Maxime Combes : « La COP n’est que le reflet de la situation géopolitique et géo-économique actuelle » / COP 28 : les pays s’accordent sur une « transition » hors des énergies fossiles (Théo Bourrieau / L’Humanité)


La COP 28, qui s’est ouverte le 30 novembre à Dubaï, prendra fin le 12 décembre. Les énergies fossiles ont été au cœur des discussions. Maxime Combes, économiste et spécialiste des négociations climatiques, estime que la COP 28, comme les précédentes, « n’est que le reflet de la situation géopolitique et économique actuelle ».

Les énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz) représentent plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Photo : Istock

Oui, c’est une bonne chose. Désormais, la question des énergies fossiles est mise dans le débat public. Ce sera même un des éléments majeurs pour évaluer le résultat de cette COP 28. Depuis 30 ans, les COP mettait le sujet de côté alors que les énergies fossiles représentent plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

C’était un peu l’éléphant au milieu de la pièce : tout le monde le voyait, mais personne n’en parlait. C’est donc une très bonne nouvelle que ce sujet soit pleinement au cœur du débat sur le réchauffement climatique à l’échelle internationale.

On ne manque pas aujourd’hui de rapports du GIEC, de scientifiques, mais aussi de l’Agence internationale de l’énergie, qui expliquent que pour respecter les objectifs que la communauté internationale s’est donnés à travers l’accord de Paris c’est à dire limiter le réchauffement en dessous de 1,5° ou 2 °C maximum, il était nécessaire de laisser dans le sol entre 80 et 85 % des réserves d’énergies fossiles (gaz, pétroles, charbon). Ces réserves les grands pays producteurs et les multinationales de l’énergie veulent les exploiter dans les années à venir. Finalement, nous sommes en train de réduire l’écart qui pouvait exister entre le débat sur le réchauffement climatique et la réalité physique qu’il sous-tend.

Mais il faut aussi souligner que l’émergence du sujet est lié à cette COP, devenue celle des énergies fossiles : organisée aux Émirats arabes unis, présidée par le ministre de l’Énergie de ce pays qui n’est autre qu’un PDG d’une multinationale pétrolière qui a eu des déclarations qui s’apparentent à du déni climatique.

Il s’agit de la COP où les lobbies sont les plus présents. Ceux des industries fossiles ont toujours tout fait pour éviter les dispositions pouvant empêcher leurs business et leurs activités lucratives. Elles ont d’abord nié l’existence du réchauffement climatique alors même qu’elles savaient que leurs activités y contribuaient, pour ensuite contester son origine anthropique et l’urgence à agir. Aujourd’hui, elles prétendent ne pas être responsables, ou faire partie de la solution.

D’autres raisons fondamentales permettent d’expliquer cette absence. Il y a d’abord une inertie dans les négociations, venant du mandat des négociations fixées en 1992 au sommet de Rio. Les États ont alors décidé de traiter la question du réchauffement climatique uniquement du point de vue de ce qui était relâché dans l’atmosphère.

Pour le comprendre, il faut revenir au protocole de Montréal (NDLR ratifiée en 1987), les négociations internationales avaient conduit à la réduction d’émission de CFC, les chlorofluoro­carbures, des gaz mettant à mal la couche d’ozone. Il y avait alors une solution technique : remplacer ces gaz par d’autres.

La communauté internationale a alors imaginé que la question du réchauffement climatique pourrait être traitée de la même façon, en se focalisant sur les émissions de gaz à effet de serre, sans s’intéresser à la cause fondamentale du problème : l’économie mondiale accro aux gaz, pétrole et charbon. Elle a finalement mis trente ans à lever ses œillères et rompre cette inertie.

Les négociations sur le réchauffement climatique sont basés sur un principe : la neutralité. Ce n’est pas le rôle des négociations internationales de définir le mix énergétique des États-Unis, de la France…ou de l’Arabie saoudite. C’est laissé à la libre appréciation de chaque pays.

Ce principe de neutralité produit une difficulté à discuter des énergies fossiles. On observe alors une forme de déni des États, y compris ceux du nord, soi-disant les plus avancées en matière de changement climatique. Ils refusent de mettre la question des énergies fossiles sur la table, considérant que finalement, on pourrait la résoudre par des dispositifs technologiques, par des améliorations techniques, ou je ne sais quoi…

Enfin, c’est également lié à la façon dont les relations internationales se sont constituées depuis la décolonisation. On touche, ici, à la question des ressources naturelles des États, et donc à leur souveraineté nationale.

Structurellement, le droit international n’est pas construit pour permettre ce genre de négociations. Cela génère une tension inévitable entre des politiques énergétiques nationales et un mix énergétique mondial, qui, lui, organise le réchauffement climatique. L’accord de Paris ne s’intéresse par exemple pas aux questions de hiérarchie.

Les COP ne sont pas armées pour organiser la sortie des énergies fossiles à l’échelle mondiale. À ce stade, trois options sont discutées à cette 28e Conférence des Parties. D’abord, une option volontariste, qui énonce une élimination progressive et planifiée des énergies fossiles. Il est très improbable qu’elle soit conservée.

Une deuxième proposition vise à traiter une grande partie du problème par la capture et le stockage du carbone. Elle prévoit que seuls les gisements non soumis à ces dispositifs devront faire l’objet d’efforts pour être éliminés. Ce serait problématique parce que cela ferait dépendre notre avenir climatique d’une technologie qui, aujourd’hui, n’est pas maîtrisée, est mal répandue, et est extrêmement coûteuse. Le coût de la transition énergétique serait alors augmenté de façon extrêmement conséquente. C’est ce que veulent un certain nombre de pays, notamment les pays producteurs. (…)

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COP 28 : les pays s’accordent sur une « transition » hors des énergies fossiles (Théo Bourrieau / L’Humanité)

La nouvelle version d’un texte dévoilé par la présidence émiratie de la COP 28 visant à atteindre la neutralité carbone a été signée par les deux cents pays ce mercredi 13 décembre. Si ce projet de compromis mentionne les énergies fossiles, il vise à une « transition » plutôt qu’à une sortie.

Sultan al-Jaber, président de la COP 28, lors d’une conférence de presse à la COP 28, le 11 décembre 2023. Hannes P. Albert / DPA/ ABACAPRESS.COM

Le document a été attendu toute la nuit par les négociateurs présents à la COP 28, et a finalement été signé peu après 8 heures. Si elle mentionne propose pour la première fois dans l’histoire toutes les énergies fossiles, la décision adoptée par tous les pays n’appelle finalement qu’à « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ». Jamais le mot « sortie » n’est employé, même concernant un éventuel objectif à atteindre.

Chaque mot a été âprement négocié par les Émirats, et c’est bien pour cela que l’utilisation de « transitionner » ne satisfait pas écologistes et ONG. En choisissant le terme de « transitioning away », traductible par « transitionner hors de », « s’éloigner » ou « abandonner », le texte ne parle plus de « phase-out » («sortie ») du pétrole, du gaz et du charbon.

Maxime Combes, économiste et spécialiste des négociations climatiques, regrette un terme « plus faible et vague » et que la question des énergies fossiles soit présentée comme « une action parmi d’autres ». « Le texte donne beaucoup de place aux solutions technologiques », qui se traduisent par la capture et le stockage du carbone, constate l’économiste. La proposition adoptée par la COP prévoit, en effet, que seuls les gisements non soumis à ces dispositifs devront faire l’objet d’efforts pour être éliminés. (…)

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Voir également : « Historique » ! Les décisions de la COP28 sur le climat le sont-elles vraiment ? (Maxime Combes / Club de Médiapart)