Un jour d’octobre à Santiago / Ligne de fuite (Carmen Castillo – Éditions Verdier / entretien avec Rosa Moussaoui – L’Humanité)
Chili, octobre 1974. Les forces armées du gouvernement de Pinochet encerclent la maison d’un jeune couple. Ils se nomment Miguel Enríquez et Carmen Castillo ; tous deux vivent dans la clandestinité. Carmen Castillo revient sur son passé avec un livre qui réunit d’anciens écrits, « Un jour d’octobre à Santiago » et « Lignes de fuite ». Un ouvrage que France Amérique Latine vous recommande.
Il est l’un des responsables de la résistance et le dirigeant du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) ; elle, professeure d’histoire, a travaillé auprès de Salvador Allende avant le coup d’État et s’implique, depuis, au sein des réseaux de lutte contre la dictature militaire. L’affrontement tourne au drame.
Treize ans plus tard, au terme d’un exil éprouvé de l’autre côté de l’océan, en France, la militante est autorisée à séjourner dans son pays natal. C’est, dit-on, « l’ouverture ». Mais ce pays, elle ne le reconnaît plus : partout, elle ne voit que le sourire satisfait des vainqueurs. Tout avait pourtant débuté dans la joie populaire : la redistribution des terres, la nationalisation de grandes industries, l’augmentation des salaires, l’extension de la sécurité sociale. Bref, les humbles enfin comptés.
En deux récits, ici rassemblés, la cinéaste Carmen Castillo nous fait traverser ces années de combat, d’élans et de fracas. La politique et l’intimité se fondent en une même langue, délicate et habitée. Ces pages, signées contre l’oubli, se font désormais appel à refuser, en tout lieu, le cours des choses. L’Histoire n’est qu’affaire de présent.
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Carmen Castillo, « La politique était l’éveil de l’intelligence et des émotions » (Rosa Moussaoui / L’Humanité)
Sa vie, de Santiago du Chili à Paris, entre combat et déchirures. Mais l’Histoire n’est qu’affaire de présent et Carmen Castillo y revient avec un livre qui réunit d’anciens écrits, « Un jour d’octobre à Santiago » et « Lignes de fuite ». À la mémoire des vaincus.
Militante du MIR, le mouvement de la gauche révolutionnaire, l’auteure a vu son compagnon Miguel Enríquez, chef de l’organisation, tomber sous les balles de la dictature. Elle-même, alors enceinte, fut blessée, et ne fut arrachée au tortionnaire qu’au prix d’une campagne internationale de solidarité. Loin des siens et des supplices qui leurs furent infligés, elle a recollé les fragments épars de leurs récits : la résistance clandestine, les camarades pris, le calvaire des maisons de torture de la DINA – l’impitoyable police politique de Augusto Pinochet. Cette histoire est celle, aussi, d’une renaissance en forme d’épreuve : réapprendre à vivre dans l’exil et dans le camp des vaincus, tenir à tout prix le fil de la lutte, cultiver la mémoire comme terreau des combats d’aujourd’hui.
Pourquoi reprendre aujourd’hui ce récit, autrefois publié, qui charpente plusieurs de vos œuvres cinématographiques ?
Ce n’est pas ma volonté. C’est un cadeau de ma vie française ; une amitié a donné naissance à ce livre. Je me retrouve moi-même devant ces récits vieux, écrits en arrivant dans l’exil, aujourd’hui rassemblés dans cette jolie collection chez Verdier, avec une préface de Joseph Andras qui me touche profondément. Je reçois presque comme les lecteurs cette matière du premier récit, avec les évènements, les sentiments qu’impliquaient le combat, la mort, la survie.
C’est une autre Carmen qui feuillette ce livre. J’avais écrit Un jour d’octobre à Santiago en français, pour raconter à mes amis français qui nous étions. Je voulais vraiment signaler que nous n’étions pas des héros : nous étions des gens comme tout le monde. Je ressentais alors la nécessité de ce récit et, effectivement, il revient tout le temps dans ma vie, dans mes actions ici ou au Chili, dans ces mémoires qui surgissent du présent, qui sont revues, revisitées par mes films, par d’autres écrits. C’est comme le moment fondateur d’une vie, d’une vie qui renait avec toutes les chutes possibles.
Je rentre tout juste du Chili et je me dis qu’il y a toujours comme un agencement de l’histoire et du présent. Cet éveil, au Chili, des morts, de la mémoire des vaincus, pour le dire comme Walter Benjamin, est tellement présent…. Alors je reviens au passé sans nostalgie, pour relire les événements lumineux du Chili d’aujourd’hui à l’aune de nos souffrances, de nos ruptures, de nos joies, en imaginant que cela, peut-être, est susceptible de donner une densité, une épaisseur au présent.
Qui étiez-vous, jeunes Chiliens, Latino-américains pris dans un élan révolutionnaire, engagés dans la résistance aux dictatures puis brutalement confrontés à la mort, à l’exil ?
Nous étions des femmes et des hommes comme tout le monde. Ce qui est très dangereux dans les grands moments des défaites, c’est la sacralisation par l’héroïsme. L’héroïsme, les héros, chez nous, n’étaient pas des références. On ne parlait pas comme ça d’Ernesto Guevara, de José Miguel Carrera, de Manuel Rodriguez ou de Saint-Just. Nous nous inscrivions dans le combat avec nos corps, nos fragilités, nos vulnérabilités et surtout avec nos amours, nos désirs, nos joies. Nous appartenions à une jeunesse emportée par un contexte historique, mue par un sentiment d’indignation face aux injustices. (…)
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Voir également :
– Carmen Castillo : 1973, 1974, 1987 – Santiago, Chili (Élie Marek / Diacritik)
– Chili: Carmen Castillo, la mémoire se conjugue au présent et au futur (Isabelle Le Gonidec / RFI)