18 décembre 2020. Journée internationale des migrantes et migrants : quel bilan pour le monde, dont Haïti ? (Wooldy Edson Louidor / Alterpresse)

À l’occasion de la Journée mondiale des migrantes et migrants, le 18 décembre 2020, ce segment de la population, estimé à environ 272 millions de personnes à travers la planète -selon le dernier rapport en date de l’Organisation internationale pour les migrations (Oim, 2020) [1]-, est frappé de plein fouet par la pandémie de Covid-19. L’heure de faire un zoom sur ce contexte migratoire inédit et, en particulier, sur le cas des migrantes et migrants haïtiens tout au long du continent américain [2].

Le Covid-19 (le nouveau coronavirus) a fait, à date (décembre 2020), plus de 1,6 millions de morts à l’échelle planétaire, selon les données rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse. Même les pays du Nord, dont les États-Unis d’Amérique et ceux de l’Europe, n’ont pas été épargnés par les effets mortels de cette pandémie mondiale.

Entre-temps, des pays dits sous-développés, en particulier, en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes, continuent d’expulser leurs citoyennes et citoyens, contraints de chercher des cieux plus cléments, notamment à travers des routes de plus en plus dangereuses et dans un contexte de crise sanitaire difficile.

Ainsi, un grand nombre de migrantes et migrants ont-ils défié les multiples restrictions de voyage, dont l’interdiction de vols, la suspension des services consulaires et la fermeture des frontières, pour entreprendre ou poursuivre leur périple dans des conditions très vulnérables.

Tout semble indiquer que, au cours de cette année ponctuée par la crise mondiale du nouveau coronavirus, les mesures de contrôle, de contention et de durcissement se sont intensifiées, notamment en Europe, en guise de réponse à ces flux migratoires.

Les migrations dans le contexte de la pandémie de Covid-19

Quant au continent européen, plus particulièrement en Espagne, les Îles Canaries ont vu arriver, depuis le début de l’année jusqu’en novembre 2020, près de 17 mille immigrantes et immigrants africains, qui ont bravé la mer en quête de meilleures conditions de vie ou tout simplement pour survivre.

Face à ces crises à répétition en Méditerranée, dans les frontières dans les Balkans et dans la récente filière des Îles Canaries, la Commission Européenne a durci la politique migratoire du vieux continent par l’adoption conjointe, le 23 septembre 2020, d’un nouveau Pacte sur la Migration et l’Asile [3].

Cet « accord » migratoire commun entre les 27 pays membres rendrait, entre autres mesures restrictives très critiquées, beaucoup plus faciles et plus rapides les opérations de rapatriement de migrantes et migrants, en portant ouvertement atteinte au procès en bonne et due forme, selon l’Organisation non gouvernementale (Ong) Oxfam, qui accuse les autorités de l’Union européenne (Ue) de céder « devant les gouvernements anti-immigration » [4].

D’autre part, en Amérique Centrale, le Réseau jésuite avec les migrants (Rjm) [5] a dénoncé « les crises [humanitaires] dans les frontières du Sud et du Nord du Mexique, dans celles du Panamá, du Costa Rica et du Nicaragua » ; crises qui seraient dues, selon ce réseau interinstitutionnel des Pères Jésuites, au « manque d’intérêt manifesté par ces États pour garantir le respect des droits fondamentaux des migrants forcés dans ce contexte de crise sanitaire ».

Par ailleurs, aux États-Unis d’Amérique, l’administration du président Donald Trump s’est consacrée, depuis son investiture le 20 janvier 2017, à restreindre les droits et toutes les possibilités de régularisation migratoire et de protection internationale en faveur des étrangères et étrangers, dont des jeunes et des mineurs. Ce qui n’a pas changé au cours de la pandémie, où elle a continué d’opérer des opérations de rapatriement de citoyennes et citoyens étrangers, dont des Haïtiennes et Haïtiens.
Enfin, en France on a assisté, le 23 novembre 2020, à un scandale de violences policières, faites aux étrangères et étrangers, qui avaient installé leurs tentes en plein Paris, pour protester contre les abus et violations de droits humains, dont ils disaient avoir été victimes.

Dans ce contexte, a souligné Radio France, le gouvernement du président Emmanuel Macron a affirmé avoir procédé à l’évacuation du camp de « migrants » de la place de la République, alors que des organismes de défense des droits humains basés dans l’Hexagone se référaient à ces personnes violemment expulsées comme des « réfugiés », des « exilés », des « demandeurs d’asile », c’est-à-dire des personnes qui auraient besoin de la protection internationale [6] .

La distinction entre un migrant et un réfugié : une pièce difficile à assembler

Voici l’une des pièces difficiles à assembler dans le puzzle complexe des migrations contemporaines dans le monde actuel : la distinction entre une migrante / un migrant, supposé libre et volontaire, qui déciderait sciemment de quitter son pays, versus une réfugiée / un réfugié, obligé de fuir son pays d’origine et ayant besoin de la protection internationale.

Cette distinction rigide, établie par la Convention des Nations unies relative au Statut des Réfugiés (1951, Genève), permet aux États des pays de destination de déterminer l’éligibilité ou non des demandeuses et demandeurs d’asile au statut de réfugié.

Le critère de l’éligibilité consiste dans le caractère, jugé fondé ou non, par les autorités du pays d’arrivée, de la crainte de persécution de la demandeuse ou du demandeur « du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » [7].

Évidemment, sur la base de cette Convention et de son critère trop restrictif, la quantité de réfugiés dans le monde, estimée en 2020 à 25,9 millions, selon le document susmentionné de l’Oim, est plus de dix fois inférieure au total de 272 millions de migrantes et migrants.

Cependant, dans le monde de l’après-guerre froide, en particulier, suite à la dissolution, en 1991, de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (Urss), non seulement cette distinction traditionnelle entre une migrante / un migrant et une réfugiée / un réfugié, mais tout le puzzle des migrations internationales semble se désagréger.

Le nouveau monde unipolaire, dominé par les États-Unis d’Amérique (nonobstant la montée en force de la Russie, de la Chine, de l’Allemagne et des pays dits émergents sur l’échiquier international), produit de nouvelles formes de migrations forcées, dont les victimes sont de moins en moins des personnes persécutées, originaires des régimes communistes ou socialistes effondrés et en voie de disparition.

Dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants (New York, 2016), l’Organisation des Nations unies (Onu) a souligné combien, de nos jours, les déplacements forcés sont motivés, non seulement « pour rechercher de nouvelles perspectives et de nouveaux débouchés économiques », mais aussi « pour échapper à des conflits armés, à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, à la persécution, au terrorisme ou à des violations des droits humains, soit enfin en réaction aux effets négatifs des changements climatiques, des catastrophes naturelles (dont certaines sont liées à ces changements) ou d’autres facteurs environnementaux. » [8].

En outre, ces « déplacements sont motivés par plusieurs de ces raisons », souligne ce même document de l’Onu.

Dans ce contexte, le doute plane sur le statut juridique, qu’on devrait donner à une grande quantité d’étrangères et d’étrangers, se trouvant dans un entre-deux, espèce de « zone grise » au creux de cette distinction.

Si bien que celles-ci et ceux-ci ne sont pas éligibles au statut de réfugiés, conformément aux critères de ladite Convention, du fait ou bien de ne pas être persécutés pour les motifs susmentionnés, ou bien tout simplement de faire partie de ces mouvements migratoires mixtes, c’est-à-dire de ces « flux de personnes qui voyagent ensemble, généralement de manière irrégulière, en empruntant des itinéraires et des moyens de transport identiques, mais pour des raisons différentes » [9].

Cependant, il n’en est pas moins vrai qu’ils ne peuvent pas être traités comme des migrantes et migrants « volontaires », parce qu’ils ont été contraints de fuir leur pays d’origine, et leurs migrations sont donc forcées et méritent un autre type de considération de la part des autorités des pays de destination.

Donc, quel statut juridique donner à ces étrangères et étrangers ? Comment les nommer (« migrantes » / « migrants », « réfugiées » / « réfugiés », « exilées » / « exilés », « déracinées », / « déracinés » ?), les catégoriser et les caractériser ? Qui défend leurs droits ? Quels sont leurs droits, en tant que personnes en situation de migration ?

Le cas d’Haïti

Dans cette situation ambiguë, se situe le cas d’un nombre de plus en plus croissant d’étrangères et d’étrangers, provenant de plusieurs nationalités, dont des Haïtiennes et Haïtiens, des Cubaines et Cubains, des vénézuéliennes et Vénézuéliens, et d’autres personnes originaires de l’Afrique, voire de l’Asie. Le cas de la migration haïtienne post-séisme tombe visiblement dans cet entre-deux.

Au Brésil, en Équateur et en Colombie, pour ne citer que ces trois exemples, ces pays avaient, dans un premier moment, accepté de recevoir les demandes d’asile, déposées par des Haïtiennes et Haïtiens, qui souhaitaient régulariser leur situation migratoire après le 12 janvier 2010.

De 2010 à date (décembre 2020), les Haïtiennes et Haïtiens se voient obligés d’émigrer, en raison de plusieurs facteurs entrecroisés, dont : une crise humanitaire aggravée par le séisme du 12 janvier 2010, une longue succession de conflits politiques, la répression, l’insécurité généralisée (dont le phénomène accentué du kidnapping (enlèvements et séquestration de personnes), d’agressions sexuelles et de viols collectifs), les violences de genre, l’extrême pauvreté, l’absence d’opportunités pour les jeunes, la corruption endémique à la tête de l’État et la mainmise de la communauté internationale sur le destin de ce pays.

Effectivement, suite au séisme de janvier 2010 et à l’appel de l’Onu aux États du monde entier à surseoir aux rapatriements de citoyennes et citoyens haïtiens pour des raisons humanitaires, les principaux pays de destination ont observé un moratoire sur les déportations, au cours de l’année 2010.

Cependant, plus de dix ans après cette courte période d’accalmie, le panorama est devenu de plus en plus sombre pour la majorité de migrantes et migrants haïtiens, notamment à travers le continent américain. (…)

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