🇭🇹 Haïti: l’ONU autorise l’intervention d’une force internationale (revue de presse et premières analyses)


Le Conseil de sécurité des Nations unies a donné son feu vert lundi 2 octobre à l’envoi en Haïti d’une force multinationale menée par le Kenya pour aider la police dépassée par les gangs, mission réclamée depuis un an par Port-au-Prince. Mais il reste pas mal de questions et d’incertitudes autour de cette force. Le gouvernement haïtien y voit « une lueur d’espoir » pour son pays mais dans les rues de la capitale, les avis sont partagés.

Un manifestant brandit une machette, lors d’une manifestation contre les violences des gangs, le 25 août 2023 à Port-au-Prince. © Odelyn Joseph / AP

Voir ce communiqué collectif signé par FAL le 7 octobre : Solidarité avec le peuple haïtien : non à une intervention étrangère, oui à l’autodétermination haïtienne


Mise à jour (10 octobre) : Un tribunal suspend le déploiement des forces du Kenya à l’étranger (La Presse)


Haïti: feu vert du Conseil de sécurité de l’ONU à une force internationale (RFI)

Selon la résolution adoptée lundi par treize voix pour et deux abstentions (Chine et Russie) après de difficiles négociations, cette « mission multinationale de soutien à la sécurité », non onusienne, est créée pour « une période initiale de douze mois », avec une réévaluation au bout de neuf. Elle vise à « apporter un soutien opérationnel à la police haïtienne » dans sa lutte contre les gangs et pour la sécurisation des écoles, ports, hôpitaux et aéroport. Avec l’objectif d’améliorer suffisamment la sécurité pour organiser des élections, alors qu’aucun scrutin n’a eu lieu depuis 2016 et que 2 800 meurtres ont été commis entre octobre à juin dernier.

La mission sera bien coordonnée par le Kenya, qui a déjà promis 1 000 de ses policiers – même si son Parlement doit encore le valider. Les policiers étrangers formeront leurs homologues d’Haïti et aideront à sécuriser les points névralgiques de l’île pour que la vie quotidienne puisse reprendre son cours. Le Conseil leur donne l’autorisation d’employer des « mesures d’urgence », y compris de « procéder à des arrestations ».

Une décision dont s’est félicité Jean-Victor Génus, le ministre des Affaires étrangères haïtien. « C’est une lueur d’espoir pour le peuple qui subit depuis trop longtemps les conséquences d’une situation politique socio-économique, sécuritaire et humanitaire difficile. Les membres du Conseil de sécurité ont pris une décision aujourd’hui à la hauteur des défis. La résolution votée aujourd’hui a une grande portée historique ! »

Le chef de la diplomatie haïtienne espère que d’autres pays offriront leur contribution. En plus des policiers kényans, la Jamaïque, les Bahamas, les Barbades et Antigua ont déjà proposé de participer en hommes. Les États-Unis ont eux annoncé doter cette force de 100 millions de dollars. La Chine et la Russie se sont abstenues de voter pour la résolution : Pékin estime que cette force ne sera pas suffisante sans résolution politique de la crise. Quant à Moscou, elle pense que c’est une décision qui a été prise trop à la hâte et qui manque de perspicacité, rapporte notre correspondante à New York, Carrie Nooten.

Entre lueur d’espoir et constat d’échec

Ces deux membres permanents ont fait durer les négociations mais n’ont finalement pas empêché la création de cette force. Vue la situation alarmante en Haïti, ils ne voulaient pas s’attirer les foudres du reste de la communauté internationale. La Chine a surtout fait pression pour que le Conseil déclare un embargo total sur les armes légères. Une manière de pointer du doigt les États-Unis, puisque la majorité du trafic d’armes provient du sol américain.

La résolution ne précise pas la composition de la mission, notant que le calendrier du déploiement et le nombre de personnel seront élaborés par les futurs participants avec le gouvernement haïtien. Le chiffre de 2 000 membres des forces de l’ordre a toutefois été souvent évoqué ces derniers mois.

En Haïti, ce vote était très attendu par une partie de la population. « C’est une lueur d’espoir, estime ce jeune homme, habitant de Port-au-Prince au micro de notre correspondante, Marie André Bélange, mais le plus dur reste à faire, à savoir la coordination sur le terrain : il faut trouver une manière de faire travailler conjointement cette force avec les forces de sécurité en Haïti. »

Pour d’autres comme cet avocat, faire revenir une force internationale sur le sol haïtien, six ans après le départ de la dernière mission de l’ONU, la Minusta, est une honte. Cela prouve que les dirigeants n’ont pas su mener le pays sur la bonne voie. « Le retour d’une force est une déception pour la population, assure-t-il. Une population qui avait lutté récemment pour obtenir le départ des forces de la Minusta, qui avaient apporté avec elles le choléra et de nombreuses violations des droits humains. Nous subissons ce retour, mais nous ne l’acceptons pas. » (…)

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Réactions mitigées après le feu vert de l’ONU à une mission internationale en Haïti (RFI)

Après un an d’hésitations et de négociations, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté le 2 octobre 2023 une résolution approuvant le déploiement d’une mission internationale en Haïti. Elle doit durer un an. L’objectif est d’aider la police à lutter contre les gangs qui ne cessent d’étendre leur emprise à Port-au-Prince et sur des axes routiers majeurs. Le gouvernement haïtien y voit « une lueur d’espoir » pour son pays mais dans les rues de la capitale, les avis sont partagés.

En Haïti comme à Nairobi, on s’interroge sur la capacité du Kenya à mener cette mission. Le pays a proposé d’en prendre la tête et d’envoyer un millier d’hommes en appui à la PNH, mais le gouvernement kenyan souhaiterait un autre millier de policiers en renfort et, pour l’instant, les volontaires ne se précipitent pas. Plusieurs ONG demandent aussi un mandat très strict pour encadrer les policiers kenyans, accusés de répression brutale de manifestations dans leur pays, d’autant plus qu’en Haïti la précédente mission étrangère, la Minustah, a laissé des souvenirs douloureux.

Il y a urgence à agir, comme le montrent les nouvelles attaques de gangs, notamment dans la plaine de Cul-de-sac. Une habitante raconte avoir dû fuir avec sa famille, « avec un petit sac » pour ne pas attirer l’attention des bandits dans lequel elle a glissé « quelques affaires pour travailler, des produits de toilette et un bouquin pour pouvoir m’évader un peu quand c’est possible »  et sans savoir où aller. Actuellement, la famille est divisée et la jeune femme ne sait pas où elle pourra vivre à la fin de la semaine, date à laquelle la personne qui l’héberge ne pourra plus l’accueillir. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense de la mission internationale, elle explique qu’elle redoute des affrontements encore plus violents et répond « je suis contre parce que je sais qu’on va en payer les conséquences tôt ou tard d’une façon ou d’une autre, mais je suis pour parce qu’on n’a pas d’autre choix. On nous met dans une position où on doit se résigner et accepter ce qui arrive. » C’est également l’avis de Marie Rosy Auguste Ducena, responsable de programme au RNDDH (réseau national de défense des droits humains) (…)

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Haïti: une intervention de l’ONU qui « va renforcer les problèmes» ? (entretien avec Frédéric Thomas par  Benjamin König / L’Humanité / CETRI)

Sous l’influence de Washington, l’ONU a donné, ce lundi, son aval à une nouvelle intervention en Haïti, pour faire face aux problèmes d’insécurité, avec à sa tête des forces armées venues du Kenya.
Pour la population, qui considère ces missions comme des ingérences, le problème vient surtout des liens entre les gangs, la police et le pouvoir haïtiens, explique le chercheur Frédéric Thomas (CETRI).

Entretien publié dans L’Humanité le 4 octobre 2023.


En projet depuis près d’un an, l’envoi d’une force internationale en Haïti a été décidé ce lundi, par le Conseil de sécurité de l’ONU. Réclamée par un gouvernement considéré par la population comme illégitime, celle-ci ne fera qu’aggraver les problèmes auxquels est confronté le pays, selon Frédéric Thomas.

On savait que plusieurs pays, États-Unis en tête, poussaient à l’envoi de cette nouvelle force en Haïti. Comment analysez-vous cette décision ?

D’abord comme une fuite en avant de la communauté internationale, qui recourt à sa stratégie habituelle : une mise sous tutelle de Haïti. Elle n’a pas tiré de leçons du passé, notamment récent, avec les multiples interventions internationales onusiennes qui n’ont pas assuré une stabilisation et encore moins un développement du pays.

L’envoi de cette nouvelle force d’intervention est justifié par la demande du gouvernement haïtien et du premier ministre Ariel Henry : quelle est sa légitimité ?

C’est justement la double question dans cette intervention : celle de son efficacité et de sa légitimité. Paradoxalement, la résolution de l’ONU donne une légitimité à une demande qui ne l’était pas du tout puisqu’elle est issue d’un gouvernement non élu, illégitime, dont le bilan social, économique et sécuritaire est catastrophique, et qui est contesté par la population et une large frange des organisations sociales.

Cette demande, qui date d’il y a près d’un an, faisait suite à l’échec complet des négociations avec ces acteurs de la société civile. Pour ce gouvernement, c’était une manière d’assurer le statu quo et d‘asseoir son pouvoir. Comment une intervention, appelée par un gouvernement non élu et contesté, dont les liens avec les bandes armées sont critiqués et régulièrement dénoncés, peut-elle lutter efficacement contre ces mêmes bandes armées ?

Avez-vous des exemples de ces liens entre pouvoir et bandes armées, et comment sont-ils connus ?

Il y a un historique. Le premier massacre de grande ampleur est celui du quartier populaire de la Saline, à Port-au-Prince, en novembre 2018, dans le contexte d’un soulèvement populaire, carnage dans lequel est impliqué le gang de Jimmy Cherizier alias Barbecue, qui était alors policier. Des hauts fonctionnaires, y compris du gouvernement, sont mis en cause.

« « Le double nœud du problème de l’insécurité, c’est la connexion entre les bandes armées et l’élite au pouvoir. » »

La police n’est pas intervenue, le massacre a duré une quinzaine d’heures, 71 personnes ont été tuées, l’impunité est totale. Et ce mode opératoire est récurrent. Plusieurs témoignages font état de voitures de police qui amènent les bandes armées dans les quartiers populaires. Aucune enquête n’a jamais abouti. Cette impuissance tient moins au manque de moyens de la police qu’à une stratégie qui fait de la terreur un mode de gouvernance.

Comment la population haïtienne et les organisations de la société civile accueillent-elles cette nouvelle force internationale ?

De manière très critique : sur les réseaux sociaux circule un récapitulatif des différentes interventions onusiennes au cours de ces trente dernières années. Le double nœud du problème de l’insécurité, c’est la connexion entre les bandes armées et l’élite au pouvoir, d’une part, la mise sous tutelle internationale de l’État haïtien, d’autre part. Cette nouvelle intervention va renforcer ces problèmes.

Cette mise sous tutelle, sous pression notamment du voisin états-unien, n’est pas la première. Ce qui semble nouveau, c’est pourquoi le Kenya ? Vous utilisez le terme de sous-traitance : comment analysez-vous ce mécanisme ?

Les États-Unis ont appuyé cette intervention, tout en refusant d’en prendre le leadership. Ils se sont tournés vers le Canada et le Brésil, qui ont décliné. Ils ont donc dû aller chercher plus loin… (…)

(…) Lire la suite de l’entretien sur le site du CETRI ou sur le site de l’Humanité


Force internationale en Haïti: «une année ne sera pas suffisante pour pacifier et organiser des élections» (entretien avec Jean-Marie Théodat par François Ballarin / RFI)

Forces de l’ONU en Haiti (Photo : CETRI)

RFI : Comment expliquer que l’ONU ait mis autant de temps à prendre sa décision et à quoi va très concrètement servir cette force ?

Jean-Marie Théodat : On a eu tellement peur que personne ne veuille finalement prendre en charge cette mission que c’est une bonne nouvelle que ce soit le Kenya, parce qu’en fait ni les États-Unis, ni la France, ni le Canada, qui auraient pu, et qui auraient dû prendre le leadership de cette mission, n’en avaient eu l’envie. Et ce que nous espérons aujourd’hui, c’est que ce soit une véritable mission pour désarmer les gangsters qui sèment la terreur dans le pays depuis plusieurs années.

Contrairement à la Minustah dont la mission a pris fin en 2017, cette mission de sécurité ne sera pas une opération des Nations unies. Faut-il y voir une défiance des Haïtiens vis-à-vis de l’ONU ?

On peut plutôt parler de désaffection parce que dans les premiers temps, en 2004, lorsque la Minustah est arrivée, c’était plutôt un sentiment de soulagement, à éviter un bain de sang, et pendant treize ans, on a cohabité avec les Casques bleus de l’ONU sans qu’il y ait de véritable problème. Jusqu’à ce qu’il y ait cette épidémie de choléra effectivement. Cependant, je pense qu’aujourd’hui la situation a quand même changé dans la mesure où le bain de sang est réel, il est quotidien. Il y a eu plus de 2 800 morts depuis le début de l’année, c’est-à-dire une comptabilité qui nous rapproche de l’Ukraine qui est un pays en guerre. (…)

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Haïti : les causes de la crise sécuritaire (RFI)

Le Conseil de sécurité des Nations unies a donné son feu vert lundi 2 octobre à l’envoi en Haïti d’une mission internationale menée par le Kenya pour aider la police, dépassée par les gangs, mission réclamée depuis un an par Port-au-Prince.Quelles sont les causes de la crise sécuritaire qui a mené à cette décision ? 


Sécurité en Haïti : mission impossible ? (reportage et débat / France 24)

Le Conseil de sécurité de l’ONU a donné son feu vert la nuit dernière à l’envoi d’une force internationale, menée par le Kenya. Elle doit aider la police en proie aux gangs qui contrôlent une grande partie de Port au Prince. Une mission demandée par le Premier Ministre haïtien depuis un an. La résolution a été adoptée par 13 voix pour et 2 abstentions, celles de la Chine et la Russie. Le ministre des affaires étrangères haïtien Jean Victor Généus évoque une résolution « à portée historique ».


Pour rappel voir :
Haïti: vers l’intervention d’une force internationale ? (RFI / TV5 Monde / Radio France)
Haïti et la communauté internationale : entre falsification et ingérence (Frédéric Thomas / CETRI)