🇸🇻 « Avec Trump, Bukele voulait acheter sa propre impunité », une conversation avec le journaliste d’investigation Carlos Martínez (Florent Zemmouche / Grand Continent)


En réduisant nettement le taux d’homicides au Salvador, Nayib Bukele a réussi là où tous ses prédécesseurs avaient échoué. Le Salvador n’est plus le pays le plus dangereux du monde. De nombreux pays cherchent même maintenant à imiter le modèle salvadorien. Mais comment l’administration a-t-elle réussi à démanteler les gangs ? Alors que plus de 80 000 personnes sont actuellement détenues dans les prisons salvadoriennes et que le pays bascule de plus en plus dans un régime autoritaire, les journalistes du média d’investigation El Faro sont catégoriques : Bukele a en réalité passé des accords avec les trois principaux gangs du pays.

Le président Nayib Bukele en février 2021. AFP / STANLEY ESTRADA

L’un des principaux journalistes du Salvador, Carlos Martínez, enquête depuis 2018 sur les rapports entre Bukele et les maras. Le 1er mai dernier, il a publié dans El Faro un entretien avec un leader historique de Barrio 18 Revolucionarios, Charli, qui raconte pour la première fois publiquement, à visage découvert, les accords passés avec Bukele — qui l’a même libéré de prison. Cette nouvelle révélation marque un tournant dans le Salvador de Bukele. Nous l’avons rencontré.

Pour nous, ce fut une surprise. Nous suivons les relations entre Nayib Bukele en tant qu’homme politique et les gangs depuis 2018, lorsque nous avons publié pour la première fois sur les rapprochements que Bukele en tant que maire à l’époque entretenait avec les gangs — grâce à des sources au sein de l’administration municipale.

En 2020, nous avons révélé qu’une fois président, Nayib Bukele avait conclu un pacte. À ce moment-là, nous avons pu documenter, à l’aide de preuves officielles provenant des centres pénitentiaires et des services de renseignement, la relation qui existait entre Nayib Bukele et la Mara Salvatrucha. En creusant davantage, nous avons pris conscience qu’il s’agissait en réalité d’une relation avec les trois grandes organisations criminelles du pays : la Mara Salvatrucha, le Barrio 18 Revolucionarios et le Barrio 18.

Une fois le pacte avec les gangs rompu, nous avons obtenu des enregistrements audio du directeur de la Reconstruction du tissu social, Carlos Marroquín, parlant avec la Mara Salvatrucha et affirmant qu’il était derrière la libération d’un de ses leaders historiques, Elmer Canales, alias « Crook ». Nous avions également prouvé que le gouvernement avait tenté de mettre en place un stratagème criminel pour récupérer Crook au Mexique en demandant au cartel de Jalisco de le capturer en échange d’une grande somme d’argent. C’était la dernière chose que nous avions révélée.

À notre grande surprise, cette nouvelle affaire a connu des débuts beaucoup moins romanesques que les autres. Nous avons simplement reçu un mail sur l’adresse de contact d’El Faro, mise à disposition au public pour contacter le journal. Ce message indiquait que des personnes souhaitaient parler de ces sujets. Par la suite, elles ont contacté l’un d’entre nous pour se présenter et nous faire part de leur intérêt pour une discussion.

Tout d’abord, nous avons vérifié l’identité des personnes qui nous contactaient afin de confirmer qu’elles étaient bien celles qu’elles prétendaient être. Nous avons ensuite décidé de nous rendre là où elles se trouvaient afin de pouvoir discuter avec elles.

Il s’agit de deux leaders du Barrio 18 Revolucionarios qui, après la rupture des accords avec Bukele, se sentaient trahis. Ils étaient en colère parce que le gouvernement avait arrêté certains de leurs camarades et des membres de leur famille.

Nous leur avons demandé directement pourquoi ils étaient assis devant nous et pourquoi ils avaient décidé de parler. Et leur réponse a été la même. Ils voulaient donner leur version des accords, car ils disaient que le gouvernement du président Bukele les avait trahis. Ils estiment avoir rempli leur part du contrat. C’est pourquoi ils ont décidé de se présenter devant une caméra et de nous dire tout ce qu’ils savaient. 

D’autre part, il était également important pour eux de s’adresser à un média qui documente depuis longtemps les rapprochements entre le gouvernement Bukele et leurs structures. Alors, quand ils ont décidé de révéler les dessous des accords, ils ont pensé à nous. 

Je pense que la nouveauté qui a tant marqué au Salvador tient au fait que deux personnes vous racontent de première main les coulisses de ces accords.

Ce sont deux personnes qui ont participé activement aux mécanismes de négociation. Ils ont admis avoir été ceux qui sont entrés cagoulés dans les prisons de haute sécurité pour rencontrer d’autres membres de gangs. Ils nous ont raconté ensuite une série de détails sur les négociations, qui incluaient même une manière dont le gouvernement salvadorien, au lieu de lutter contre certains comportements criminels tels que les assassinats et les extorsions, les a réglementés ou normalisés.

D’autre part, ces deux personnes sont la preuve vivante de l’accord, car elles affirment toutes deux avoir été libérées par le gouvernement Bukele. Dans le cas de Charli, nous avons des preuves documentées de son arrestation. Il existe des photos du moment où il a été capturé. (…)

 (…) Lire la suite de l’entretien ici