Justice énergétique et rencontres latino-américaines : retour sur trois jours d’échanges à Bilbao
Bilbao, Espagne. Du 9 au 11 octobre, se sont tenues la 2ème rencontre internationale sur la Transition Énergétique et la Démocratie et la 1ère Rencontre Européenne des Victimes du Modèle Énergétique, organisées par le MAB, le MAR, le TNI, Écologistes en Action du pays Basque, entre autres. Retour sur ces rencontres et leur importance !
De la nécessité d’une autre politique énergétique : le combat du MAB au Brésil
Le Movimiento dos Atingidos por Barragens (MAB, mouvements des affecté.e.s par les barrages) est une organisation brésilienne créée à la fin des années 1970, avec pour objectif l’organisation des personnes affectées par les barrages dans leur lutte pour leur droits et contre l’impunité. Le mouvement défend une charte des droits des affecté.e.s par les barrages mais aussi la création d’un fonds national d’aide. Le réseau s’est depuis étendu à toute l’Amérique latine avec le MAR (Mouvement des Affecté.e.s des Représailles). S’ils gagnent en force, ses membres sont aussi fortement criminalisés, comme en témoigne l’assassinat en mars 2019 de Dilma Ferreira Silva, une des coordinatrices du MAR.
Des rencontres internationales ?
Cette rencontre fait suite à celle à laquelle nous avons participé à Rio en 2017. Elle s’inscrit dans la collaboration que nous avons nouée avec le MAB, à la suite du drame vécu par les victimes du barrage qui a cédé près de Mariana. On évoque ici la rupture du barrage Bento Rodrigues, qui s’est produite en novembre 2015 dans l’État de Minas Gerais,au Brésil. Plusieurs millions de tonnes de boue, issues de l’exploitation d’une mine de fer, avaient alors été déversés. La catastrophe écologique, surnommée le « Fukushima brésilien », a été l’une des pires de l’histoire du pays. La mine de fer est exploitée par Samarco, une filiale des multinationales BHP Billiton et de Vale. Notre solidarité s’est exprimée sur place par une délégation qui a tissé des liens forts avec les militants du MAB et de la région que nous avons retrouvés à Rio.
Rencontres du MAB, de FAL et de la CGT : comment lier nos combats et ancrer nos luttes ?
Le MAB se bat pour une autre politique énergétique, associant la question de l’énergie à celle de l’eau, au partage des richesses, à la question des biens communs. C’est ce qui a motivé la CGT Énergie à nous accompagner aux rencontres de Rio, ainsi qu’à participer à la rencontre à Paris lors de la tournée du MAB que nous avons organisée en 2018.
À l’occasion de ces nouvelles rencontres de Bilbao, nous avons passé une nouvelle étape, celle de lier le combat du MAB à la nécessaire transition énergétique, partie prenante de la transition écologique, pour lutter contre le dérèglement climatique. Le projet du MAB, qui défend une autre politique énérgétique dans le Brésil de Bolsonaro mais le faisait également bien avant, pendant les mandats de Lula ou de Dilma Rousseff, s’inscrit dans la continuité d’un combat plus large pour plus de justice sociale et de justice écologique dans un contexte de répression très forte. Le MAB (comme le MAR) à Rio, et aujourd’hui à Bilbao, cherche à mondialiser ce combat pour la transition énergétique plus proche de l’action menée par les syndicats ouvriers tout en prenant en compte le combat climatique.
Pour le renforcement d’un vrai réseau de solidarité internationale
Beaucoup de témoignages, d’analyses et de questionnements ont été échangés durant ces quelques jours de rencontres transnationales.
- Comment penser et organiser la création d’un nouveau modèle énergétique juste et résilient, dans un monde gouverné par le système capitaliste néolibéral, soutenu par des politiques de croissance extractivistes, néo-colonialistes, patriarcales?
- Comment un tel changement est-il possible si on dépouille les peuples de leurs ressources, si on force les déplacements des communautés hors de leurs territoires, si nous ne sortons pas du mythe que nous devons et pouvons maintenir une consommation énergivore ?
- Comment penser la « transition énergétique » dans nos pays occidentaux sans prendre en compte les zones de sacrifice qui nous approvisionnent ?
- Comment redonner un sens politique, anticapitaliste, décolonial au terme de « transition » ?
- Une « transition » pour qui, par qui ?
Sans refonte des racines mêmes de ce système capitaliste destructeur, sans refonte totale de notre modèle énergétique, tout cela restera du « green washing », de la communication au service du capitalisme vert. 80% de l’énergie mondiale est consommée par 20% de la population mondiale. Une vraie justice énergétique doit passer par une sobriété énergétique, une décentralisation, une démocratisation et une diversification de l’énergie. Tout projet énergétique, aussi vert soit-il, devrait se faire en concertation avec les populations locales, que ce soit de l’autre côté du continent ou en France. Alors que l’extractivisme est présenté comme étant une nécessité pour le progrès et la redistribution des richesses, quantité de voix continuent à se lever pour dénoncer les zones de sacrifice. Partout, des personnes s’organisent pour des sociétés alternatives, pour la mise en place et la généralisation de projets énergétiques populaires, pour les droits des personnes affectées et la souveraineté des peuples.
La conférence « Transition énergétique et Démocratie : deux voies inséparables » était un appel pressant à établir les bases de justice sociale qui doivent diriger la transition énergétique. Bilbao a constitué un espace permettant une analyse partagée sur le modèle énergétique et la réalité politique et sociale internationale, pour une connaissance et un partage des expériences des associations et organisations diverses, qui sont en conflit direct avec des entreprises transnationales. L’objectif était également d’établir ou de renforcer un véritable réseau de solidarité internationale sur ces questions.
La parole à …
Claudia Ortiz, du MAR (Movimiento latinoamericano de Afectados por Represas), Colombie
Elizabeth Peredo de Trenzando Ilusiones, Bolivie
Laurent Heredia de la CGT Énergie, France
Pablo Fajardo avocat équatorien. Il est connu en particulier pour son engagement dans la bataille légale contre la multinationale Chevron, suite au véritable écocide du Lago Agrio (1964-1990). Pour rappel, en dépit des décisions judiciaires condamnant Chevron, l’entreprise n’a toujours pas accepté les conséquences économiques de sa condamnation !
Tchenna Maso du Movimento dos Atingidos por Barragens au Brésil
Geneviève Azam, d’ATTAC France