🇭🇹 « Nombreux les Haïtiens qui veulent partir, mais nombreux aussi ceux qui veulent rester » (interview de Lyonel Trouillot par Valérie Marin La Meslée / Le Point)


Invité d’honneur du salon du livre haïtien, l’écrivain de Port-au-Prince, de passage à Paris, raconte son quotidien menacé par les gangs et le rôle de la culture.

« Veilleuse du calvaire » est le nouveau roman de Lyonel Trouillot. © Marc Melki

Veilleuse du calvaire, nouveau roman de Lyonel Trouillot, repéré dans sa première liste par le prix Fémina, donne voix à une femme témoignant de ce que fut, et de ce qu’est devenue, une colline du haut de la ville. Autrefois, la nature étincelante et les oiseaux faisaient de ce lieu un paradis, puis vinrent « les chasseurs, les arpenteurs, les notaires, les banquiers, la loi, le pouvoir, l’ordre, la bienséance, la torture, le viol, les conventions » et une OPA immobilière l’a ravie à ceux qui aimaient s’y aimer, nous raconte ce roman. On y rencontre un soi-disant major allemand, un couple de jeunes amoureux et un autre dont le mari bat sa femme. Toujours, chez Trouillot, les femmes sont courageuses et porte-parole, veilleuses se transmettant le flambeau des récits passés et présents, ainsi celui-ci, que va transcrire un « chroniqueur chauve », écrit Trouillot se moquant de lui.

Mais son art de « faire des histoires une histoire » est ici une fois encore à l’œuvre. Il continue de donner voix aux sans-voix dans Moi, un autre texte (en français et en créole) où il donne parole à l’intériorité des siens. Et à cette même maison d’édition (Atlantiques déchaînés), dans la lignée des textes qu’il avait rassemblés pour Haïti parmi les vivants (Actes Sud-Le Point), après le séisme de 2010, il a coordonné les plumes d’écrivains cette fois confirmés, publiant leurs « témoignages littéraires sur la crise politique en Haïti » : Nouvelles du peyi lòk. À l’occasion de son séjour parisien comme invité d’honneur de la dixième édition du Salon du livre haïtien, Lyonel Trouillot nous raconte le quotidien du professeur, écrivain, activiste littéraire et… as du bâton ! Les visiteurs du salon du livre l’ont vu sur scène enseigner cet art martial, entre deux lectures de la grande poésie haïtienne…

Lyonel Trouillot : Les kidnappings au quotidien. Des quartiers attaqués par les gangs. L’insécurité alimentaire pour les plus démunis. La violence des armes et toutes les formes de violence auxquelles est soumise la population. L’inquiétude, l’angoisse même.

L’angoisse pour les proches quand ils doivent sortir. On guette leur retour comme un miracle. Les cours, je ne descends plus les donner à l’ENS [École normale supérieure où Lyonel Trouillot enseigne le romantisme, NDLR]. Je sors une fois par semaine pour aller animer mon émission sur radio Kiskeya. La plupart du temps, je reste chez moi d’où j’entends le bruit des balles. On essaie quand même de se réunir de temps en temps entre amis pour discuter et se convaincre qu’on est encore vivants.

Quand la colère éclate, on a forcément peur. Mais comme pour tout ce qui est social, il fallait poser la question des conditions de production de cette colère. Le personnage de mon texte, je ne le vois pas comme membre d’un gang lancé contre la population. Sa colère est forte mais elle vise plus les pouvoirs (politique, économique, racial). Ce n’est pas une colère dont les petites gens sont les premières, voire les principales victimes, comme c’est le cas, hélas, avec les gangs.

Les activités littéraires et culturelles se maintiennent. Avec moins de monde. Quand on a fermé à un certain moment le centre culturel (Anne-Marie Morrisset), des jeunes se sont présentés quand même… Ces activités sont aussi le lieu d’expression de discours revendicatifs. Sans tomber dans l’idée que c’est la culture qui nous sauvera et autres énoncés du même type, les espaces culturels témoignent de cette volonté d’aller vers autre chose que la réalité sociale. C’est ce qui les rend nécessaires, et non la culture en soi.

La demande pour l’Atelier du jeudi soir n’a jamais été aussi forte. Dans notre manifeste, nous avions clairement revendiqué le lien entre la conscience sociale et la création littéraire. C’est sans doute pour cela que l’atelier attire autant et que de nouveaux ateliers se créent sur le même modèle, tout récemment des jeunes en ont lancé un intitulé « Tambour du soleil ».

Deux choses : contribuer à faire entendre que la logique de continuité portée par l’international et un pouvoir illégitime et corrompu ne produira que du pourrissement, il faut donc en sortir. Et contribuer à rassembler une pensée pour une proposition nationale, aider ce pays à revisiter ses savoirs et les actualiser.

Faire venir des policiers ou des militaires ne servira qu’à conforter le pouvoir actuel. Dans le meilleur des cas, une pacification apparente, la tenue de fausses élections que les Haïtiens ne reconnaîtront pas, prolongation du pourrissement.

La violence s’est aussi installée dans certaines provinces et à la campagne. Dans la région de l’Artibonite, en particulier. Mais la violence est certes plus forte à Port-au-Prince que dans le reste du pays. (…)

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