Nous sans l’État (Yásnaya Elena Aguilar Gil / Éditions Ici-bas)


Une réflexion profonde et vivifiante sur les résistances aux États-nations, par l’une des voix les plus fécondes de la critique décoloniale en Amérique latine. Un ouvrage traduit de l’espagnol par Amandine Semat et préfacé par Jules Falquet que France Amérique Latine vous recommande.

À rebours des assignations et représentations homogénéisantes façonnées par le pouvoir, ce recueil de textes fondateurs de Yasnaya Aguilar, interroge à la source l’« être indigène », ce « nous » inscrit dans une catégorie paradoxale, à la fois levier de résistance et d’oppression. Yasnaya Aguilar mène la discussion sur trois points-clés de la recherche d’alternatives à la mondialisation néolibérale : l’importance de la langue et de la culture dans la résistance, la complexité de situation des femmes autochtones face à l’assimilationnisme et enfin, la critique de l’État-nation colonial par les « premières nations ».

Nous sans l’État rappelle avec force une donnée fondamentale : les États-nations modernes ont façonné leur politique d’oppression des peuples par le croisement de logiques capitalistes, patriarcales et coloniales.

Cette parole située nous invite, chacun depuis nos géographies, à décoloniser nos imaginaires pour une émancipation définitive et globale.

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Note de lecture par Ernest London
(Bibliothèque Farenheit / Lundi Matin)

Née dans l’État d’Oaxaca, formée en littérature et en linguistique à l’université de l’UNAM, Yásnaya Elena Aguilar Gil passe l’État et ses différents dispositifs au crible de sa critique, pour proposer d’autres options.

« Il y a environ trois cents ans, par le biais d’un processus complexe, le monde a commencé à privilégier une monoculture sociopolitique qui a morcelé la planète en entités légales et juridiques dénommées État-nations, ou plus communément, pays. Selon cette tradition, seule la tutelle de l’État et de son cadre juridique est capable d’organiser la vie en commun. L’État s’obstine à contrôler la totalité des interactions sociales. Malgré cela, des structures émergent et résistent dans le monde entier, nous rappelant l’existence d’autres façons, plurielles, de nous organiser en tant que sociétés, en opposition à cette monoculture sociopolitique, et ce notamment parmi les peuples indigènes du monde.

L’État est la structure sociopolitique qui s’est avérée la plus opérante pour le colonialisme et le capitalisme, mais il existe partout des démarches qui tendent vers d’autres possibilités. » Yásnaya Elena Aguilar Gil, née dans la montagne Mixe de l’État d’Oaxaca, formée en littérature et en linguistique à l’université de l’UNAM, passe l’État et ses différents dispositifs, au crible de sa critique, pour proposer d’autres options.

Découvrant l’existence de langues régionales en France, elle réalise « la nécessité pour les États-nations modernes de construire un récit identitaire unifiant et s’appuyant invariablement sur la construction d’une société unilingue ». Une déclaration de l’Académie française de juin 2008 affirme sans ambages que « les langues régionales portent atteinte à l’identité nationale ».

La communauté où elle vit, c’est à dire la « structure socio-politique dotée d’un autogouvernement en rotation constante et élue par la plus haute autorité, l’assemblée communautaire », comme toutes celles de la région, on été créées pour permettre aux peuples indigènes de résister à l’instauration de l’ordre colonial et aux politiques de l’État-nation. D’autres options s’opposent à la monoculture de l’État-nation et peuvent « former un nous sans État, un nous planétaire » : la confédération kurde, les caracoles zapatistes, les clans nomades, l’autogestion punk, l’anarchisme collectiviste, les tribus traditionnelles, etc.

« L’organisation sociale sans l’État est la manière naturelle de gérer la vie en commun. » « L’idée que l’État est la seule option possible en matière d’organisation de la vie des sociétés est si influente qu’elle a détruit la capacité d’imaginer ne serait-ce qu’une vie différente. » Le capitalisme a besoin de l’État et des démocraties libérales pour subsister, pour fournir le cadre légale et idéologique qui le rend supportable, pour protéger la propriété privée.

Le système à trois composantes profondément imbriquées : le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat, qui régit aujourd’hui le monde et menace de l’anéantir, s’est érigé sur l’ordre colonial instauré à partir de la catastrophe que représente la conquête de Tenochtitlán il y a cinq cents ans. « Le racisme, qui ordonne et classe les corps, est engendré par le colonialisme, tout comme le machisme naît du patriarcat et le classicisme du capitalisme. »

Le mot « indigène » vient du latin et servait à indiquer la relation à un lieu de naissance, alors que le mot « indien » vient du nom du fleuve qui traverse l’Inde et lui a donné son nom, adopté, suite à une confusion géographique, pour désigner les habitants du continent américain à l’arrivée des colonisateurs européens. Les États-nations utilisent indifféremment ces deux termes pour nommer la même catégorie.

« Jamais dans l’histoire de l’humanité le monde n’a été divisé en un peu plus de 200 pays conformément à un modèle idéologique dans lequel ont été établis pour chacun d’entre eux une identité, un drapeau, une histoire, une langue et une série de symboles qui y sont associés. » À l’intérieur de ces États modernes, qui prétendent être des nations « à coup d’idéologie nationaliste », des milliers de nations qui n’ont pas formé leur propre État, ont été encapsulées. 

Au Mexique, la création trompeuse de la catégorie « métis » s’oppose à la catégorie « indigène ». La castillanisation forcée, en niant le droit à accéder à l’éducation dans sa langue maternelle pour les peuples indigènes, les a minorisés : « l’apparente majorité métisse est en fait une population qui a été désindigénisée par le projet étatique. »

Sa proposition d’un « Nous sans le Mexique » repose sur la nécessité de construire aussi « une autonomie symbolique dans laquelle l’appartenance à nos nationalités peut se manifester sans l’imaginaire qu’ont construit les États », tout en s’appliquant à retirer à ceux-ci leurs fonctions par l’autogestion de la vie en commun, en matière de justice, de sécurité, d’éducation, de santé. (…)

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