🇨🇷 «On ne veut pas dépendre du supermarché pour se nourrir» : au Costa Rica, les femmes indigènes font renaître l’agriculture ancestrale (reportage de David Siqueiros / Libération


Dans le sud du pays, un groupe de femmes a réappris à cultiver la terre selon les techniques de leurs ancêtres, tout en reboisant la forêt primaire. Un écoféminisme en première ligne face aux problèmes sociaux et environnementaux du continent latino-américain.

Des membres de l’association Kábata Könana collectent des herbes médicinales. (Florence Goupil / Libération)

Patricia Hidalgo s’éponge le front. À huit heures du matin, le soleil tape déjà fort, fait suffoquer sous l’épais manteau vert de la forêt montagneuse du sud du Costa Rica qu’il surplombe. Des pluies diluviennes peuvent s’abattre d’une minute à l’autre, en ce début de saison humide. Elle s’affaire à bêcher la terre sur cette parcelle exploitée par Kábata Könana («défenseuses de la montagne», en langue cabécar), une association de femmes autochtones de ce petit pays d’Amérique centrale. Elles ont décidé de réapprendre à cultiver la terre à la manière de leurs ancêtres, trop souvent méprisée : leur science millénaire a failli disparaître. La surface des terres attribuées aux Cabécars s’est considérablement réduite au fur et à mesure de l’expansion de terres agricoles, mais sous l’effet combiné d’un regain d’intérêt pour les cultures indigènes et du retour à une agriculture hyperlocale pendant la pandémie, les pratiques séculaires de ce peuple d’une dizaine de milliers de membres ressurgissent dans la sierra de Talamanca.

Patricia Hidalgo, 29 ans, avec une courge qu’elle a cultivée. (Florence Goupil / Libération)

«Ici, c’est le “witö”, explique Patricia. Le verger : on trouve les légumes, les fleurs, les herbes aromatiques, mais aussi les plantes médicinales.» Chez les Cabécars, il existe cinq manières d’utiliser le territoire : le witö, le teitö, où l’on sème les grains de base comme le maïs, les haricots et le riz, le chamugrö, où l’on trouve les arbres plus permanents comme le cacao, la banane, la banane plantain et les arbres pour la culture du bois, le sa dali, la basse-cour, et le sasha, la forêt. Dans le witö, des îlots se dessinent dans le sol terreux, témoins de l’ingéniosité d’une agriculture qui pallie l’absence de technologie moderne «On bâtit un lit de terre entouré de troncs de bananiers qui sert à conserver l’humidité, car nous n’avons pas de système d’irrigation, explique Patricia. Ensuite, on couvre l’îlot d’herbe sèche pour éviter l’érosion, puis on couvre le tout avec des feuilles de bananier pour contrôler les mauvaises herbes.» Des lézards zigzaguent entre les tiges naissantes ; les oiseaux multicolores se répondent en canon dans la jungle avoisinante.

La crise du Covid-19 a accéléré le retour aux sources de l’agriculture indigène : «La pandémie nous a toutes affectées en 2020. Il n’y avait plus de fruits et légumes en ville.» La «ville» dont parle Marisela Fernandez, 48 ans et présidente de l’organisation, est plutôt un gros village qui s’appelle Bribri, au bord de la rivière Sixaola, à une heure de là. Kábata Könana décide alors de s’implanter sur une parcelle que le peuple cabécar avait récupérée au terme d’un procès contre un exploitant bovin – l’homme occupait avec ses 4 000 têtes de bétail 1 100 hectares d’un territoire finalement reconnu comme indigène. «Avant, on avait du mal à faire valoir nos droits à cause de la barrière de la langue, se souvient la dirigeante de Kábata Könana, qui n’a appris l’espagnol, la langue officielle du Costa Rica, que récemment. Grâce à un avocat, on a récupéré nos terres car elles étaient exploitées par un non-indigène.»

En pleine pandémie, elles commencent à semer : d’abord le witö, ses tomates, ses courgettes, la coriandre, puis les arbres du chamugrö. Aujourd’hui, la modeste bâtisse en brique surplombée d’un toit de tôle, qui servait de point de rencontre aux femmes de la communauté pour discuter de développement économique et social, est devenue le siège d’un réseau comptant 267 paysannes dans 110 parcelles réparties dans les montagnes de Talamanca. «On arrive à convaincre la population, se réjouit Marisela. Depuis la crise du coronavirus, le prix des aliments de base a augmenté, il n’y a pas de travail pour les communautés, alors on ne veut pas dépendre du supermarché pour se nourrir.»

Les femmes des communautés voisines viennent souvent leur rendre visite : le troc est très répandu parmi les Cabécars : plants de papaye contre fèves de cacao, graines de café contre graines de courgette, ou du miel. Tout est bio. «Nos ancêtres n’avaient pas de cholestérol, pas de cancer, poursuit Marisela. Mais avec les produits agrochimiques, ces maladies se sont développées. Les paysans ne savaient pas se protéger, ils ne mettaient pas de masque. Aujourd’hui, nos fruits et légumes sont cultivés sans aucun pesticide.» Toute la communauté cabécar est sensibilisée à cette agriculture durable, écoresponsable et ancestrale. «Tandis que l’homme détruit le monde, nous, on le reconstruit», sourit-elle. (…)

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Voir également EN IMAGES – Avec les «défenseuses de la montagne» au Costa Rica (Libération)