🇦🇷 Élection de Javier Milei en Argentine : quelques points de vue


Le 20 novembre avait lieu le second tour des élections présidentielles en Argentine, opposant  Javier  Milei, candidat d’extrême droite, à l’actuel ministre de l’Économie, le péroniste Jorge Massa. Milei a été élu avec près de 56% des votes. C’est un tournant majeur pour l’Argentine et pour toute l’Amérique latine.


Ci-dessous, quelques points de vue et analyses à une semaine de cette élection qui met au pouvoir un libertarien réactionnaire, climatosceptique et anti-féministe.

Argentine : le changement dans le désespoir (éditorial du Monde)

Une large majorité d’Argentins, lassés par l’impuissance des gouvernements successifs à redresser une économie en ruine et remontés contre la déconnexion des élites du pays, a choisi, dimanche 19 novembre, de faire un saut dans l’inconnu en portant au pouvoir Javier Milei. Cet économiste sans expérience politique, chantre d’un libéralisme radical et caricatural, qui compare la monnaie nationale à un « excrément », a rassemblé 55,7 % des voix, battant avec une confortable avance le candidat péroniste de centre gauche, Sergio Massa. L’Argentine a ainsi voté pour le changement, malgré les contradictions et les outrances de celui qui le porte et quels que soient les risques que ce choix implique.

Javier Milei lors d’un rassemblement politique à La Plata, dans la province de Buenos Aires, en Argentine, le 12 septembre 2023. © Marcos GOMEZ / AG La Plata / AFP

L’élection ne s’est pas jouée sur un vote d’adhésion à un programme cohérent et rationnel. Javier Milei en est dépourvu. Sur le plan économique, il prône la suppression de la banque centrale, le remplacement du peso par le dollar et veut diminuer la dépense publique à hauteur de 15 % du produit intérieur brut. Au-delà de ce « plan tronçonneuse », comme il l’a baptisé, qui risque de s’appliquer au détriment des couches de la population les moins favorisées, il souhaite revenir sur le droit à l’avortement, affiche fièrement son climatoscepticisme et assume son révisionnisme sur la dictature argentine. (…)

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Outrance et dangerosité (éditorial de L’Humanité / Cathy Dos Santos)

Les plus sombres analyses de l’intellectuel Eduardo Galeano se réalisent sous nos yeux. Dans Sens dessus dessous, le romancier et essayiste uruguayen pointait les risques majeurs d’un capitalisme débridé et hégémonique. L’avènement de Javier Milei, qui occupera la fonction de président de l’Argentine le 10 décembre, concrétise la funèbre prophétie du regretté Galeano, qui voulait croire en un sursaut alternatif.

Javier Milei dimanche 20 novembre à Córdoba, en Argentine. (Tomas Cuesta/Getty Images. AFP)

L’extrême droite débarque donc en force à la Casa Rosada, quatre décennies après la fin de la dictature aux 30 000 morts et disparus. Le programme du « Fou », l’un de ses nombreux surnoms, glace jusqu’au sang : privatisations, école et santé publiques réduites à néant, libéralisation du port des armes et de la vente d’organes, dynamitage de la Banque centrale et dollarisation de l’économie. Le libertarien, antiféministe et climato-sceptique, de surcroît, a hurlé aux quatre vents qu’il tailladera, à coups de tronçonneuse s’il le faut, l’État et les avancées sociétales du kirchnérisme.

Le choc est dur à encaisser, même si la victoire de Javier Milei n’est pas un accident. Malgré la grossièreté, l’outrance et la dangerosité du personnage, cet ancien bouffon de la télévision et chantre d’un libéralisme exalté a su jouer de la défiance de ses concitoyens sur fond de faillite économique structurelle.

Une part importante de l’électorat, dont les primo-votants, a été séduite par la violence d’un discours radical contre la « caste » politique, coupable de l’inflation galopante qui a plongé 30 % des foyers dans la pauvreté. (…)

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« La victoire de Javier Milei en Argentine s’inscrit dans un contexte mondial de consolidation des droites radicales » (Tribune de Olivier Compagnon et et David Copello / Le Monde

Olivier Compagnon et David Copello, spécialistes de l’Amérique latine, reviennent, dans une tribune au « Monde », sur la victoire du candidat d’extrême droite à la présidentielle argentine, le 19 novembre. Une réussite liée, en partie, à l’essor de l’ultraconservatisme, en Amérique et dans le monde.

©AFP – Luis ROBAYO

Avec la large victoire de Javier Milei au second tour de l’élection présidentielle, le 19 novembre, l’Argentine est entrée dans une phase d’incertitude inédite depuis le retour à la démocratie en 1983. Souvent présenté comme une déclinaison de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro dans la région du Rio de la Plata, le candidat libertarien, qui a devancé le péroniste Sergio Massa de près de douze points, a sans doute bénéficié des précédents établis par ces deux figures. En moins d’une décennie, l’ancien locataire de la Maison Blanche et l’ex-président brésilien ont fait sauter une série de digues démocratiques sur le continent américain et rendu crédibles des tocades politiques qui paraissaient sans lendemain.

Une fois que l’on s’est accoutumé au spectacle de foules saccageant le Capitole à Washington, comme cela s’est produit le 6 janvier 2021, ou le palais du Planalto à Brasilia, le 8 janvier 2023, on se formalise moins qu’un nouveau venu, étranger à la scène politique il y a encore trois ans, fasse campagne, tronçonneuse à la main et insultes aux lèvres, en promettant de libéraliser le port d’armes et le commerce d’organes.

La victoire de Milei s’inscrit donc dans un contexte régional – mais aussi global – de consolidation de droites radicales qui ne cherchent plus à masquer les aspects les plus extrêmes de leur programme, mais les mettent en scène pour en faire des produits d’appel. Et peu importe que Milei se contente de balbutiements lorsque son adversaire, Sergio Massa, l’interroge, durant le débat de l’entre-deux-tours, sur les conditions concrètes de la suppression de la banque centrale et de la dollarisation de l’économie promises : l’essentiel réside désormais dans l’hubris, la démesure, la provocation, voire la bouffonnerie.

Ces droites ont des phobies communes, du nord au sud de l’Amérique et de part et d’autre de l’Atlantique – l’avortement, la « théorie du genre » [terme employé pour marquer un rejet des études de genre], les communautés LGBTQIA+, le « marxisme culturel » [une théorie conspirationniste mettant en cause les élites intellectuelles], les migrants, etc. Elles désignent à la vindicte populaire leurs nouveaux ennemis de l’intérieur, qui se sont substitués aux communistes depuis la fin de la guerre froide. Se présentant sous les atours de la nouveauté, leur discours de rejet de la « caste » politique ne s’en accommode pas moins du recyclage de barons de la politique locale, changeant d’étiquettes partisanes au gré des occasions, ou de vieilles gloires des années passées. (…)

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Le choc politique ? entretien avec Denis Merklen et Maricel Rodriguez Blanco / France Culture

L’extrême-droite l’a emporté en Argentine. Et les questions se bousculent à propos des ambitions de Javier Milei, le futur président à l’attitude volontiers grotesque.

. ©AFP – Emiliano Lasalvia

Avec

  • Denis Merklen Sociologue, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 et membre de l’Institut de Hautes Etudes sur l’Amérique latine.
  • Maricel Rodriguez Blanco Sociologue Politiste Maîtresse de conférences en Sociologie à l’Institut catholique de Paris

C’est un homme avec des propos parfois erratiques, quasi systématiquement outranciers, un homme qui se déguise en super héros, multiplie les phrases chocs et se dit anarcho-capitaliste, Javier Milei, qui a été élu à la présidence argentine.

Mais il faut faire sens, au-delà de la clownerie, du spectacle, de l’élection de Milei. Parce que Milei est, a priori, un homme dangereux, que l’Argentine est un grand pays, un poids lourd du continent.

Les visages effarés, apeurés, des électeurs de gauche argentins en disent long : en effet, Milei s’est rapproché de milieux d’extrême-droite qui ont été à la manœuvre à l’époque de la dictature en Argentine. La vice-présidente que Milei a choisie ne cache pas sa proximité avec ces réseaux de militaires notamment.

Son élection signe aussi la débâcle du péronisme, le mouvement politique très spécifique à l’argentine et longtemps hégémonique. C’est enfin la bascule très à droite de la nation argentine alors que le Chili s’est choisi un président de gauche, il y a peu, comme la Colombie, pourtant peu encline vers cette option politique, et le Brésil qui a décidé de sanctionner — de très peu — la droite radicale de Bolsonaro, qui conserve d’ardents partisans dans le pays.

Et c’est une nouvelle victoire pour un candidat nationaliste, populiste, issu d’une alliance des droites. On a longtemps dit que le Chili avait été un laboratoire du néolibéralisme autoritaire. Milei est-il un phénomène à comprendre dans la foulée de Bolsonaro au Brésil, et pourrait-il propager, faire tache d’encre, dans le monde, en Europe peut-être, ce modèle ?

L’homme, notamment, entretient un rapport très particulier au savoir, à la vérité et à la science. Révisionniste en bien des points, il assure notamment qu’une partie des crimes imputés à la junte militaire sont des inventions progressistes, de la même manière qu’il s’assume, dans la foulée de Trump et de Bolsonaro, comme un climatosceptique fier de lui, irrité par les scientifiques à ce sujet.

Qui est Javier Milei ? “Un économiste“, commence par répondre Maricel Rodriguez Blanco. “C’est un pur produit médiatique qui s’est produit surtout sur les réseaux sociaux qui, n’oublions-les, ont été une source et aussi un lieu de diffusion de l’information et aussi d’échanges très importants, notamment pendant le confinement. Il animait aussi des émissions de télé. Et il a diffusé une bonne partie de ses idées via ce milieu-là. Il faut dire qu’il était un outsider, en tout cas du point de vue politique, puisqu’il n’était pas connu en tant que député. Rappelons qu’il arrive au Parlement en Argentine en 2020. En tant que député, il n’était pas connu pour la simple raison aussi qu’il était souvent absent au Parlement. Il a voté des mesures, des amendements proposés par les camps de la droite, la droite qui est qui est incarnée par la figure de l’ancien président argentin Mauricio Macri, qui a gouverné le pays entre 2015 et 2019. Donc il y avait déjà un certain nombre de liens avec cet espace politique-là, ces centres droits, ces droites argentines, et un certain nombre d’échanges“. Durant sa campagne, il joue la carte de “l’anticaste”, “ce qui a aussi marqué, et a eu des effets en tout cas positifs pour lui, notamment dans une partie de la jeunesse“. Pour les deux invités, c’est clair : la crise a participé pour beaucoup aussi à son élection.

En tant qu’économiste, il n”était pas très connu. S’il s’épanouit aujourd’hui en se présentant comme libertarien, il est initialement rattaché à des écoles classiques ultralibérales et néolibérales, favorables à des mesures déjà testées en Argentine.

Denis Merklen revient sur les conditions de son élection et sur son électorat. “56% des voix donc c’est un électorat effectivement très important. C’est un électorat qui est essentiellement né de l’échec du gouvernement et du “kirchnerisme” qui a conduit le pays à une crise économique extrêmement sévère. Le kirchnerisme, c’est un mouvement politique de centre-gauche en Argentine, inspiré du péronisme. Certes, ces mouvements ont sorti l’Argentine de la crise en 2001. Mais voilà, quand le pays est rentré dans une nouvelle impasse, cela a permis à une droite extrêmement dure de se consolider.” Milei a remis à la mode avec d’autres un discours néolibéral “qui était quasiment banni de l’espace public argentin” jusque là. “La moitié de l’Argentine ne s’est pas convertie à l’extrême droite libertarienne. Il y a des raisons plus profondes qui expliquent ce succès, des transformations qui sont extrêmement dures et qui montrent surtout une profonde crise de l’État.” (…)

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Argentine : triomphe de Milei ou le mariage de la droite et du dégagisme (entretien avec Christophe Ventura par Pablo Pillaud-Vivien / Regards)

La Midinale/ Regards : entretien avec Christophe Ventura

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Pour rappel, voir :
Élection de Javier Milei : FAL solidaire avec les mouvements populaires et progressistes argentins (communiqué de France Amérique Latine)
Victoire du libertarien Javier Milei à l’élection présidentielle en Argentine : premières analyses (fr.esp.)
Élection présidentielle en Argentine : un séisme politique (revue de presse)