Les prémices d’une sortie de crise pour le Venezuela ? / ¿El inicio de una salida de la crisis para Venezuela? (Christophe Ventura / IRIS)


Insondable crise économique et politique, sanctions des États-Unis, Covid-19 : le Venezuela fait face à une situation sans précédent. Mais pour la première fois depuis 2019, l’hypothèse d’une sortie de crise via une éventuelle reprise d’une négociation politique entre le président contesté Nicolás Maduro et Juan Guaidó, président par intérim autoproclamé, refait surface. Les annonces des derniers jours peuvent-elles amorcer la fin de huit années de difficultés ? Quid du changement de présidence américaine sur ce dossier ?

Le point avec Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques / IRIS, en charge du programme Amérique latine / Caraïbes.

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Le 11 mai, Juan Guaidó a proposé d’ouvrir de nouvelles négociations avec Nicolás Maduro, concernant l’organisation d’un « calendrier pour des élections libres ». Le président vénézuélien a accepté de discuter, sous l’égide d’une médiation internationale. Que peut-on attendre de ce nouvel échange entre les deux hommes pour l’avenir du Venezuela ?

Ce mouvement engagé par Juan Guaidó en faveur d’un « accord de sauvetage national » qui devrait, selon lui, être négocié avec l’appui de la « communauté internationale et en particulier des puissances internationales » pour intégrer des élections nationales dont la présidentielle, une aide humanitaire et vaccinale, la libération des « prisonniers politiques », des garanties démocratiques pour tous les acteurs politiques de la crise et une levée progressive des sanctions contre le pays, conditionnée à ses objectifs, ouvre des perspectives limitées, mais réelles. À cette étape, aucune négociation n’est à l’ordre du jour concrètement, mais les annonces de Juan Guaidó s’inscrivent dans une nouvelle séquence, notamment ouverte avec l’élection de Joe Biden aux États-Unis. Tout d’abord, il faut souligner à quel point le nouveau discours de Juan Guaidó correspond à un changement stratégique majeur de sa part face à l’impasse dans laquelle il s’était mis en 2020 après son refus de participer aux élections législatives (6 décembre) pour lesquelles il avait appelé au boycott. En effet, ce choix l’a conduit à perdre toute base institutionnelle au sein de l’État vénézuélien alors que la coalition des droites, qu’il dirigeait depuis 2019 au sein de l’Assemblée nationale, dominait le pouvoir législatif depuis 2015. Cette stratégie a non seulement permis au bloc chaviste de reprendre cette assemblée avec une écrasante majorité (256 sièges sur 277), mais elle a également singulièrement divisé l’opposition dans son ensemble, dont une partie lui a désobéi et a participé. Des dirigeants historiques de cette opposition d’oppositions, tel Henrique Capriles – favorable à accepter la voie électorale contre le chavisme -, ont critiqué cette stratégie la considérant stérile, incapacitante et démobilisatrice. Il a pris ses distances avec Juan Guaidó. En conclusion, ce dernier s’est affaibli et a perdu une grande partie de sa popularité (à peine plus de 10 % dans les enquêtes d’opinion locales) et de son leadership sur les oppositions vénézuéliennes. Au-delà, c’est toute l’opposition vénézuélienne qui s’est affaiblie et divisée, et qui s’est décrédibilisée auprès d’une population lassée, préoccupée par l’urgence de ses problèmes quotidiens non résolus, et dont une partie a fait le choix de la migration. C’est donc dos au mur que Juan Guaidó vient faire sa proposition aujourd’hui. Et avec une capacité de mobilisation des Vénézuéliens(ne)s qui s’est considérablement réduite depuis son émergence politique en janvier 2019. Et entre temps, son nom a été de surcroît associé à plusieurs échecs : entrée de convois humanitaires depuis la Colombie en février 2019, promesse de désolidariser les militaires vénézuéliens de Nicolás Maduro et de faire tomber ce dernier, évocation de la possibilité – impopulaire – d’une intervention extérieure pour renverser le gouvernement, opérations de « barbouzerie » en 2020, etc. Et tout ceci sous l’ombre tutélaire de Donald Trump. En faisant le constat de son impasse, Juan Guaidó a opéré un changement copernicien, acceptant désormais de discuter avec Nicolás Maduro, qui reste selon lui le chef d’une « dictature ». Il le reconnaît désormais néanmoins comme un interlocuteur et affirme vouloir négocier avec le chavisme, ce qui n’avait pas été le cas depuis qu’il s’était autoproclamé président par intérim. Juan Guaidó tente aujourd’hui de restaurer son image et une partie de son leadership au sein de la droite avec cette proposition.

Le peut-il encore et qu’attendre de sa proposition ? Il faut être prudent. Il est difficile de savoir le poids qu’a encore la parole de Juan Guaidó dans le pays. Son atout reste surtout son soutien étranger, dans plusieurs pays latino-américains et à Washington en premier lieu. L’administration de Joe Biden le considère toujours officiellement comme le président par intérim, à la différence de l’Union européenne qui lui a retiré son soutien en la matière pour le considérer désormais comme un « interlocuteur privilégié ». De ce point de vue, Juan Guaidó, même affaibli, reste un élément de l’équation vénézuélienne. En effet, le fait qu’il reste soutenu par Washington invite Nicolás Maduro à prendre en compte son évolution et à tendre l’oreille à sa proposition. Et ce, d’autant que la situation du pays est une impasse. La magnitude de la crise économique, alimentée par les mesures unilatérales restrictives de Washington qui étouffent financièrement et commercialement le pays, n’est pas soutenable à long terme. Et ce d’autant plus dans le contexte de rebond pandémique dont on voit qu’il peut déboucher rapidement en Amérique latine sur de fortes convulsions sociales et politiques. Sur le plan politique, Nicolás Maduro s’est renforcé depuis 2020 et peut tout à fait diriger le pays comme cela longtemps, mais au prix d’une détérioration économique sans fin et sans solution viable si ne s’amorce pas un mouvement politique d’ensemble.

Ce qui se passe aujourd’hui au Venezuela indique peut-être que, dans l’esprit des protagonistes de la crise vénézuélienne, le constat que le blocage actuel est un enlisement dont personne ne sort plus gagnant, reprend du terrain. En règle générale, les acteurs d’une crise ou d’un conflit décident de négocier lorsqu’ils considèrent qu’ils sont arrivés à un point où ils ont moins à gagner avec le statu quo et la confrontation qu’avec la négociation. (…)

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