« Épineuse », la question de l’opposition au Nicaragua (Bernard Duterme, María Teresa Blandón Gadea / Cetri)

Que se passe-t-il au Nicaragua ? Et surtout qu’en disent les partenaires historiques du Centre tricontinental ? À savoir ces militants sandinistes – intellectuels, politiques, commandants révolutionnaires… – qui dans leur grande majorité s’opposent, depuis la fin du siècle passé ou le début de celui-ci, à leur président des années 1980 : Daniel Ortega, revenu au pouvoir en 2007 pour y gouverner conformément aux intérêts de l’oligarchie et s’y maintenir coûte que coûte. Nous nous sommes entretenus avec l’une de ces militantes d’hier… qui l’est toujours aujourd’hui.

Maria Teresa Blandón. Photo : Alejandro Ferrari (La Brecha, Uruguay).

Bernard Duterme – María Teresa Blandón, vous êtes une ancienne guérillera sandiniste, militante de la révolution nicaraguayenne des années 1980, professeure d’université par la suite et l’une des leaders du mouvement féministe. Que signifie encore pour vous, dans le Nicaragua d’aujourd’hui, votre orientation sandiniste ?

María Teresa Blandón – Plutôt que comme une « guérillera » – les armes n’ont jamais été mon truc –, je me définis comme une jeune fille de 18 ans alors, qui a embrassé la révolution parce qu’elle promettait la justice sociale. Et cela, dans ce pays pauvre et inégalitaire qu’a laissé la dictature des Somoza après plus de quatre décennies au pouvoir. J’ai lu les idées d’Augusto Sandino (ndlr : assassiné en 1934 par la garde nationale du premier des Somoza sur ordre de l’occupant états-unien) et je continue à croire que, pour son temps, il était révolutionnaire. Je ne pense pas la même chose par contre de ses méthodes de lutte qui reproduisirent une certaine forme d’autoritarisme à l’égard de la population paysanne de la région « La Segovia ». Les femmes en particulier ont payé un lourd tribut à cette confrontation armée entre les Yankees, la garde nationale et les hommes de Sandino.

Le FSLN (Front sandiniste de libération nationale) actuel n’est pas l’héritier de la pensée de Sandino. Il a même déjà cessé de l’être dans les années 1980. L’anti-impérialisme proclamé avait un nom de famille : l’opposition à l’interventionnisme historique nord-américain dans les affaires de notre pays. En revanche, son ouverture à l’Union soviétique et son adhésion disciplinée et presque naïve au modèle cubain contredisaient son engagement nationaliste. L’autogestion de la paysannerie à travers un mouvement coopératif vigoureux, présente dans l’idéologie de Sandino, s’est muée dans les années 1980 en un modèle centralisé de gestion étatique, à connotation militaire puisqu’il participait d’une stratégie d’élargissement des bases d’appui paysannes du FSLN et d’endiguement de la « contre-révolution » armée dans ce même monde paysan. Une expérience similaire s’est produite avec ce qui aurait pu être un puissant mouvement syndical, qui a fini par être coopté par le parti-État.

Ainsi, dans mon propre parcours de militante, l’idéologie de Sandino a commencé à me manquer au fur et à mesure que j’ai pris conscience des écarts grandissants entre les discours prêchés en surplomb par la « direction nationale » de la révolution et les stratégies de plus en plus évidentes de contrôle des mouvements sociaux qui, dans la majorité des cas, ont fini par être subordonnés à la bureaucratie sandiniste et, en cela, par perdre leur propre légitimité.

B.Duterme – Le couple présidentiel Ortega-Murillo, revenu au pouvoir en 2007, revendique toujours cette appartenance sandiniste, en gardant notamment la tête du FSLN. Or, l’examen des politiques menées depuis 2007 par ce gouvernement prétendument « démocratique, socialiste et progressiste » indique clairement son profil « autocratique, néolibéral et conservateur ». Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

María Teresa Blandón – La démagogie est devenue progressivement l’une des principales caractéristiques du FSLN ortéguiste, surtout depuis qu’il a perdu les élections de 1990 et a dû se transformer en premier parti d’opposition. Lors des trois élections successives (de 1990, 1996 et 2001) perdues par Daniel Ortega – éternel candidat présidentiel du parti rouge et noir (à sept reprises en trois décennies) –, il s’est présenté comme le seul héritier de la révolution des années 1980 et, par conséquent, comme porteur des revendications des secteurs les plus pauvres. Ce positionnement rhétorique a d’ailleurs été scellé dans la devise utilisée dès son retour au pouvoir en 2007, à la tête d’un gouvernement supposément « chrétien, socialiste et solidaire ». (…)

(…) Lire la suite de l’entretien ici