Pandémie de Covid au Brésil : gestion du président Bolsonaro vs auto-organisation sanitaire dans une favela de Rio (Mireille Razafindrakoto et François Roubaud – The Conversation / Nathalia Passarinho – Cabrioles)


Le Brésil fait partie des trois pays, avec les États-Unis et l’Inde, les plus affectés par la pandémie de Covid-19, que ce soit en termes de décès ou de cas confirmés (660 000 et 30 millions respectivement). Quel a été l’effet de la gestion du président Bolsonaro sur la mortalité due au Covid-19? Comment par l’auto-organisation une favela de 140 000 habitants a réduit les décès Covid de 90% alors que Rio vivait une tragédie? Les deux articles ci-dessous mis en parallèle analysent ces questions.

Quel effet de la gestion du président Bolsonaro
sur la mortalité due au Covid-19 au Brésil ?
(Mireille Razafindrakoto et François Roubaud / The Conversation)

Le Brésil fait partie des trois pays, avec les États-Unis et l’Inde, les plus affectés par la pandémie de Covid-19, que ce soit en termes de décès ou de cas confirmés (660 000 et 30 millions respectivement). Les doutes qui subsistent quant à la fiabilité des données officielles (surtout pour les infections, mais également pour les morts) ne sont pas en mesure de remettre en question ce palmarès funeste.

Dans un article publié fin 2021, nous mettions en lumière les facteurs de risque associés à la probabilité d’y être contaminé par et de succomber au virus au cours de la première vague de la pandémie (octobre 2020). À côté des éléments de vulnérabilités socio-économiques communs avec d’autres pays et aujourd’hui bien documentés (pauvreté, informalité, résidence dans les favelas, identité ethnoraciale…), le Brésil se démarquait par le rôle néfaste joué par son président, Jair Bolsonaro, dans la diffusion de la pandémie et que nous avons qualifié d’effet Bolsonaro.

Deux vagues plus loin, qui se sont soldées par 500 000 décès et 20 millions de cas de contamination supplémentaires mais ont vu l’arrivée des vaccins, ces résultats tiennent-ils toujours ? S’il est évident que l’attitude négationniste du président a entravé la mise en place d’une stratégie efficace de lutte contre la pandémie, il est beaucoup plus ardu de montrer quelle a été sa traduction sur le terrain et d’en quantifier les effets. C’est ce que nous tentons de faire une nouvelle étude.

Comment évaluer un éventuel impact de l’action présidentielle ?

Pour tenter de répondre à cette question, deux approches sont en théorie envisageables, en fonction de l’unité d’analyse retenue : individuelle ou géographique.

Pour mettre en œuvre la première approche, il faudrait pouvoir disposer de données individuelles sur un échantillon représentatif de la population, qui à la fois informent sur le statut de chacun face à la maladie (décédé ou pas, contaminé ou pas), et de descripteurs sociopolitiques. Or d’une part, par définition, les enquêtes socio-économiques ne portent que sur les survivants (les morts ne parlent pas), tandis que les enquêtes et registres épidémiologiques sont en général très pauvres en information sur les caractéristiques individuelles (au mieux le sexe et âge, parfois les facteurs de co-morbidité), et n’incluent en aucun cas les préférences politiques.

La seule alternative possible consiste à mener l’analyse au niveau des localités. Si cette dernière ne permet pas de mesurer les risques individuels d’être affectés par la pandémie, elle présente de nombreux autres avantages.

Outre la possibilité de croiser un très large spectre d’indicateurs issus d’une multiplicité de bases de données indépendantes, cette approche se justifie pour trois autres raisons majeures :

  • Elle permet de couvrir de manière exhaustive l’ensemble du pays,
  • La diffusion du virus dépend largement des interactions sociales,
  • Face au déni du gouvernement Bolsonaro, les politiques ont été conduites à l’échelle locale (États, municipalités). L’analyse porte donc sur les 5 570 municipalités du pays et a mobilisé le traitement de dizaines de millions d’observations.

Le premier résultat clef est la confirmation que le Covid-19 a fait, toutes choses égales par ailleurs, plus de ravages dans les municipalités les plus favorables au président Bolsonaro (telles qu’appréciées à partir de ceux qui ont voté pour lui au premier tour de l’élection présidentielle de 2018, la dernière information disponible à ce niveau de détail).

Cet effet net mérite d’être d’autant plus souligné qu’en moyenne on observe la tendance… inverse : en effet, dans l’absolu, les municipalités bolsonaristes ont été plus épargnées par le Covid du fait qu’elles sont plus « blanches », plus éduquées, plus riches, etc. Autant de facteurs protecteurs face à la pandémie.

Une fois prises en compte ces caractéristiques structurelles, on identifie bien un effet Bolsonaro spécifique. Ce constat est à la fois le plus durable (il vaut pour toutes les sous-périodes) et le plus robuste. En dehors de l’âge, le seul autre facteur d’inégalité socio-économique qui se maintient au cours du temps est la pauvreté, à l’instar de ce qui a pu être observé en France.

Le discours de déni du président a induit ses partisans à adopter plus souvent des comportements à risque et à en subir les effets, avec pour conséquence directe d’accroître la probabilité d’infection de l’ensemble de la population qui les côtoie.

Le seul point positif à mettre à l’actif du président est sa politique massive de transfert monétaire d’urgence à l’attention des travailleurs informels. Mais elle n’a partiellement protégé ces derniers en leur permettant de survivre sans emploi à la maison que lorsqu’elle était la plus massive, soit en début de pandémie.

Les mécanismes de l’effet Bolsonaro

Pour aller plus avant, il convient de s’interroger sur les mécanismes qui ont conduit à cet effet Bolsonaro. Avec les données existantes, l’adhésion à deux des principales politiques qui ont été mises en œuvre au Brésil comme dans le monde, à savoir les mesures de distanciation sociale et la vaccination, peut être testée.

Concernant le confinement, face à l’incurie du gouvernement fédéral, les décisions ont été variables et prises en ordre dispersé par les autorités locales. Malgré tout, ces mesures ont été remarquablement suivies, comme en atteste la réduction drastique des déplacements des Brésiliens (données issues des comptes Facebook et Google), qui atteint près de 50 % dans les premiers mois de la pandémie.

Le relâchement des restrictions et des comportements a conduit à un quasi-retour à la normale à la fin de l’année 2020. Le rebond de la pandémie au deuxième trimestre 2021 s’est traduit par une nouvelle phase de confinement, mais celle-ci fut beaucoup moins respectée que lors de la première vague en dépit de sa plus grande gravité.

Dans ce contexte général, les résultats montrent que plus les municipalités sont favorables à Bolsonaro et moins leur population a limité ses sorties hors du domicile. Ce qui vient conforter les conclusions de deux études réalisées au début de la crise sanitaire.

Ceci est vrai quelle que soit la période considérée, à l’exception de la fin 2020, lorsque la pandémie était au plus bas. De la même manière, une municipalité plus pauvre est associée à la fois à une plus grande mobilité relative et un taux de mortalité élevé.

Cependant, l’effet protecteur du confinement n’est que partiel comme en atteste le cas des municipalités plus âgées qui restent plus souvent touchées par la pandémie malgré des comportements plus prudents en matière de déplacement. (…)

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Autodéfense sanitaire face au Covid:
les leçons de la favela de Maré
 (Nathalia Passarinho / Cabrioles
/ BBC Brasil)

“Comment vais-je me débrouiller ? Comment vais-je me nourrir ?” Ce sont les questions qui ont assailli l’esprit de David Nascimento, 24 ans, lorsqu’il a commencé à ressentir les symptômes du Covid-19 début janvier. Habitant de la favela de Maré, à Rio de Janeiro, il travaillait dans un petit atelier de réparation de téléphones portables et avait besoin de cet argent.

Photo : Douglas Lopes

Ler em  português : Covid: As lições da favela que reduziu mortes em 90% enquanto Rio vivia tragédia (BBC Brasil)

“Je me suis dit : il n’y a pas moyen que je reste à la maison pendant quinze jours (en quarantaine). Je vais devoir sortir”, a-t-il déclaré à BBC News Brazil. C’est alors que la mère de David lui a demandé de faire le test covid dans le cadre d’un programme de lutte contre le coronavirus au sein même de la favela de Maré. Le programme a été mis en place, sans l’aide du gouvernement, par des résidents, des chercheurs de Fiocruz et des ONG.

“Elle avait entendu parler de Conexão Saúde (Connexion Santé) par des voisins et sur Internet. Et elle m’a demandé prendre rendez-vous pour le test sur l’application Data for Good, qui fait partie du projet. J’ ai pris rendez-vous, j’ai fait le test et, à partir de là, ils ont commencé à s’occuper de moi”, dit-il.

David a reçu un oxymètre et un kit de produits d’hygiène, a commencé à bénéficier d’un suivi médical par téléphone, a eu accès à des séances en ligne avec un psychologue et, surtout : il a eu de quoi manger pendant les 14 jours qu’il a passés isolé chez lui.

“La nourriture arrivait à la maison tous les jours à midi. Un grand repas chaud, suffisant pour quatre personnes. Et il y avait des sandwichs bio et d’autres choses aussi. Avoir quelque chose à manger m’a rassuré.

Mais David vivait avec sa mère et un frère dans une petite maison. La préoccupation était de savoir comment faire pour ne pas transmettre le virus au reste de la famille.

Pour tenter de prévenir la contagion domestique, des travailleurs sociaux bénévoles de Conexão Saúde ont procédé à une évaluation des conditions de vie et ils ont élaboré une stratégie d’isolement pour la famille de David.

“Ils ont recommandé que ma mère aille chez ma grand-mère et que mon frère reste chez sa petite amie. Je me suis isolée avec un ami qui a également été testé positif. Il vivait avec d’autres personnes et venait chez moi pendant cette période”, raconte David.

Comment faire de l’isolement dans la favela ?

C’est précisément pour réduire au minimum les risques de contagion dans les maisons exiguës, souvent partagées par plusieurs personnes, que l’une des armes du projet consiste à établir des protocoles sur mesure pour chaque résident dont le test de dépistage du Covid est positif. Le projet prévoit également des tests de masse, des soins médicaux par téléphone, de la nourriture pour ceux qui ont besoin de s’isoler et beaucoup de communication pour lutter contre les fake news.

Photo : Douglas Lopes

“En l’absence de l’État, ceux qui agissent sont les chercheurs, les habitants, les ONG, la société civile”, a déclaré à BBC News Brazil l’infectiologue Fernando Bozza, chercheur à Fiocruz et l’un des créateurs de Conexão Saúde.

“Nous avons réussi à maintenir 96 % des personnes bénéficiant du programme en isolement à domicile pendant 14 jours, réduisant ainsi la transmission du coronavirus dans la communauté”, souligne-t-il.

En d’autres termes, le projet démontre qu’avec de la nourriture et un soutien, il est effectivement possible d’isoler une favela. Le résultat a été une réduction de près de 90% des décès par le Covid à Maré après 15 semaines de mise en œuvre du programme. Et actuellement, au plus fort de la crise au Brésil, les décès de personnes atteintes du Covid y restent bien inférieurs à la moyenne des décès dans la ville de Rio de Janeiro.

“Les gens vivent dans des logements précaires, mais il est possible d’organiser des conditions permettant de contenir la pandémie même dans ces localités”, affirme Luna Arouca, coordinatrice de Redes da Maré, l’une des ONG qui font partie de Conexão Saúde.

Porter le masque à l’intérieur

Rachel de Lima en est un exemple. Elle vit dans un “appentis” d’une pièce avec son mari, sur le terrain de sa belle-mère, dans la favela de Maré. En février de cette année, elle et sa belle-mère ont été testées positives au Covid-19 et ont été confrontées au défi de s’isoler dans une maison partagée avec quatre autres personnes de la même famille.

Ils ont commencé à recevoir de la nourriture et des kits d’hygiène, tout comme David, et les travailleurs sociaux de Conexão Saúde ont aidé à élaborer un plan pour réduire les risques de contagion aux autres membres de la famille.

“J’étais isolé dans la chambre de ma petite maison. Ma belle-mère est restée dans le salon et son mari et ses deux enfants ont dormi dans l’unique chambre de la maison”, dit-elle.

“Elle portait un masque 24 heures sur 24, nous avons utilisé beaucoup de gel alcoolisé et séparé les assiettes et les couverts. Personne d’autre n’a été infecté”, se réjouit-elle. (…)

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