Mine Fenix : quand un métal acheté en France empoisonne la vie de populations indigènes au Guatemala (reportages de Aurélie Kieffer et Julie Pietri / France Inter-France Culture)


Une enquête coordonnée par le consortium Forbidden Stories, avec la cellule investigation et la Rédaction internationale de Radio France, met en évidence les pratiques contestées d’une mine de nickel au Guatemala. Une partie de sa production a été exportée en Savoie. Reportage de Julie Pietri, Cellule investigation de Radio France.

Le projet Mining Secrets, coordonné par Forbidden Stories, implique vingt médias et soixante-cinq journalistes © Forbidden Stories

Depuis près de six mois, un consortium de soixante-cinq journalistes travaillant pour vingt médias internationaux, dont Radio France, enquête sur les pratiques contestées de la mine Fenix au Guatemala, qui vend son ferronickel aux quatre coins du monde, y compris en France. Coordonnée par Forbidden Stories, qui poursuit les enquêtes de journalistes menacés, emprisonnés ou assassinés, l’équipe a documenté, grâce à une fuite de données gigantesque, et en épluchant huit millions de documents confidentiels, des atteintes à l’environnement et des stratégies de pression sur les populations locales.

À quelques kilomètres seulement de la ville d’El Estor, dans l’est du Guatemala, la mine Fenix grignote la montagne. Le paysage est lunaire. Les collines vertes sont éventrées par endroits par de longues et larges traînées ocres, là où les machines ont attaqué la roche. Ce que recherchent avidement bulldozers, pelleteuses et tombereaux, c’est un métal aux reflets parfois verdâtres, le nickel. La terre de la région d’El Estor en regorge. Gustavo Garcia prend un bout de cette roche entre ses doigts, et la caresse presque : “Il n’y a aucun risque, c’est juste de la terre”, dit-il. Une terre “inerte”, “inoffensive”, détaille encore celui qui est aujourd’hui le responsable environnement de la Compagnie guatémaltèque de nickel (CGN) – Pronico. “Le ferronickel, qui est le produit final de Pronico, est principalement utilisé pour faire de l’acier inoxydable. Et l’acier inoxydable est présent dans tous les objets que nous utilisons couramment, poursuit Gustavo Garcia. On en trouve dans les lave-vaisselle, les couverts, les pièces métalliques des véhicules et des appareils électroniques. Et ce n’est en aucun cas toxique.”

La crainte d’une pollution industrielle

Pourtant, sur place, des habitants se questionnent depuis longtemps. L’extraction est-elle sans danger ? L’environnement est-il pollué ? Et surtout, la mine ne serait-elle pas à l’origine de cette large tâche rouge, qui a teinté en mars 2017 les eaux du lac Izabal ?

À cette époque-là, Cristobal Pop, président de la Gremial de Pescadores, prend, avec quelques autres, la tête de la mobilisation : “Si j’ai commencé cette lutte, c’est pour défendre le lac : il est sacré.” Des habitants et certains de ses collègues disent avoir vu la qualité des eaux se dégrader. “Par exemple, encore aujourd’hui, toute personne qui entre dans le lac… ressent un picotement en ressortant. Une personne allergique peut même se retrouver rapidement avec de l’urticaire, lance-t-il. Depuis 2016, nous avons vu également mourir des lamantins, des lézards, des tortues, des poissons. Mais personne n’y avait vraiment prêté attention jusqu’à ce que le lac change de couleur. Là nous nous sommes dit : que se passe- t-il ? Ça va nous affecter, nous les pêcheurs ! Nous n’avons plus d’autre choix que d’entrer en résistance.”

Des rejets anormaux dans le lac Izabal

La mine, responsable de cette pollution ? Une accusation absurde et sans aucun fondement, répond la compagnie qui, études scientifiques à l’appui et soutien du gouvernement en bandoulière, rejette alors la faute sur la prolifération soudaine d’une algue verte : la Botryococcus braunii. Aujourd’hui encore, Marvin Mendez, directeur administratif de la Compagnie guatémaltèque de nickel (CGN)*, nie toute implication de la mine dans la formation de cette tâche rouge : “Aucune des eaux de traitement que nous utilisons n’est rejetée dans le lac. Vous devez comprendre que les habitants ici, n’ont pas été beaucoup à l’école. Ils sont souvent victimes de manipulation.” Cet homme, qui affiche une grande sérénité, assure avec un sourire qu’il n’y a rien à craindre. D’ailleurs, “je mange le poisson du lac et je me baigne dedans depuis que je suis enfant”, poursuit-il.

Pourtant, notre consortium de journalistes a eu accès à des documents troublants. Comme ce rapport d’incident de l’entreprise, daté du 11 mars 2017, qui fait état de rejets anormaux dans le lac Izabal. Des “sédiments” apparaissent dans le “canal d’écoulement de l’usine de traitement”. “Nous avons observé qu’après de fortes pluies, ce matériau atteignait le lac Izabal. La libération de sédiments était évidente en raison de la couleur rougeâtre de l’eau à cet endroit, s’étendant sur une surface d’environ 200 mètres carrés.” Confrontée à cette information, la direction de CGN conteste d’abord l’existence de cet incident… avant de changer de version. Ce rapport existe bien, oui. Mais c’est la pluie qui, en dévalant la montagne, a transporté cette boue dans le lac. “Ces rejets ne sont pas de notre responsabilité.” Et ils sont d’ailleurs “totalement indépendants de l’apparition de la tâche rouge”. Aucun lien avec la compagnie, donc. Cela restera le discours officiel. (…)

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Guatemala : un géant minier aux secrets bien gardés
(Aurélie Kieffer et Julie Pietri / Grands reportages / France Culture)

C’est l’histoire d’un géant minier en pays maya, d’un bras de fer entre une multinationale et des communautés indigènes. 65 journalistes du monde entier, pilotés par le collectif Fordidden Stories, ont enquêté dans la région d’El Estor, sur les pratiques d’une mine de nickel.

L’usine de traitement de CGN Pronico, tout près du lac Izabal. Photo : Julie Pietri – Radio France

Dans la voiture qui nous mène à El Estor, un homme assis sur l’un des sièges passagers se recroqueville. Il s’appelle Cristobal Pop et enfonce sa casquette de plus en plus profondément sur son crâne à mesure que nous approchons de sa ville natale. A 44 ans, ce pêcheur a vu sa vie changer en quelques années. Lui qui lançait ses filets jour après jour dans le lac Izabal qui borde la ville, a dû stopper net son activité. Trop dangereux, dit-il. Il vit aujourd’hui caché, loin de sa famille et ne revient à El Estor que le plus rarement possible. “Vous voyez, là nous sommes arrivés dans mon quartier. El Estor est une belle ville mais le travail de la compagnie minière ici a créé beaucoup de conflits”. En arrivant à l’hôtel où nous avions prévu de réaliser l’interview, Cristobal Pop blêmit. Une voiture de police est garée à l’entrée. “C’est probable qu’ils soient au courant que nous sommes ici. Je ne descends pas !”.

Un climat de peur à El Estor

Cette crainte de la police guatémaltèque, Cristobal Pop la porte en lui depuis le 27 mai 2017. Ce jour-là, les pêcheurs d’El Estor manifestent. Le lac Izabal, immense et majestueux, sur lequel ils travaillent, a changé de couleur : il est devenu rouge en plusieurs endroits, notamment à proximité de l’usine de la compagnie minière CGN Pronico. Les habitants pensent tenir enfin la preuve de ce qu’ils soupçonnent depuis longtemps : une pollution industrielle de la mine, à grande échelle. “L’un de nous est mort ce jour-là”, raconte Cristobal Pop. Car la marche, pacifique, a dégénéré. Gaz lacrymogènes. Tirs de la police anti-émeute. Un pêcheur, Carlos Maaz, est resté à terre. “C’est ce jour-là qu’une forte persécution a commencé”. A cette époque, Cristobal Pop prend la tête de l’opposition à la mine, avec quelques autres. Il fonde une sorte de syndicat de pêcheurs : la Gremial de Pescadores. “Je suis un indigène de la communauté Maya Qeqchi. Je n’ai pas l’intention de nuire à qui que ce soit mais en tant que peuple indigène impacté par les actions de cette entreprise, nous devons réagir. Il n’y a aujourd’hui aucun contrôle sur ce qu’ils font”. (…)

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