Tour d’horizon de la situation sanitaire et politique en Amérique latine (entretien avec Christophe Ventura / La Midinale – Regards)

Quelle gestion pour les pays d’Amérique latine de la pandémie de Covid-19 ? Quels enseignements tirer du premier tour de l’élection présidentielle en Équateur ? Le vaccin cubain peut-il être une source d’espoir ?

Le point de vue de Christophe Ventura, directeur de recherche.
IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques)


VERBATIM

Sur la situation sanitaire et économique en Amérique latine

  • « La situation est presque homogène dans les pays d’Amérique latine si on met de côté Cuba, le Venezuela, l’Uruguay et le Paraguay. Le reste de l’Amérique latine est durement frappé par la pandémie. Tout style de gestion confondue, le résultat est le même. »
  • « À part le Brésil, l’Argentine et le Mexique, aucun pays d’Amérique latine n’est capable de produire de vaccins. Et ceux qui sont capables de le faire, ils n’ont pas toujours les brevets pour le faire à part le Mexique et l’Argentine qui ont un partenariat avec AstraZeneca. »
  • « Il faut rappeler qu’en Amérique latine, un travailleur sur deux travaille dans un secteur informel, c’est-à-dire au noir. Ces gens-là n’ont pas de protection sociale. Et s’ils ne travaillent plus, ils n’ont plus de revenus. Donc le confinement est compliqué. »

Sur le vaccin cubain

  • « Quoi qu’on pense des autorités cubaines, ils ne font pas de bluff. Le système de santé est le plus avancé d’Amérique latine et sans doute l’un des meilleurs au monde – notamment sur les biotechnologies. »
  • « Pour les cubains, ce vaccin est vital et il pourrait même attirer les gens à Cuba pour se faire vacciner. C’est, je crois, une stratégie du gouvernement parce que le tourisme est un secteur clef pour relancer l’économie. »

Sur la présidentielle en Équateur

  • « Yaku Pérez est quelqu’un qui a réussi à agglomérer autour de lui un socle de positionnements divers : écologiste, indigène. Il agglomère autour de lui tout un arc de mécontents de la politique – notamment de la gauche de Correa. »
  • « L’électorat de Yaku Pérez n’a pas une cohérence idéologique et politique durable. »
  • « Yaku Pérez est la surprise de l’élection. »
  • « Yaku Pérez parle de fraude électorale qui lierait tous les autres candidats pour l’empêcher d’accéder au second tour. »
  • « Les passifs sont lourds entre une partie de la gauche et le corréisme. »
  • « Andrés Arauz a une prime à la victoire. Il a fait 30 % des voix. »
  • « Alors que le vote est obligatoire en Équateur, il y avait 18 % d’abstention et 12 % de votes blanc et indécis. Ça veut dire que 30 % des gens au premier tour n’ont pas voté pour un des seize candidats en lice. Une partie de la réponse du deuxième tour c’est : que vont faire ces gens-là. Pour qui vont-ils voter ? »
  • « Quel que soit le président qui va sortir, les difficultés seront là : on ne vote pas que pour le président mais aussi pour l’Assemblée nationale. Il y aura des difficultés à construire des majorités. Ça remettra sur le tapis, de manière un peu obligatoire, des discussions entre des gens qui ne se sont plus parlés depuis ces quatre/cinq dernières années (…).» 
  • « Le contexte de crise sanitaire et économique poussera sans doute à des discussions politiques pour dépasser les lignes figées qui caractérisent ce moment électoral. »

Sur Jair Bolsonaro et sur le Brésil

  • « Il faut regarder la vérité en face et elle est assez désarçonnante : Bolsonaro jouit toujours d’une popularité importante au Brésil avec près de 40 % des Brésiliens qui le soutiennent. »
  • « La crise du Covid-19 a fait perdre à Bolsonaro une grande partie des soutiens qui l’avaient élu en 2018, notamment les classes moyennes urbaines (…). Il a perdu cet électorat qui a rejeté sa gestion calamiteuse de la pandémie et sa corruption mais il a réussi à s’attirer un électorat nouveau, beaucoup plus populaire. »
  • « Bolsonaro offre de l’argent aux catégories populaires : il veut leur offrir le droit de travailler et de toucher un revenu. Il défend l’économie. »
  • « Au grand dam des marchés financiers et des élites économiques, Bolsonaro a mis en place un plan demandé par ses opposants, notamment par le Parti des Travailleurs : il s’agissait d’une lettre d’urgence qui a coûté 60 milliards de dollars au Brésil (…). Mais Bolsonaro a du arrêter ce plan fin décembre… Le problème, c’est que les marchés financiers lui demandent d’arrêter les dépenses publiques et de serrer les finances. »
  • « Aujourd’hui, Bolsonaro n’est pas encore défait et la gauche n’est pas en mesure de reprendre la direction des opérations sur le plan politique car malheureusement, le mouvement n’est pas encore mûr. »