🇧🇴 🇦🇷 « Sebastián Moro a été la première victime du coup d’État en Bolivie » (entretien avec María Laura Cali par Luis Reygada / L’Humanité)


Dans son dernier film-documentaire, María Laura Cali revient sur l’affaire Sebastián Moro, journaliste argentin tué à La Paz dans d’obscures circonstances lors des événements qui menèrent à la chute, en 2019, du président bolivien Evo Morales. Entretien.

Né en 1979 en pleine dictature militaire argentine, mort quarante ans plus tard – vraisemblablement assassiné – en plein coup d’État en Bolivie, le journaliste mendocino  Sebastián Moro avait lié son travail à un fort engagement en faveur des droits de l’Homme et des causes sociales.

Dans son dernier film-documentaire « Sebastián Moro, le marcheur », la réalisatrice María Laura Cali recompose les derniers jours du correspondant du quotidien argentin Página12, plongé au cœur du tourbillon de violence attisée par l’extrême droite pour provoquer, en novembre 2019, l’éviction du président socialiste Evo Morales.

Une histoire tragique qui met en lumière les tournoiements qui écartèlent périodiquement une Amérique latine déchirée par « des pratiques violentes et antidémocratiques dangereusement banalisées ». Entretien, dans le cadre d’une tournée européenne, avec une militante « cinémactiviste » engagée pour faire vivre la mémoire et les combats d’un journaliste attaché à son métier et à ses idéaux, jusqu’au bout. Et obtenir justice…

Sebastián Moro était un journaliste argentin, originaire de la ville de Mendoza (centre-ouest), très engagé dans la défense des droits de l’homme. Le documentaire commence dans cette ville, où il dirigeait une émission sur une station de Radio Nacional, qui fait partie du réseau public argentin. Il s’est fait écarter avec la mise en place des politiques libérales du président Mauricio Macri (2015-2019) et, au passage, les 250 articles qu’il avait publiés sur les procès pour crimes contre l’humanité (procédures intentées contre des violations des droits de l’homme commises dans le cadre du génocide exécuté pendant la dernière dictature civico-militaire en Argentine, de 1976 à 1983 – NDLR) ont été supprimés.

Il y avait alors une volonté claire du gouvernement d’effacer certains épisodes de ce que l’on appelle dans notre pays la « mémoire historique ». D’une certaine manière, on peut dire que Sebastián Moro a été réduit au silence pour la première fois à Mendoza ; c’est dans ce contexte qu’il a décidé de partir pour la Bolivie en 2018, chassé par les politiques néolibérales de Mauricio Macri. Là-bas, il s’est intéressé de très près au processus politique transformateur mené par le président Evo Morales. Il a commencé à travailler dans des radios locales et à Prensa Rural, un journal appartenant à la Confédération syndicale des travailleurs agricoles de Bolivie (CSUTCB). Il couvrait tous les problèmes de la paysannerie et des peuples indigènes.

En effet, je l’ai rencontré à La Paz, en 2019. A l’époque je présentais mon documentaire Los ñoquis qui traite justement de la façon dont les politiques de Macri ont fait le vide au sein de l’espace culturel argentin, avec des licenciements massifs dans l’emploi public et des coupes budgétaires, tout comme l’avait subi Sebastián Moro à Mendoza.

Cette rencontre a eu lieu peu de temps avant les élections présidentielles d’octobre, que Sebastián Moro a commencé à couvrir en tant que correspondant du journal argentin de gauche Página 12. En tout il a écrit douze articles avant le coup d’État, dans lesquels il décrivait le climat politique très violent à l’encontre du gouvernement d’Evo Morales et de ses partisans. Il dénonçait les pressions extrêmement fortes de la droite, alliée à des secteurs des forces armées. En fait, Sebastián Moro a été le premier journaliste à annoncer qu’un coup d’État était en cours, contrairement à la plupart des correspondants étrangers qui n’imaginaient pas qu’on en arriverait jusque-là.

Il ne s’est pas retrouvé dedans, son métier et son engagement l’ont poussé à aller au cœur des événements, pour continuer d’informer. Nous savions tous que les élections en Bolivie allaient être très difficiles pour la gauche, mais ce que nous n’imaginions pas, c’était le niveau de violence que les groupes de choc de droite et d’extrême droite allaient exercer.

Sebastián Moro a envoyé son dernier article à Página12 le 9 novembre 2019, la veille du jour où les militaires ont fait pression sur le président Evo pour le forcer à démissionner. Le titre de son article était d’ailleurs : « Un coup d’État en cours en Bolivie ». Dans la soirée, il est sorti faire un tour dans les rues de La Paz ; c’est à ce moment qu’il s’est fait attaquer et qu’il a été très violemment battu. Le lendemain, il a été retrouvé à demi-conscient à son domicile, avec des traces évidentes de torture sur le corps. Une connaissance a prévenu sa famille. Il est décédé quelques jours plus tard, le 16 novembre, dans une clinique privée de La Paz. En réalité, Sebastián a été la première victime du coup d’État. (…)

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Bande-annonce du film « Sebastián Moro, le marcheur », de la réalisatrice María Laura Cali