🇧🇷 Décès du photographe Sebastião Salgado. « Montrer l’Amazonie vivante » (FALMag 2022)


Le photographe franco-brésilien décédé le 23 mai 2025 n’a eu de cesse d’alerter sur la dégradation de l’Amazonie. FALMag l’avait rencontré et interrogé à l’occasion de la publication du Hors-série sur le Brésil en 2022. Un entretien que nous reproduisons ci-dessous.

Sebastião Salgado : « Montrer l’Amazonie vivante »
FALMag hors-série 2022 en lecture libre
Brésil : entre bilan amer et nouveaux espoirs

Migrants, mineurs, victimes de la famine… Ses photographies en noir et blanc ont fait le tour du monde par sa manière unique de capturer l’humain dans son environnement. Des mines d’or du Brésil dans les années 1990 à la nature sauvage avec « Genesis » en 2013, l’artiste brésilien Sebastião Salgado puise dans son humanisme la force esthétique de ses photographies. Des images qui n’en finissent pas de nous fasciner et de changer notre regard sur le monde.


La rédaction de FALMag a rencontré Sebastião Salgado à Avignon, à l’occasion de son exposition « Amazônia » au Palais des Papes qui s’est achevée le 27 novembre 2022.[1]

C’est un moment important pour moi, après avoir voyagé dans plus de cent trente pays. Je me suis rendu pour la première fois dans la forêt amazonienne au début des années 1980… et puis je suis revenu tout le temps. Peu à peu, j’ai vu sa destruction. D’abord par le Sud, avec les fermiers qui y installaient leurs fermes. Avec « Genesis », dans les années 2000, j’ai constaté l’avancée de la destruction. En tant que Brésilien, je suis très lié à l’environnement. Je me suis dit que je devais montrer l’Amazonie vivante, pas l’Amazonie morte, celle du feu et des orpailleurs. Il faut donner à voir cette Amazonie-là. Elle est tout pour nous, aujourd’hui : c’est la partie de la planète qu’on pourrait appeler « le paradis sur Terre », un espace merveilleux de beauté, un espace merveilleux de pureté, un espace merveilleux de culture, un espace merveilleux de tout ce qu’elle nous offre : la séquestration du carbone, l’humidité avec ses rivières volantes, et les arbres eux-mêmes qui représentent la bonté…

L’Amazonie est colorée, mais monochrome. C’est un espace vert, avec peu de couleurs. Je ne peux pas photographier en couleurs. C’est très difficile de la dominer : au moment de mettre en image, les couleurs vives deviennent très importantes. Le noir et blanc présente une gamme de gris. Cela crée une abstraction qui me permet de me concentrer sur le sujet qui m’intéresse : la dignité des gens. 

Sebastião Salgado devant les photos de son exposition “Amazônia” en cours d’accrochage au Palais des Papes d’Avignon (Photos : Sonia Garcia Tahar)


J’ai eu beaucoup de chance de commencer ce projet en 2013 ! Au moment où je l’achevais, en 2019, beaucoup d’autorisations ne m’auraient pas été accordées. En effet, la FUNAI (Fondation Nationale de l’Indien) dépend du ministère de l’Intérieur. C’est grâce à elle que 25,2% des territoires indiens sont préservés. Or, Bolsonaro a remplacé à sa tête les gens qui étaient d’une grande culture, des scientifiques. À la place du président de la FUNAI, il y a désormais un commissaire de police. Et tous les indigénistes, sociologues, ont été remplacés par des cadres de l’armée et de la police. Au lieu de travailler à la protection des populations indigènes, ils ont travaillé à l’agrobusiness. La FUNAI ne reconnait plus la protection des territoires indigènes. Elle a complètement affaibli la protection de ces territoires et en a permis la pénétration. La deuxième institution, celle des Parcs Nationaux (IBAMA : Institut Brésilien de l’Environnement et des ressources naturelles renouvelables) est liée au ministère de l’Environnement. 24,9% de l’espace amazonien avait été transformé en parcs nationaux par l’IBAMA. C’est l’IBAMA qui donnait toutes les amendes aux fermiers qui détruisaient la forêt. Bolsonaro a renvoyé tous les techniciens en poste et a placé des policiers à la place. Bolsonaro a été l’agent le plus actif de la destruction des espaces protégés de l’Amazonie : ouverture aux orpailleurs, aux propriétaires agricoles qui aujourd’hui volent du bois dans les parcs nationaux, développement de la pêche illégale… Il a enlevé toutes les barrières de protection du territoire amazonien. Jamais ces gens-là ne m’auraient donné les autorisations pour mon projet, car ils dépendent de l’exécutif. D’autant plus qu’à l’époque, c’est l’armée brésilienne elle-même qui m’avait emmené dans ses missions pour réaliser mes vues aériennes de la forêt. Heureusement que j’ai pu finir mon travail en 2019 ! 

Sebastião Salgado montrant sur son portable une photo d’un homme s’adonnant à la pêche illégale en Amazonie. (Photo : Sonia Garcia Tahar)

Elles sont très inquiétées. Je pense notamment aux Yanomami qui ont vu débouler 22 000 orpailleurs sur leurs territoires : une invasion. L’assassinat des deux journalistes Dom Philips et Bruno Pereira en juin dernier est le sommet de l’iceberg. Ils étaient justement en train de faire un reportage sur les pêcheurs illégaux qui ont envahi la vallée de Javari. S’ils avaient été brésiliens, on en aurait parlé à peine : l’assassinat des leaders indiens est monnaie courante. Jamais ce mouvement des indiens environnementalistes n’a été si menacé. Et en même temps, jamais il n’a été si puissant.[2]

J’ai lancé ce projet dans les années 1990 après avoir couvert les génocides au Rwanda. Une expérience très éprouvante : j’en étais vraiment malade ! Et j’ai totalement abandonné la photographie. Mes parents, très âgés, m’ont transmis leur ferme, dans la vallée du Rio Doce, dans l’État de Minas Gerais. C’est là que je suis né, et, à l’époque de mon enfance, la propriété était entourée de forêt tropicale. Lorsque j’en ai hérité, la terre était très endommagée, tout avait été détruit et rasé, y compris par mon père, pour installer des fermes et des pâturages. Ma femme, Lélia Wanick Salgado, a eu l’idée de replanter. En 1998, nous avons obtenu le classement de transformation de cette terre en parc national. Cela a été des années de luttes avec l’administration pour faire accepter qu’une terre dégradée devienne parc national. L’année suivante, on a planté des arbres sur 800 hectares. Aujourd’hui, il y a trois millions d’arbres de 300 espèces autochtones différentes, dont nous avons collecté les semences dans la périphérie. Nous avons vu le retour des jaguars et des singes, et de plus de 170 espèces d’oiseaux. Nous avons commencé à travailler à la formation des paysans : plus de trois cents fermiers collaborent avec nous. Nous accueillons un lycée technique agricole. Certains jeunes élèves deviennent des techniciens environnementaux, et comme ils sont fils de fermiers, nous avons les fermiers avec nous ! Aujourd’hui, notre mission est la récupération des sources d’eau. Les arbres sont les cheveux de la terre : ils ménagent des espaces d’humidité qui préservent du soleil. Il faut 500 arbres pour récupérer une source tarie. Nous sommes en train de travailler sur des milliers de sources d’eau ! Nous avons déjà planté dans 1500 fermes, de petits ou grands exploitants. Le problème de l’eau a disparu ! 

C’est le plus grand mouvement social de toute l’Amérique Latine du XXème siècle. Au Brésil, ils ont pu récupérer des fermes non productives, que le gouvernement a achetées aux propriétaires pour les redonner aux paysans. C’est un mouvement très social, très écologiste, soucieux d’un commerce équitable : c’est le mouvement le plus équitable qui soit, et mené par des jeunes qui aujourd’hui encore sont en lutte, et sont arrêtés. 

Propos recueillis par Sonia GARCIA TAHAR.
Comité de FAL Vaucluse
Bureau national de FAL


[1] Voir notre article Exposition Salgado Amazônia à la Philarmonie de Paris : entre émerveillement et engagement dans le dossier Cultures engagées, FAL Mag n°148 de septembre 2021.
[2] Voir notre série d’articles Amazonie brésilienne en danger dans la rubrique Analyse du FAL Mag n°151 de juillet 2022.
[3] Voir https://institutoterra.org/


 Voir également Décès du photographe Sebastião Salgado (revue de presse)