“Merino no es mi presidente” : le Pérou face au coup d’État parlementaire (Sonia Le Vallois – MPP / Ritimo)

En octobre 2019, il y a à peine un an, Martín Vizcarra, Président par intérim du Pérou depuis la démission du président élu Pedro Pablo Kuscinski en mars 2018, annonce la dissolution du Congrès et met fin à un « show politique » qui aura duré des mois. Avec cette dissolution, le président péruvien veut empêcher le Congrès de voter pour de nouveaux membres du Tribunal constitutionnel dans des délais très courts et sans procédure claire, dans le but de bloquer des réformes politiques, notamment anti-corruption.

Crédit photo : Samantha Hare (CC BY 2.0)

En effet, la corruption est un problème récurrent du système politique du Pérou et Martín Vizcarra a déclaré, dès sa prise de poste, qu’il mènerait une politique anti-corruption de front, notamment contre le fujimorisme. Le parti politique de la famille Fujimori n’est certes jamais loin et bien que Keiko Fujimori ait perdu les élections présidentielles de 2016, elle gagne alors une majorité absolue au Congrès, et reste omniprésente dans la vie politique du pays. C’est justement cela que Martín Vizcarra a décidé de combattre. Ainsi, pour la première fois depuis 1993, il organise une réforme de la constitution péruvienne, votée par référendum en décembre 2018, dans le but d’intensifier la lutte contre la corruption. Pour Martín Vizcarra, ce référendum “marque le début d’un changement que nous souhaitons pour le Pérou et pour tous les Péruviens”. Ces propos sont bien entendu à nuancer : en parallèle de cette lutte pour laquelle il donne la parole au peuple, son plan de relance économique, lui, est moins à l’écoute des travailleur·ses que des grandes entreprises. Des millions sont alors versés à des groupes qui ont des dettes d’impôts envers l’État, ce qui ne manque pas de faire scandale dans le pays.

Malgré tout, les Péruvien·nes croient en l’honnêteté de son engagement contre la corruption et en octobre 2020, 78% de la population dit avoir confiance en lui.

Mais l’année 2020 ne s’annonce pas de tout repos pour l’ensemble du pays. Tout d’abord, suite à la dissolution du Congrès, 130 nouveaux parlementaires sont élus le 26 Janvier 2020. Le parti « Fuerza Popular » représenté par Keiko Fujimori passe alors de la 1ère à la 4ème place, avec 7,31% des voix. C’est un effondrement du parti fuijimoriste et la marque d’une association de ce courant politique avec la corruption systémique, au centre des discours depuis plusieurs années.

Toujours en 2020, le Pérou est très affecté par la crise sanitaire du coronavirus alors qu’il bataille déjà contre une épidémie de dengue, or c’est un des pays où les « investissements dans le secteur de la santé sont les plus faibles, avec moins de 5 % du PIB investi par an » et où les inégalités grandissantes ont été exacerbées par la maladie. En effet, pour plus de 33 millions d’habitant·es, le Covid-19 a fait plus de 710 000 cas déclarés et 30 000 morts, faisant du pays l’un des cinq les plus touchés au niveau mondial. La corruption installée depuis de nombreux mandats présidentiels rend très difficiles le développement et la mise en place de politiques sanitaires cohérentes et creuse les inégalités.

Alors que le monde entier s’interroge sur une deuxième vague du coronavirus, le Congrès péruvien lance, le 11 Septembre 2020, une procédure de destitution contre le président Martín Vizcarra pour « incapacité morale permanente ». À cinq mois des prochaines élections présidentielles, prévues le 11 avril 2021, le Parlement dénonce Martín Vizcarra pour corruption dans une sombre affaire de versements à un chanteur bien peu connu. En effet, le 10 septembre est diffusé un enregistrement audio daté de 2014, alors que Martín Vizcarra est gouverneur de la Région de Moquegua, au sud du Pérou, où il est question des pots-de-vins qu’il aurait touchés, remettant en question l’intégrité du Président.

Face à ces accusations, Martín Vizcarra invite le Parlement à « analyser la situation avec prudence et responsabilité, et [à] prendre la décision qu’ils jugent appropriée ». Il ne nie pas l’existence des enregistrements mais parle de montage et de manipulation. Une enquête est en cours, mais le Parlement n’attend pas les résultats préliminaires et décide de voter la destitution du Président. Une première tentative de destitution échoue le 18 septembre par manque de voix, alors qu’un général de l’armée annonce publiquement que Merino l’aurait contacté pour s’assurer de son soutien en cas de prise de pouvoir autorisée par le Parlement.

Le Parlement dépose une nouvelle motion le 20 octobre et c’est ainsi que le lundi 9 novembre, avec 105 voix pour, 19 contre et 5 abstentions, Martín Vizcarra est démis de ses fonctions de Président du Pérou. Plutôt que d’annoncer l’organisation de nouvelles élections présidentielles, le 16 mars 2020, avec 93 voix sur 130 (et face aux 14 voix pour Rocío Silva Santistebán), le Parlement désigne Manuel Merino, alors président du Congrès, comme président intérimaire de la République, jusqu’aux prochaines élections prévues le 11 avril 2021 avec une prise de fonction le 28 juillet.

L’exécutif dépose un recours devant le tribunal constitutionnel, qualifiant cette procédure de « complot contre la démocratie », alors que Martín Vizcarra, qui a déclaré qu’il ne s’opposerait pas à la décision, s’interroge dans son discours du 9 novembre sur le sérieux de cette situation. Il conteste avec « véhémence et catégoriquement les accusations à son encontre » et se demande comment “une mesure aussi extrême” peut être tentée tous les mois et demi et mise en œuvre, sans preuve.

Mais comment cela est-il possible ? Comment peut-on voter la destitution d’un Président alors que l’enquête est toujours en cours et qu’il n’y a donc aucune preuve certifiée ? La réponse est à chercher dans l’article 113 de la Constitution péruvienne de 1993, imposée par la force par l’ex-dictateur Alberto Fujimori. Cette disposition permet de remettre en cause les capacités morales et/ou physiques d’un Président à exercer, mais aucun cadre juridique clair n’est fixé. N’importe quel argument peut alors entrer en considération. Le Parlement a donc profité de ce flou juridique pour mettre en œuvre ce qu’une large majorité du pays considère comme un coup d’État. (…)

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