🇭🇹 Haïti 2023, de Charybde en Scylla (Jean-Jacques Kourliandsky / Espaces latinos)


Haïti va de mal en pis en ces premiers jours de 2023. Haïti a un passé glorieux et un présent douloureux. Premier pays indépendant des Amériques latines, première nation noire libre, Haïti avait été libérée le 18 novembre 1803 par une armée d’anciens esclaves ayant vaincu le corps expéditionnaire envoyé par Bonaparte.

Ariel Henry, Premier ministre. Photo : Le Sud

Les lendemains, les jours, les mois, les années, qui ont suivi cette entrée percutante en indépendance, n’ont pas confirmé  l’espoir de la victoire de Vertières. Haïti a été, dès les premiers jours de liberté, dès le 1er janvier 1804,  mise au banc des nations européennes et américaines. Elle a été contrainte par la France en 1825 à payer, en francs or, son droit à l’indépendance. Et  de 1915 à 1934 elle a été occupée par les États-Unis qui ont saisi les réserves de sa banque nationale. Haïti a été divisée dès 1804 par des querelles intestines dévastatrices qui n’ont pas cessé.

Le poids de la dette imposée par Paris et le pillage des réserves de la Banque nationale de Haïti par les États-Unis, ont compromis le développement de la jeune nation. Les catastrophes naturelles récurrentes, les cyclones, les tremblements de terre, du 12 janvier 2010 et du 14 août 2021, n’ont pas aidé. Haïti n’a jamais réussi à trouver un équilibre institutionnel comme économique. Forcés à l’exil, par l’absence de développement et les troubles internes, plusieurs millions de Haïtiens ont quitté leur pays, la majorité pour Saint-Domingue et un très grand nombre aux États-Unis et au Canada. 18 000 Haïtiens étaient bloqués à Tapachula, sur la frontière sud du Mexique, par la garde nationale « aztèque », le 28 janvier 2023, selon le Comité de défense des naturalisés et afro-mexicains.

Quand ces flux humains atteignent un seuil jugé inacceptable par les pays voisins et les États-Unis, une force de police internationale vient sur place verrouiller les portes de sortie. Au passage sont annoncées des aides mirobolantes. Gérées sans vraie cogestion locale, elles finissent au mieux dans l’escarcelle d’organisations « humanitaires », laïques ou religieuses, européennes et nord-américaines. Sans parler du choléra de retour en Haïti, depuis  l’intervention militaire onusienne de 2010.

Le Secrétaire général de l’ONU a sifflé le 23 janvier 2023 ce qui ressemble à du déjà vu : l’appel à une « intervention militaire et humanitaire de la Communauté internationale ». Parallèlement, la « Communauté internationale » -États-Unis, Espagne, France, Canada, Allemagne- repousse à 2024 l’organisation d’hypothétiques élections. Le 21 décembre 2022, elles ont ainsi donné une légitimité internationale au premier ministre de fait, Ariel Henry. Ces annonces et propositions sont restées sans effet sur une situation on ne peut plus chaotique.

Des bandes de délinquants, appelés localement « gangs », font la loi. Apparues dans le sillage du tremblement de terre de 2010 et l’élection présidentielle de 2011, ces bandes incontrôlées prolifèrent. Privatisé, sans ressources propres, l’État a de fait démissionné. L’économie est sous contrôle international, le social délégué aux ONG « occidentales » et la « sécurité » abandonnée à la délinquance organisée. Le réseau de défense des droits de l’homme a dénombré 90 « gangs » en 2021 et 150 en 2022, dont 92 dans la capitale. Ces « gangs » tuent, enlèvent contre rançon, coupent la route de Saint-Domingue, se disputent des territoires armes à la main, éliminent policiers et commissariats. Au point d’interpeller Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies. « Il faut », a-t-il déclaré le 23 janvier dernier, « prendre des mesures d’urgence pour réduire l’impact disproportionné des violences commises par les bandes ».

Le relevé des évènements courants ces derniers jours fait froid dans le dos. Selon la police Nationale de Haïti en 2022, 1359 personnes ont été enlevées. Les homicides ont fait un bond de 35,2 % en 2022 atteignant 2183. L’année 2023 a démarré sur les chapeaux de roue. Pierre Buteau, président de l’association des historiens haïtiens, a été enlevé à son domicile le 23 janvier. 21 policiers, mal armés, ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions entre le 1er et le 26 janvier. Un malade hospitalisé à l’hôpital Raoul Pierre Louis, a été assassiné le 26 janvier par trois hommes armés et cagoulés.  Le 26 janvier toujours, plusieurs détenus ont pris le contrôle de la prison de Gonaïves. Selon les sources, 14 à 20 prisonniers auraient été tués et 11 se seraient évadés. 16 femmes auraient été violées. Le 29 janvier le « gang » Kraze Baryè a réduit en cendres un commissariat de quartier à Port au Prince. Le premier ministre de fait, Ariel Henry a été victime de policiers protestant contre l’absence de moyens, à son retour d’un voyage à l’étranger. Le tout sur un regain de l’épidémie de choléra latente depuis dix ans. Le 20 janvier, 26 262 cas suspects et 1938 cas confirmés étaient officiellement signalés.

Ariel Henry est constitutionnellement président de fait depuis la fin théorique du mandat de son prédécesseur, Moïse Jovenel, le 7 février 2022. Assassiné par des mercenaires colombiens le 7 juillet 2021, Moïse Jovenel, n’a en effet pas achevé sa présidence. Nommé premier ministre par ce dernier le 5 juillet, Ariel Henry assure un intérim présidentiel hors des clous fixés par la Loi fondamentale depuis un an. Le 9 janvier 2023 a été par ailleurs la date butoir de fin de mandat des dix derniers sénateurs élus. Faute d’élections -mais qui s’en soucie dans ce désordre, et comment d’ailleurs en organiser- Haïti n’a plus de députés et de sénateurs et un chef d’exécutif constitutionnellement flottant. (…)

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Voir également : Haïti à la merci des gangs (Frédéric Thomas et Louis Fraysse / CETRI)