antonio Ledezma, et María Corina Machado sont membres du Forum de Madrid, cercle international réactionnaire, anti-communiste, anti social-démocrate, créé par le parti espagnol d’extrême-droite, Vox. Les pressions financières des États-Unis, les remontrances courtoises du Brésil de Lula et de la Colombie de Gustavo Petro, ont cela dit permis à des opposants d’affronter, le 28 juillet, bien qu’à la déloyale, le candidat officiel du Gran Polo, Nicolás Maduro. C’est un minimum qui ne saurait masquer la grave détérioration de la vie démocratique au Venezuela.

Le Nicaragua, le Pérou, et la République Dominicaine, complètent, négativement, un tableau difficile pour le droit et les libertés. Le sort réservé aux migrants, problème nouveau interpelant plusieurs pays latino-américains, est réglé par certains dirigeants de façon cavalière.  Le Nicaragua en a fait une source de revenus.  Il a ouvert ses frontières à tout vent, accueillant par milliers les candidats à l’exil vers les États-Unis, souhaitant éviter le passage par l’isthme du Darién. Selon l’ONG, Diálogo Interamericano, plus de mille cent cinquante avions de compagnies nolisées, venus des quatre coins du monde se sont posés sur l’aéroport de Managua. : de Cuba, de Haïti, de l’Inde, de Libye, du Maroc, d’Ouzbékistan, du Surinam, du Tadjikistan. 200 000 personnes ont payé en liquide, selon la même source un droit de transit, victimes d’une traite insolite d’êtres humains. 

La République Dominicaine a elle confirmé, aux dernières présidentielles, le 19 mai dernier, son choix de vivre de dos avec son voisin haïtien. Le vainqueur Luis Abinader, qui va prendre ses fonctions le 16 août, l’a emporté en promettant, avec plus de conviction que ses concurrents, de verrouiller la frontière. Sortant, il pouvait preuves à l’appui montrer ses « réalisations », en la matière : la construction d’un mur, des expulsions massives, 174 000 personnes, rien que pour l’année 2023. Et pour les résidents légaux, selon Roudy Joseph, représentant de l’association « Haitianos y Haitianas en República Dominicana », une situation de quasi-apartheid. (…)

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