Pour Vargas Llosa des « pitreries », pour nous du « sang » (tribune de Eliane Brum / El País / Autres Brésils)


Lors d’une conférence à Montevideo, le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa a pris position sur les élections brésiliennes d’octobre prochain. L’écrivain péruvien a déclaré : “Les pitreries de Bolsonaro sont très difficiles à admettre pour un libéral. Mais, entre Bolsonaro et Lula, je préfère Bolsonaro”.

Ce n’est pas la première fois que le célèbre écrivain fait des déclarations politiques controversées, ayant recours cette fois à un euphémisme. Mais défendre Jair Messias Bolsonaro contre Luiz Inácio Lula da Silva, c’est un peu exagéré même pour les standards de Vargas Llosa. Il n’a jamais été aussi important de différencier un libéral d’un extrémiste de droite. De telles déclarations tendent à brouiller les frontières et contribuent à la corrosion de la démocratie.

Mario Vargas Llosa, lors de la 46ème Foire Internationale du Livre de Buenos Aires, le 6 mai 2022 / LUIS ROBAYO (AFP)

Eliane Brum est écrivaine, reporter et documentariste. 
Texte originellement publié le 18 Mai 2022 sur El País?
Traduction pour Autres Brésils : Philippe Aldon / Relecture : Du Duffles.
Leer en español : Mario, lo que tú llamas “payasada” nosotros lo llamamos sangre

Voyons ce que le soi-disant libéral Mario Vargas Llosa, personnage ayant fréquenté, durant des décennies, les cercles intellectuels raffinés en Europe, considère comme “les pitreries de Bolsonaro” : l’attaque persistante contre le vote électronique et contre le processus électoral, afin de justifier un coup d’État au cas où il ne serait pas réélu ; l’agression récurrente des institutions qu’il n’a pas réussi à contrôler, telles que le Tribunal supérieur électoral et la Cour suprême ; les près de 700 000 décès de la Covid-19, résultat de l’exécution avérée d’un plan de diffusion du virus afin d’obtenir une ” immunité collective “, avec l’attaque systématique du port du masque et de la vaccination ; le soutien aux exploitants miniers illégaux, aux bûcherons et accapareurs de terres (voleurs de terres publiques) responsables de la contamination des rivières par le mercure, de la déforestation record et du recours à la violence contre les défenseurs de la forêt, ainsi que, en ce qui concerne l’exploitation minière, du viol des femmes autochtones ; le démantèlement de la législation environnementale construite au fil des décennies, la liquidation des agences de protection et le relâchement des sanctions à l’encontre de ceux qui détruisent la nature ; les attaques constantes contre les femmes, les autochtones et les Noirs ; les relations de plus en plus évidentes avec les milices qui contrôlent le crime organisé et la défense de l’armement de la population civile. La liste des “pitreries” ne tient pas dans l’espace de cette colonne, il faudrait pour cela une édition complète, toutes sections comprises, d’El País du dimanche.

Ainsi le supposé libéral Mario Vargas Llosa préfère Bolsonaro à Lula parce que l’ancien président, favori des sondages, “a été emprisonné”, condamné ” en tant que voleur ” par les juges. Vargas Llosa ne doit pas savoir que Lula a effectivement passé 580 jours en prison, mais que la Cour suprême a par la suite annulé les condamnations et ordonné de reprendre la procédure depuis le début en raison d’erreurs de procédure, ce qui le rend innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée. Si les condamnations avaient été confirmées, Lula ne pourrait pas être candidat.

Ce qui est en jeu dans les élections brésiliennes d’octobre, c’est la démocratie elle-même. Quelles que soient les critiques que l’on puisse formuler à l’encontre de Lula et de ses gouvernements – et elles sont nombreuses – il est un démocrate. Bolsonaro, contre lequel il existe plusieurs dénonciations pour génocide à la Cour pénale internationale, est un partisan de la dictature militaire, qui a pour héros avoué le principal tortionnaire du régime, et qui a fait du Brésil un pays en situation de coup d’État. (…)

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