Karla Quintana : «C’est la jeunesse mexicaine qu’on fait disparaître» (Emmanuelle Steels/ Libération)

Dans le quartier de la Colonia Alamos, à Mexico, en 2016. 
Photo Sébastien Van Malleghem

Depuis 2006, le Mexique a enregistré plus de 60 000 disparitions forcées, un chiffre qui ne cesse de croître. A la tête d’une commission dédiée, Karla Quintana déplore le manque de moyens pour y remédier et le climat d’impunité.

Diriger la recherche des disparus est l’une des missions les plus ingrates du gouvernement mexicain : impossible, en effet, d’apporter une solution à un drame en perpétuelle aggravation. Nommée par le président Andrés Manuel López Obrador il y a un an, Karla Quintana, avocate spécialiste des droits de l’homme, tente de relever le défi. Elle décrit les petits pas franchis pour «commencer à apporter un début de réponse» à un problème qui s’éternise. Depuis 2007, avec la guerre déclarée par l’ex-président Felipe Calderón au narcotrafic, suivie d’une explosion de rivalités sanglantes entre cartels, le nombre de disparitions augmente à un rythme exponentiel dans le pays. Aujourd’hui, l’ampleur de la tragédie est incommensurable : la commission dirigée par Quintana dénombre plus de 60 000 disparitions entre 2007 et 2019, dont plus de 5 000 survenues sous le nouveau gouvernement, selon des chiffres provisoires. Contrairement à d’autres pays d’Amérique latine, qui cherchent leurs disparus du passé, le Mexique affronte une crise continue. Recenser les disparus, selon Karla Quintana, c’est reconnaître l’ampleur de cette crise.

Début janvier vous avez révélé le chiffre de 60 053 disparitions au Mexique depuis fin 2006. Or, il y a un an, le registre officiel faisait état de 40 180 disparus. Comment expliquer un tel écart ?

(Photo DR)

Il n’y avait pas de méthode homogène et systématique de recensement pour toutes les régions du pays. Le chiffre de 40 000 n’était déjà plus actuel lorsqu’il a été divulgué. Chaque État doit réviser ses données. Nous avons mis en place un système de dénonciation des disparitions en temps réel. N’importe qui peut dénoncer une disparition en ligne. Nous croisons ces données avec les enquêtes judiciaires existantes pour obtenir un tableau complet des disparitions d’origine criminelle, donc toutes les disparitions forcées et les enlèvements.

Le chiffre pourrait-il encore augmenter ?

Oui mais nous ne savons pas encore à quel point car les données sont en cours de révision dans près de 20 Etats (sur les 31 que compte le Mexique), notamment dans certaines régions où la problématique des disparitions est vive.

Qui sont ces disparus ? Aux mains de qui disparaissent-ils ?

Environ 75 % sont des hommes, et la plupart sont jeunes. Parmi les femmes, il y a davantage de disparues dans la tranche d’âge des 15-19 ans. Les mineurs représentent près de 20 % des victimes. C’est la jeunesse qu’on fait disparaître. L’hypothèse privilégiée est la traite d’être humains, qu’il s’agisse de trafic sexuel ou d’esclavage. Plusieurs cas valident cette hypothèse. C’est très inquiétant.

Ces disparitions forcées sont en général le fait des autorités ou du crime organisé ; parfois les deux sont complices. Le contexte de violence des dernières années, et en particulier l’augmentation des homicides, concorde avec la courbe des disparitions : 97 % des disparitions survenues au Mexique depuis soixante ans se concentrent sur les treize dernières années. (…)

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