Le Chili amorce la sortie du néolibéralisme (Marion Esnaud et Amélie Quentel / Reporterre)


Le candidat de gauche, Gabriel Boric, devient le plus jeune président de l’histoire du Chili : il triomphe sur le candidat d’ultradroite Juan Antonio Kast avec 55,87 % des voix. Cette victoire est l’issue d’un mouvement populaire puissant.

Les partisans de Gabriel Boric ont fêté sa victoire dans les rues du Chili. –
© Marion Esnault / Reporterre

Dimanche 19 décembre, dès 19 h 15, les cris de joie ont retenti dans toutes les villes du pays andin à l’annonce de la victoire de l’ex-leader étudiant, Gabriel Boric. Il devient le plus jeune président du Chili, à 35 ans, en obtenant 55,87 % des voix contre 44,13 % pour l’ultraconservateur Juan Antonio Kast. Alors qu’au premier tour, son compétiteur le devançait de deux points avec 27,95 % des voix, le député a su rassembler les forces de gauche et de l’ex-Concertation (centre-gauche), tout en convainquant les abstentionnistes de se déplacer. 55,63 % des Chiliens se sont rendus aux urnes, un record dans un pays où l’abstentionnisme est d’habitude extrêmement élevé. Gabriel Boric prendra ses fonctions en mars prochain, avec un Parlement divisé mais la promesse de résoudre la profonde crise institutionnelle qui secoue le Chili depuis la révolte sociale, en octobre 2019.

Dans une ambiance festive aux quatre coins du pays et devant une foule innombrable à Santiago, Gabriel Boric a appelé à un « Chili plus juste ». Il a promis d’« étendre les droits sociaux » avec « responsabilité économique ». Il a reconnu que « les temps qui viennent ne vont pas être faciles » et qu’il faut « avancer vers des changements structurels qui ne laissent personne de côté ».

« Si le Chili est le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau »

Gabriel Boric est issu d’une famille de classe moyenne. Né en 1986 à Punta Arenas, au sud de la Patagonie, il est une figure des mouvements étudiants des années 2010 qui exigeaient une éducation gratuite. Avec ses manches retroussées et ses tatouages assumés, il avait lancé lors de sa victoire aux primaires de gauche face au communiste Daniel Jadue, que « si le Chili est le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau ». Il promet d’en finir avec le système néolibéral implanté sous Pinochet et de « remettre l’État au cœur des politiques publiques pour garantir des conditions de vie dignes ». Il veut une éducation gratuite, un système public de santé, ou encore des pensions de retraite dignes. Il promet également « justice et réparation » pour les violations des droits humains pendant la dictature et pendant la révolte sociale qui a fait 34 morts et plus de 400 blessés à l’œil. Même si l’enjeu écologique a été relativement absent des débats présidentiels, Gabriel Boric veut « garantir le droit humain à l’eau » dans un des seuls pays au monde qui a privatisé ses eaux ou encore « nationaliser le lithium » qui est aux mains de deux entreprises privées.

Il remporte l’élection présidentielle à l’issue d’un entre-deux-tours polarisé. Son compétiteur, Juan Antonio Kast, nostalgique de l’ère Pinochet, a reconnu sa défaite par tweet en « félicitant [la] grande victoire » de Gabriel Boric. Malgré le soutien du gouvernement du milliardaire Sebastian Piñera, l’avocat de 55 ans qui voulait supprimer le ministère de la Femme n’a pas su convaincre. Le dernier débat télévisé, lundi 13 décembre, a probablement été décisif : le candidat d’extrême-droite a perdu des points lorsque Gabriel Boric, qu’il accusait d’être consommateur de drogues, a présenté en direct des résultats négatifs certifiés.

e jeune trentenaire succède au milliardaire Sebastian Piñera dont la popularité est au plus bas à la fin de ce deuxième mandat (2010-2014 / 2018-2022). Le nouveau président incarne une nouvelle ère politique chilienne et une nouvelle génération qui crée la rupture avec les politiques menées depuis le retour à la démocratie en 1990. Il a affirmé que «  les femmes seront protagonistes du nouveau gouvernement » et il a assuré qu’il protégerait « le processus constituant pour offrir au Chili une nouvelle Constitution qui rassemble, et ne divise pas comme l’était celle imposée, à feu et à sang, par un référendum frauduleux en 1980 » pendant la dictature de Pinochet.

L’aboutissement d’une révolte populaire massive

La victoire de Gabriel Boric est l’aboutissement d’un mouvement populaire impressionnant lancé il y a un peu plus de deux ans. Le Chili a vu naître une révolte populaire massive, plus d’un million de personnes manifestant par exemple le 25 octobre 2019 à Santiago. En cause, les fortes inégalités sociales à l’œuvre dans cet État d’Amérique Latine où, comme le note un rapport de 2017 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), 1 % de la population concentre 33 % des revenus générés par l’économie chilienne. « Le début de la contestation sociale est venu du renchérissement du prix du transport à Santiago. Ensuite, le mouvement s’est élargi d’abord et prioritairement sur des demandes sociales ayant trait aux salaires, à la précarité, à l’endettement, à l’éducation ou encore aux retraites », explique à Reporterre Franck Gaudichaud, professeur à l’université Toulouse Jean Jaurès et codirecteur du livre Gouvernements progressistes en Amérique latine (1998-2018) (PUR, 2021). (…)

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