Pourquoi la police brésilienne tue six fois plus qu’aux États-Unis? (Larroque / Les ateliers du CFJ)

En “guerre contre le crime”, la police brésilienne tue six fois plus qu’aux États-Unis. Dans les favelas, la corruption et la doctrine militaire accentuent la répression sur des communautés déjà soumises aux gangs armés. Quotidiennement et dans l’impunité, les balles policières confondent les narco-trafiquants avec les populations noires les plus pauvres. Élu pour en finir avec l’insécurité et la corruption, Jair Bolsonaro libéralise le port d’armes à feu et incite la Police à “tirer pour tuer”. 

Manifestation contre les crimes commis par la police dans les favelas. 7 juin 2020, Rio de Janeiro (AP Photo/Silvia Izquierdo)

À l’heure du Black Lives Matter, et de l’onde de choc planétaire déclenchée par la mort de Georges Floyd aux États-Unis, le cas du Brésil interpelle. Lors des manifestations du 7 juin dans les rues de Rio ou de São Paolo, de nombreux visages d’adolescents tués par la police ont été affiché sur des pancartes : João Pedro (14 ans), Agatha Felix (8 ans), Jennifer Silene Gomes (11 ans), Rodrigo dos Santos (16 ans), Victor Hugo (16 ans), son frère Roger dos Santos Silva (18 ans) et bien d’autres. Ils viennent s’ajouter aux 1 814 personnes tuées par la police de Rio en 2019, selon le New York Times. Une violence policière concentrée dans les favelas et que l’ONG Amnesty International qualifie de “dictature militaire”.

La favela, champ de bataille de la “guerre contre le crime”

Au Brésil, la violence raciale est endémique. Le pays fut le plus grand importateur d’esclaves africains durant la traite négrière, et le dernier au monde à prohiber l’esclavage, en 1888. Après la guerre de Canudos, en 1897, des soldats descendants d’esclaves sont démobilisés et partent chercher du travail dans les grandes villes. N’ayant pas les moyens de verser un loyer, la plupart s’installe dans les zones délaissées par les populations plus riches. Dans des constructions précaires et insalubres, les favelados avoisinent parfois les plus luxueux condominios (résidences), notamment sur les morros (collines) de la zone sud de Rio. Incubateur d’une culture foisonnante, la favela va offrir au monde la samba et le carnaval brésilien. Mais ce lieu va aussi devenir un des symboles planétaires de la violence et des inégalités, emblème d’un pays où une personne est assassinée toutes les sept minutes.

Le Comando Vermelho et le Primeiro Comando da Capital font partie des principaux groupes armés de narco-trafiquants. Ils contrôle la majorité des favelas. João*, 23 ans, habite à Vidigal, près de Rocinha. Il explique que le trafic de drogue impose des codes à toute la communauté : “Les cerfs volants et les pétards peuvent être utilisés pour prévenir de l’arrivée de la police afin que les trafiquants, en haut du morro, rangent la marchandise et s’enfuient. Les feux d’artifices c’est pour prévenir que la drogue est arrivée dans le morro”.

Si tous les habitants des favelas vivent sous cette autorité paramilitaire, peu sont ceux qui font partie du trafic. Pour Rosalia*, guide touristique et habitante du Complexo do Alemão jusqu’à ses 29 ans, « de nombreux hommes voient dans le trafic de drogue leur seule porte de sortie, mais au moins 85% de la population des favelas sont des travailleurs sans lien avec le narcotrafic ». Une réalité bien différente de l’image du favelado-narco violent proposée dans le blockbuster Cidade de Deus.

Une police militaire poussée au crime

En 2018, c’est en surfant sur le sentiment d’insécurité et en promettant “une guerre contre le crime” que Jair Bolsonaro est élu président avec 55% des suffrages face à Fernando Haddad du Parti des Travailleurs. Pour que les “bons citoyens puissent se défendre”, il libéralise par décret le port d’armes dans toutes les régions où le taux d’homicide dépasse 10 pour 100 000 habitants (la moyenne nationale est à plus de 30 pour 100 000 habitants). Paradoxe lorsque l’on sait que sept homicides sur dix sont déjà perpétrés par arme à feu.(…)

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* Les prénoms ont été modifiés / Ce site est alimenté par les étudiants du Centre de Formation des Journalistes.