Violences de genre et résistances (Éditions Syllepses – Centre Tricontinental)

Un ouvrage coordonné par Aurélie Leroy.
Collection Points de vue du Sud


Dans l’imaginaire collectif, les violences de genre – au même titre que la pauvreté – sont souvent considérées avec fatalisme. Phénomène social banalisé, elles renvoient à l’ordre « naturel » des choses, réduites au seul fait d’«hommes violents». De la sorte, on oublie l’essentiel. Féminicides, viols, harcèlements ne résultent pas seulement de comportements isolés ou «déviants», ils témoignent de ressorts patriarcaux profonds et indiquent une même représentation de l’infériorité des femmes.


Ces agissements s’inscrivent dans un continuum de violences qui se déploie à toutes les étapes de la vie, dans les espaces privés ou publics et sous de multiples formes – physiques, symboliques, institutionnelles… –, afin de conforter l’emprise masculine. La violence patriarcale a ses propres spécificités, mais pour l’aborder dans sa complexité, elle doit être articulée à d’autres structures de domination telles que le mode de production capitaliste – particulièrement abusif pour les femmes – et la matrice coloniale, qui exerce des effets concrets et durables sur les territoires et les corps – principalement ceux des travailleuses pauvres racisées.

Dans un climat délétère pour les droits des femmes – crise sanitaire et économique, campagnes antigenre, offensives réactionnaires –, un renouveau féministe s’est affirmé ces dernières années, à partir de l’Amérique latine, autour de l’enjeu central de la violence. Et s’est amplifié, en Asie et en Afrique, par son articulation avec d’autres luttes sociales et politiques.

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Édito de Aurélie Leroy

Dans un climat général délétère pour les droits des femmes – crise sanitaire et économique, offensives réactionnaires et anti-genre –, un renouveau féministe s’est affirmé ces dernières années, au départ de l’Amérique latine. Complexifier et politiser les violences de genre, faire émerger les facteurs structurels entremêlés et s’attaquer à l’impunité sont des enjeux centraux des mobilisations à l’œuvre.

« Le patriarcat est un juge qui nous juge à la naissance
Et notre punition, c’est cette violence que tu ne vois pas
Le patriarcat est un juge qui nous juge à la naissance
Et notre punition, c’est cette violence que tu vois
Ce sont les féminicides, l’impunité des assassins
C’est la disparition, c’est le viol
Et le coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit
Le violeur, c’était toi
Le violeur, c’est toi
Ce sont les policiers, les juges, l’État, le président
L’État oppresseur est un macho violeur »

Ces paroles du collectif chilien « Las Tesis » ont rythmé la performance « Un violeur sur ton chemin ». Entonné à Santiago le 25 novembre 2019 à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, ce slam féministe est devenu viral au point de connaître un retentissement international. Un hymne puissant, réclamant la justice contre les violences sexistes et les féminicides, qui reprend les principaux enseignements de l’anthropologue Rita Laura Segato – sur lesquels nous reviendrons dans cet ouvrage – et qui témoigne d’un nouveau seuil franchi dans la compréhension de la violence, de l’impunité et de leurs modes opératoires. En égrenant des mots et des expériences vécues, des activistes du monde entier ont ainsi dispersé l’écran de fumée et débusqué « les apparats illusoires » (Segato, 2021) qui réduisent les violences de genre à des actes individuels et accidentels, empêchant d’en distinguer les ressorts véritables, les redondances et les schémas communs.

La violence contre les femmes est une question cruciale qui a mobilisé les mouvements féministes depuis leur origine. Toutefois, en dépit des combats menés et des lois promulguées, il n’est pas un pays au monde où les femmes sont à l’abri des violences masculines, à tout âge, dans tous les espaces et sous de multiples formes. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’une femme sur trois est victime de violence physique ou sexuelle au cours de sa vie (OMS, 2021). Et ce phénomène n’a cessé d’augmenter ces dernières décennies, en nombre et en intensité, au point d’être qualifié d’« épidémie » (ONU femmes, 2019) – notion parfois critiquée pour sa dimension pathologisante et apolitique – ou de « guerre contre les femmes » (Segato, 2016, Federici, 2021, Gago, 2018), pour signifier les répercussions socioéconomiques, politiques et écologiques dévastatrices du modèle d’accumulation capitaliste sur le corps des femmes et sur les rapports de genre.

Le succès de Las Tesis n’est pas un événement isolé, il s’inscrit dans la déferlante militante de la « quatrième vague féministe » qui s’est développée depuis une dizaine d’années au départ de l’Amérique latine et qui a donné une forte visibilité au problème des violences de genre, que celles-ci soient familiales, extra-domestiques ou institutionnelles.

L’explosion mobilisatrice autour de cet enjeu clé s’explique de plusieurs manières. D’une part en raison du sentiment grandissant chez de nombreuses femmes que les conditions sociales qui leur sont imposées sont intolérables, de l’urgence qui les habite de revendiquer et d’exercer leurs droits élémentaires au regard des rôles centraux qu’elles assument. Esquivant les fausses solutions d’autorités proposant à répétition des pistes répressives et sécuritaires contre-productives, les femmes ont politisé le problème et développé leurs propres stratégies pour éradiquer la violence, pour saper les structures de domination et renforcer leur autonomie et leurs droits, démontrant par là leur volonté et leur pouvoir d’agir.

D’autre part, la spécificité de cet épisode réside aussi dans le fait que la dénonciation des violences de genre a fait appel à un héritage de réflexions et de connaissances qui a permis de mieux cerner et d’appréhender le caractère structurel et transversal de ce phénomène, et dès lors de nommer et rendre visible des abus et des pratiques qui autrefois étaient passés sous silence. Revenons dès lors sur certaines notions théoriques et concepts élaborés dans le champ féministe, qui nous aideront à saisir les mécanismes qui tout à la fois produisent, articulent et occultent la violence (…)

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Thèmes abordés dans cet ouvrage

  • Violence et reproduction sociale : l’émergence féministe latino-américaine
  • Violences structurelles
  • Violence et reproduction sociale : l’émergence féministe latino-américaine
  • Extractivisme et patriarcat : défense des territoires et des corps
  • Migrations : violences de genre et résistances
  • Violences sexuelles comme stratégies de domination
  • Le viol comme réponse aux revendications des Dalits en Inde
  • Les yézidi·es d’Irak et Daech : violence sexuelle en période de guerre
  • Violences familiales, extra-domestiques et institutionnelles
  • La « marée verte » féministe en Amérique latine
  • Violence de genre, féminicides et résistances en temps de pandémie
  • Violence domestique et masculinités hégémoniques en Afrique du Sud
  • Violences en ligne
  • Vers une réponse féministe au discours de haine en ligne
  • La lutte pour un « internet féministe »