Mexique: Lopez Obrador face au défi de la violence (Luis Reygada / Le vent se lève)

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Le premier président progressiste de l’histoire moderne du Mexique a hérité d’une situation désastreuse du point de vue sécuritaire. Après 12 ans d’une stratégie de « guerre contre les cartels » qui a enlisé le pays dans un drame humanitaire sans précédent, il peine à freiner la courbe de la violence.

L’Amérique latine est la région la plus violente du monde. Alors qu’elle ne réunit que 8 % de la population mondiale, elle concentre à elle seule plus de 30 % des homicides commis à travers la planète. Une « épidémie », selon les termes de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, qui peut s’expliquer par divers facteurs : crime organisé, armes à feu, taux d’impunité, niveaux des inégalités… À ces funestes ingrédients le Mexique en a rajouté un autre qui n’a fait qu’empirer les choses.

Élu en 2006 dans des circonstances plus que douteuses, le président Felipe Calderón (Parti action nationale, droite) s’est empressé d’éclipser son manque de légitimité en endossant l’uniforme de commandant en chef des Forces armées. Afin d’asseoir son autorité, il décide – à peine quelques jours après son investiture – de lancer une offensive contre les puissants cartels de la drogue. La « guerre contre le narcotrafic » est ainsi officiellement déclarée.

Le président Calderón a lancé la guerre contre les cartels en 2006
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2006 – 2018 : LA « GUERRE CONTRE LES CARTELS »

Cette décision, qui bouleversera profondément la société mexicaine, se révèlera être totalement contreproductive. Soutenue par les États-Unis avec lesquels Calderón s’empresse de signer un accord de coopération (l’Initiative de Mérida), elle consiste principalement à impliquer l’armée dans les missions de sécurité publique. Les militaires sortent des casernes et l’accord tacite reposant sur la corruption qui liait barons de la drogue et autorités est rompu. Les affrontements se multiplient et les cartels, qui avaient l’habitude de ne se faire la guerre qu’entre eux visent dorénavant aussi l’État.

Mais c’est bien la population civile qui paye le prix fort : elle se retrouve peu à peu prise en étau et plusieurs régions sombrent dans le chaos de la violence. Les indices explosent. Les homicides augmentent de 150 % durant le sexennat de Calderón (2006-2012). Son successeur, Enrique Peña Nieto (Parti révolutionnaire institutionnel, centre droit), poursuivra la même politique mortifère jusqu’à la fin de son mandat.

La militarisation du pays est alors dénoncée de toute part, notamment par la Commission Interaméricaine des droits de l’homme et l’ONU. Le constat est catastrophique : avec pas moins de 250 000 morts, le Mexique se place dans le trio de tête des pays les plus dangereux du monde, devancé seulement par la Syrie. Le taux d’homicides y a en effet été multiplié par 3, passant de 9,85 pour 100 000 habitants en 2006 à 29,27 en 2018. À cela il faut ajouter les centaines de milliers de déplacés, l’existence de plus de 1 500 fosses clandestines, 95 journalistes assassinés… Dans un contexte de recrudescence des cas de torture et d’exécutions extrajudiciaires, la violation des droits de l’homme devient une pratique généralisée impliquant autant les autorités civiles que militaires.

La crise est inédite. Alors qu’à l’époque la plupart des médias dirigent l’attention de la communauté internationale vers d’autres pays comme le Venezuela, le Mexique traverse la pire situation du continent en matière de droits de l’homme. Des ONG locales – soutenues par la Fédération internationale des droits de l’homme – vont jusqu’à dénoncer à la Cour pénale internationale des crimes de lèse humanité perpétrés à l’encontre de la population, commis tant par les cartels que par les forces gouvernementales. On estime à 60 000 le nombre de « desaparecidos », ces personnes victimes de disparition forcée. Un chiffre hallucinant qui évoque l’époque des dictatures militaires d’Amérique du Sud et leur Plan Condor. Le Comité de l’ONU contre les disparitions forcées n’hésite pas à dénoncer une « tragédie humanitaire » un contexte de « disparitions généralisées » tout en pointant du doigt l’implication récurrente d’agents de l’État.

La « guerre contre les cartels de la drogue » a provoqué un niveau de violence inédit et une militarisation du pays.

Et pour quels résultats ? Loin d’avoir perdu la guerre, les narcotrafiquants ont conservé toute leur capacité de nuisance. Le nombre de cartels a d’ailleurs augmenté et ceux-ci ont diversifié leurs activités, s’adonnant désormais aussi à l’extorsion, à la traite de personnes ou encore au trafic de combustible. Pire encore, une constellation de plus de 80 organisations criminelles plus ou moins indépendantes a surgi tout autour d’eux, ce qui rend la situation encore plus explosive qu’auparavant. Lorsqu’en juillet 2018 le candidat de la gauche Andrés Manuel Lopez Obrador (Mouvement de régénération nationale) remporte triomphalement les élections présidentielles, la population attend beaucoup de celui qui a promis de mettre un terme à cette guerre pernicieuse et de renvoyer les militaires dans leurs casernes (…)

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